Réinventer les soins primaires - L'Infirmière Libérale Magazine n° 368 du 01/04/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 368 du 01/04/2020

 

EXERCICE PLURIPROFESSIONNEL

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

Marie-Capucine Diss  

À Toulouse, Olivier Sillas, Idel, a créé une maison de santé pluriprofessionelle. Cette structure assure des missions de prévention et d’éducation thérapeutique. Elle développe aussi des collaborations avec les établissements hospitaliers environnants.

Les patients attendent leur tour dans le couloir de la MSP Health Care Maourines. Certains portent le masque proposé à l’accueil, de rigueur en cette période de coronavirus. Thibault Legentil, médecin généraliste, sort de son bureau et va frapper à la porte de la sage-femme de la structure. Il souhaite lui demander conseil, car il hésite quant aux suites à donner à un résultat d’examen. Renseigné, il retourne à sa salle de consultation, le sourire aux lèvres. Au milieu du couloir, dans le bureau du coordinateur de la structure, Gwenaelle Flament prépare sa tournée infirmière tout en échangeant quelques mots avec Olivier Sillas. Cet infirmier, avec un médecin, Victor Anderes, est à l’origine de la création de cette maison de santé pluriprofessionelle (MSP). Travaillant en cabinet, l’Idel partageait avec l’une de ses associées l’envie de rejoindre d’autres professionnels de santé. Ils se sont installés en 2016, avec un ostéopathe et une diététicienne, dans un local à Borderouge. Sorti de terre vingt ans plus tôt, ce quartier situé à la périphérie de la ville est un désert médical qui ne demande qu’à être cultivé. « Avec la première dynamique créée par ce regroupement, nous avons pu atteindre notre but qui était d’attirer un médecin, explique l’infirmier. C’était un vrai défi. Les généralistes d’aujourd’hui ne sont pas toujours désireux de s’installer, préférant l’exercice en remplacement. Un médecin qui souhaitait travailler en pluriprofessionnel nous a pourtant rejoints. Une fois qu’il est arrivé, il en a attiré d’autres. » Avec cette participation médicale, la MSP peut voir le jour. Un projet de santé est élaboré et présenté à l’Agence régionale de santé (ARS) qui le valide en 2019. Devant répondre à des besoins de santé publique, il est également orienté selon deux axes spécifiques à la maison de santé : l’éducation thérapeutique (ETP) et la fragilité de la personne âgée.

Une véritable opportunité pour les infirmiers

Aux côtés du médecin avec lequel il a fondé la MSP, Olivier Sillas gère la société interprofessionnelle de soins ambulatoires (Sisa) qui redistribue entre les professionnels libéraux de la structure les nouveaux modes de rémunération (NMR) perçus au titre du travail d’équipe coordonné. Ayant suivi la formation incontournable délivrée par l’École des hautes études en santé publique, l’infirmier assure la fonction de coordinateur de la structure. Pour Olivier Sillas, le travail pluriprofessionnel coordonné est une véritable opportunité pour les infirmiers : « Aujourd’hui, nous devons trouver de nouveaux modes d’organisation pour que le médecin se concentre sur son cœur de métier. Les infirmiers ont enfin le droit à l’expression. Ils sont force de proposition. Nous avons une marge de manœuvre énorme, parce qu’il y a tout à réinventer dans les soins primaires. » L’infirmier travaille luimême par délégation de tâches pour la prévention du syndrome de fragilité des personnes âgées et dans le cadre du dispositif Action de santé libérale en équipe (Asalée).

Le fonctionnement en MSP permet de financer des actes infirmiers exclus de la nomenclature et de valoriser de nouvelles initiatives. L’une des attributions d’Olivier Sillas est, selon ses mots, de « créer une véritable dynamique d’équipe pour que les libéraux aient envie de travailler ensemble, qu’ils s’épanouissent. S’ils veulent nous apporter des projets, nous les soutenons en matière de logistique ou de financement ». Cela a été le cas pour Gwenaelle Flament. Depuis son arrivée dans la structure, l’infirmière toulousaine a eu l’idée de mettre en place un protocole d’éducation thérapeutique pour les jeunes patients atteints d’un diabète de type 1 et leurs parents. Habituée à se former régulièrement, elle a suivi une formation consacrée au diabète. Puis elle s’est replongée dans ses cours d’Ifsi relatifs à l’éducation thérapeutique, quitte à y consacrer ses heures de déjeuner passées à potasser dans la pièce de travail d’Olivier Sillas. Une première trame est élaborée et mise en application. « Mon but, explique l’Idel, était d’autonomiser un petit garçon un peu pénalisé lors des sorties, notamment quand il allait au centre aéré. Il est obligé d’avoir un infirmier à ses côtés dans le cadre de son projet d’accueil individualisé. Je suis là pour l’accompagner, mais maintenant il sait tout faire. Quand nous avons commencé, il avait six ans. Ce n’est pas évident d’expliquer le diabète à un enfant de cet âge. Je pouvais passer 20 à 25 minutes avec lui. » Un temps qui n’aurait pu être consacré au jeune garçon hors NMR. Gwenaelle Flament, qui aimerait s’orienter vers les pratiques avancées, projette d’organiser des séances d’ETP plus structurées quand la MSP aura intégré ses nouveaux locaux. Elle pourra alors recevoir les familles.

