L'infirmière Libérale Magazine n° 368 du 01/04/2020

 

DOSSIER DE SOINS

ACTUALITÉ

Caroline Bouhala  

Lors des Journées cicatrisations 2020, Pascal Vasseur, infirmier, a ouvert le champ de la reìflexion meìdico-leìgale, autour de la pratique infirmieÌre et des soins des plaies, de ses opportunités, mais aussi de ses limites.

« LA MEILLEURE DÉFENSE DU SOIGNANT, C’EST LE DOSSIER PATIENT », affirme Sonia Gaucher, chirurgien plasticien et experte judiciaire à la cour d’appel de Paris, à propos des éventuels litiges que peuvent connaître les professionnels de santé au cours de leur carrière. « C’est ce qui va attester de la qualité de votre suivi et faire valoir comment vous avez pris le patient en charge », poursuit-elle. Sa bonne tenue est d’autant plus importante que les recours devant la justice peuvent avoir lieu plusieurs années après les soins. « Ces affaires, quand elles vous tombent dessus, ce n’est pas la veille pour le lendemain, c’est trois à dix ans après, et si vous n’avez pas correctement noté ce que vous avez fait, vous ne vous en souviendrez pas. » Elle rappelle également qu’établir un dossier de soins est une obligation pour tout soignant : « La loi Kouchner de 2002 décrit dans le détail ce que doit contenir un dossier patient bien tenu. »

Tout tracer

« Les avocats se précipitent sur les affaires d’infirmières car ils sont pratiquement certains de gagner ou au moins de trouver une faille dans le dossier de soins, met en garde Pascal Vasseur, infirmier expert judicaire auprès des cours d’appel d’Aix-en-Provence et de Marseille. Ils sont malins, ils attaquent très souvent sur le défaut d’information. La notion de traçabilité est donc essentielle. »

« Il y a quelques années, on nous offrait un poulet, quelques légumes, aujourd’hui c’est plutôt une lettre d’assignation », plaisante-til. Mais Sonia Gaucher se veut néanmoins rassurante : « L’expertise judiciaire ne doit pas vous faire peur. À partir du moment où les soins ont été adaptés et qu’il est possible de le démontrer, tout se passe bien. » Le dossier de soins doit être conservé vingt ans par l’infirmier. « Il appartient au patient, mais vous avez une obligation d’archivage pour son compte », souligne Pascal Vasseur.

Des photos pour mieux juger

« Les photographies ont une place un peu particulière, car elles ne sont pas mentionnées dans la loi Kouchner, tout comme les SMS et les courriels », note Sonia Gaucher, qui les recommande néanmoins fortement. « Dès que l’on s’occupe de peau, de plaies, de cicatrisation, on est souvent jugé sur des photos. » Mais pour avoir le droit de prendre des clichés, il faut toujours demander l’accord du patient. « Selon les textes, il nous revient d’apporter la preuve qu’on avait bien obtenu le consentement du patient préalablement à la prise de photos. » Pascal Vasseur met d’ailleurs à la disposition des professionnels de santé, sur son site internet (1), un document à télécharger gratuitement qui permet de recueillir les autorisations de droit à l’image. Il rappelle que la conservation des photos suit également des règles. « Le stockage doit se faire dans un disque dur sécurisé avec un mot de passe, précise-t-il. Et le disque dur doit être déclaré et soumis au règlement général sur la protection des données (RGPD). » De plus, certaines conditions sont à respecter pour que les photos soient recevables. « Lorsqu’on m’envoie des photos, je ne prends que celles qui sont datées et en couleurs, sinon elles ne sont pas interprétables », indique Sonia Gaucher, qui recommande d’utiliser un appareil photo non relié à Internet et d’éviter son propre smartphone.

Un métier entre santé et droit

« Nous ne sommes qu’une petite trentaine d’infirmiers, libéraux et hospitaliers, à exercer cette fonction, constate Pascal Vasseur. C’est très peu, car ce métier n’est ouvert aux Idels que depuis 2005. » Cette expertise nécessite une formation complémentaire, notamment en droit, car c’est un métier qui allie santé et droit. « Il existe des diplômes universitaires d’expertise en santé, ensuite il faut obtenir une spécialisation. »« En tant que techniciens de santé, nous traduisons pour les magistrats les termes un peu techniques en mots de tous les jours, poursuit-il. C’est uniquement un éclairage. Notre avis ne doit pas transparaître au sein du dossier. » Son expertise peut porter sur les soins, mais aussi sur la facturation. « D’ailleurs, selon un rapport de la Cour des comptes d’octobre 2019, 30 % des professionnels de santé fraudent en France. »

Des internes et des plaies

À l’occasion de sa présentation « Quoi de neuf dans le traitement des plaies (hors pansements) ? », Sylvie Meaume, vice-présidente de la Société française et francophone des plaies et cicatrisations (SFFPC), a rapporté les résultats d’une étude menée auprès de 700 internes en médecine générale ou spécialisée. Elle montre que 69 % des internes se sentent concernés par le problème de la cicatrisation des plaies, mais qu’ils sont 94 % à considérer que leur formation est insuffisante et 98 % à demander des formations complémentaires. Bonne nouvelle, 74 % d’entre eux lavent les plaies à l’eau et au savon. « Si la situation a bien évolué ces dernières années, ils sont encore 19 % à appliquer des antibactériens et des antiseptiques à chaque réfection de pansement, donc il reste des progrès à faire », conclut le Dr Meaume.

La prévention des escarres fait consensus

Un consensus d’experts, recommandant l’utilisation des hydrocellulaires en prévention de l’escarre, devrait être publié cette année, même si la Haute autorité de santé (HAS), de son côté, refuse d’inscrire ces pansements parmi les outils de prévention. « Tous les hydrocellulaires ne peuvent pas être utilisés, uniquement ceux qui sont composés d’au moins quatre à cinq couches protectrices », précise Sylvie Meaume, qui ajoute que les indications seront extrêmement bordées, « car c’est surtout l’inquiétude de nos payeurs qui, selon moi, limite l’utilisation de ces produits ».

(1) http://www.expertisesante.fr/photographie-des-plaies-et-le-droit-image.html