L'infirmière Libérale Magazine n° 368 du 01/04/2020

 

POINT(S) DE VUE

INTERVIEW

Sandrine Lana  

À partir du 1er juillet 2021, le dossier médical partagé (DMP) sera automatiquement ouvert à tous les bénéficiaires de la Sécurité sociale, sauf opposition expresse du patient. Quel bilan tirer de sa généralisation depuis 2018 ? Positif selon l’Assurance maladie, plus nuancé pour d’autres.

Quel bilan tirez-vous du DMP ?

Annelore Coury : Nous sommes très satisfaits du nombre de dossiers ouverts sur l’ensemble du territoire. Il y a une bonne montée en charge depuis la généralisation, en 2018. Différents canaux ont permis la création de plus de neuf millions de DMP : les officines (28 %), nos accueils Cnam (39 %), en ligne par les patients eux-mêmes (20 %) et les professionnels ou établissements de santé (13 %). Depuis la signature de l’avenant n° 6, les Idels en ont ouvert un petit millier, en étant rémunérées au même titre que les pharmaciens notamment. C’est encore limité, mais la communication auprès des professionnels débute tout juste. L’autre résultat positif du DMP est sa consultation et son alimentation par les soignants : 47 % des généralistes l’ont consulté au minimum une fois et 21 % l’ont alimenté au moins une fois.

Dr Jean-Michel Lemettre : Pour

nous, le constat est très mitigé. D’emblée, notre position aurait été de se concentrer sur l’étude des éléments qualitatifs pour en tirer le bilan au lieu de privilégier le quantitatif : ce n’est pas le nombre de dossiers créés qui est essentiel. Il y a eu peu d’efforts pour favoriser le qualitatif dans la mise en place du DMP. C’est très bien qu’il y ait un historique des remboursements, par exemple, mais pas suffisant. Avoir accès à l’ensemble des traitements du patient est utile, mais qui va le lire ? La plupart des services d’urgen ces ne font pas l’effort de s’équiper pour avoir accès au DMP. La Cnam compte sur un effet de seuil d’utilisateurs pour que le système soit efficace. Je n’y crois pas. En revanche, je crois au partage de l’information.

Cet outil, qui permet la coordination des soins, notamment avec les Idels et les autres paramédicaux, est-il pertinent ?

Dr J.-M. L. : Oui car, en interprofessionnel, le partage de l’information est nécessaire pour la prise en charge de nos patients. On a besoin d’un dossier complet et accessible partout. Prenons le cas de la chirurgie ambulatoire, amenée à s’étendre à des actes de plus en plus lourds. Il faudra une chaîne du partage de l’information optimale : en période préopératoire, l’identification de l’équipe de soins primaires ; en phase postopératoire, le compte rendu et les consignes de sortie envoyées par messagerie sécurisée de santé à toute l’équipe identifiée ; en “Y”, le dépôt de ces éléments sur le DMP. Cela peut être intéressant dans le cas d’une prise en charge par une Idel qui n’avait pas été identifiée en préopératoire, pendant un weekend, des vacances ou en urgence. Elle pourra tout de suite aller sur le DMP pour récupérer les informations utiles aux soins.

A. C : Le DMP est, en effet, un outil qui facilite la prise en charge coordonnée du patient et l’accès à ses informations médicales. Aujourd’hui, il arrive que des Idels prennent en charge des patients sans connaître leur historique médical. L’alimentation du DMP avec la synthèse médicale rédigée par le médecin traitant va les aider, notamment dans la prise en charge des maladies chroniques. Mais le DMP n’est pas la réponse à tous les problèmes de coordination. Les soignants auront toujours besoin de se parler, via les messageries sécurisées de santé par exemple, et d’autres services numériques vont être développés d’ici à 2022 par l’Assurance maladie, comme l’espace numérique de santé.

Comment le DMP pourrait-il être plus efficace ?

Dr J.-M. L. : Pourquoi ne pas l’étendre à la mise à disposition d’informations de biologie, aux directives anticipées, etc. En Ehpad, si une personne fait un malaise et que ses directives anticipées sont connues de tous, cela peut éviter aux services des urgences d’appeler le 15, qui n’a pas accès au DMP, cela peut éviter d’envoyer une ambulance, une équipe, si ce n’est pas le souhait du patient. L’accès au carnet de vaccination servirait également au quotidien, notamment pour les urgences, qui ne seraient plus obligées de refaire les tests.

A. C. : L’Assurance maladie accompagne les professionnels de santé en cabinet pour faciliter la prise en main du DMP, via ses conseillers informatique services. Ces derniers font remonter des problèmes pratiques de terrain que nous étudions avec les éditeurs, car l’outil va se perfectionner avec le temps. Nous devons travailler sur l’alimentation du DMP pour qu’elle soit la plus simple possible et répondre aux besoins qui émergent, comme le carnet de vaccination qui va y être ajouté. Nous organisons des rencontres entre éditeurs de logiciels métier et professionnels de santé, dont l’enjeu est de montrer aux professionnels comment utiliser le DMP dans leurs logiciels. Les données de remboursement s’y trouvent déjà, et nous les avons médicalisées au maximum afin qu’elles soient utiles à un professionnel de santé lors de la prise en charge d’un patient. Nous y ajouterons prochainement les prescripteurs (et les exécutants des actes) qui pourront, au besoin, être contactés par d’autres soignants. Par ailleurs, il faut que les patients s’approprient le DMP pour l’alimenter plus facilement. C’est un enjeu majeur. En matière d’accessibilité du site aux personnes handicapées, nous n’avons pas encore la certification Référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA), mais nous travaillons à sa mise en œuvre.

le contexte

Le dossier médical partagé (DMP) est depuis plus d’un an accessible à tous les Français, après une période de test dans certains territoires. Dès son ouverture, ce carnet de santé numérique est automatiquement alimenté par l’historique des soins des vingt-quatre derniers mois dont dispose l’Assurance maladie. Il contient les allergies éventuelles du patient, les comptes rendus d’hospitalisation ou de consultation, de radio et d’analyses biologiques, accessibles si le patient a donné son accord. Ce dernier peut sélectionner les professionnels auxquels il donne accès à ses données et masquer à tout moment certaines informations. Les soignants, selon leur profession et leur spécialité, peuvent accéder aux seules informations qui leur sont utiles, suivant leurs compétences.