Délester les urgences

Prochainement, la MSP Health Care Maourines va s’agrandir. La structure comprend actuellement vingt et un professionnels, dont quatre médecins, une dizaine d’infirmiers, une diététicienne, une psychologue clinicienne et une sage-femme. Située à la sortie du métro Borderouge, à quelques centaines de mètres du centre de soins, une pharmacie est également intégrée à la structure. Les infirmiers travaillent sur quatre tournées, qu’ils se partagent en binôme. Dans des locaux qui seront cinq fois plus grands, la MSP offrira un nombre plus important de salles et pourra accueillir une trentaine de professionnels. Quatre autres médecins généralistes seront amenés à rejoindre l’exercice coordonné. Des spécialistes, notamment un ORL et un urologue, devraient aussi intégrer la structure. Ils se partageront une même salle de consultation et assureront des rendez-vous à temps partiel. En outre, le coordinateur a comme projet de disposer d’un plateau technique permettant de traiter les petites urgences de ville. La prise en charge des fractures non chirurgicales, des contusions, des plaies à suturer ou des infections urinaires permettrait de délester les urgences des établissements hospitaliers voisins, saturées. Les relations avec l’hôpital sont d’ailleurs amenées à se développer. En lien avec le réseau de l’hôpital Rangueil, la MSP a récemment organisé, dans sa pharmacie, une journée de dépistage de l’hépatite C. Les professionnels hospitaliers ont formé les professionnels de ville et ont réalisé sur place des échographies. Une expérience probante qui devrait être renouvelée pour d’autres maladies.

Cultiver le compromis

Comment devient-on coordinateur d’une MSP ? Olivier Sillas met en avant la confiance investie en lui par les professionnels qui l’entourent : « Sans le soutien de mes collègues et tout ce qu’ils m’ont apporté depuis des années, jamais je n’aurais eu la force de créer tout cela. » Si l’Idel a suivi une formation, obligatoire pour exercer ce type de fonction, il considère que celle-ci exige un esprit d’entreprise qui ne s’apprend pas dans les manuels. Outre la capacité à monter des projets, la coordination exige des qualités relationnelles. « Un groupe peut vite devenir conflictuel, explique l’infirmier toulousain. Je tiens à ce qu’il y ait de la bienveillance et de la tolérance, je ne déroge pas à ce principe. Que ce soit au niveau paramédical ou médical, c’est moi que l’on vient voir pour la gestion des difficultés relationnelles. On essaie de décrypter ce qui s’est dit, pour faire baisser la tension. Gâcher une relation pour une parole ou un acte, c’est dommage. Je dois être celui qui maîtrise toujours ses émotions. Il faut avoir la culture du compromis, savoir faire émerger le meilleur de chacun. »

Sur un pied d’égalité

Cette qualité relationnelle est un atout de taille. La majorité des professionnels de la MSP ont un passé hospitalier dans les urgences, au sein de groupes soudés. Ils ont la nostalgie du travail en équipe, qu’ils ont quitté pour fuir une hiérarchie qui leur pesait. Thibault Legentil souffrait de la solitude de l’exercice médical libéral. Il se réjouit d’avoir rejoint une structure pluriprofessionnelle : « Ici, c’est comme un petit hôpital. Je vais au travail avec le sourire, je sais que je vais retrouver des collègues, que ça va être sympa. Nous utilisons tous nos compétences, quel que soit notre diplôme. C’est agréable de se dire qu’on a tous besoin les uns des autres. Personne n’essaie de prendre le dessus, parce qu’il n’y a aucun intérêt à le faire. » Un point de vue partagé par Gwenaelle Flament : « Il n’y a pas de hiérarchie entre médecins et infirmiers. Nous travaillons tous sur un pied d’égalité. Je n’ai jamais autant travaillé en équipe qu’aujourd’hui. À l’hôpital, c’est plus anonyme. Ici, je connais mon équipe. Il m’est arrivé d’être confrontée à des situations compliquées, je n’ai jamais été seule pour y faire face. » L’exercice coordonné permet également de mieux travailler autour du patient. Des réunions pluriprofessionnelles ont lieu régulièrement afin d’aborder les cas complexes. Pour Ingrid Peynot, sage-femme de la MSP, « avoir un lien interprofessionnel, c’est un plus. Pour la qualité des soins, la prise en charge, la coordination. Par exemple, ce matin, j’ai eu du mal à retirer un implant, j’ai demandé à mon collègue médecin de venir m’aider. Parfois, j’ai besoin d’Olivier pour des gestes techniques ou la gestion du diabète gestationnel, que nous pouvons suivre ici avec des délais moins longs qu’à l’hôpital ». Une complémentarité qui permettra d’offrir un suivi de proximité à la population du quartier, jeune et issue d’horizons variés.