L'infirmière Libérale Magazine n° 369 du 01/05/2020

 

LA VIE DES AUTRES

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Laure Martin  

Mandataire judiciaire à l’Union départementale des associations familiales du Haut-Rhin (Udaf 68), Anne Berthaud travaille auprès des majeurs protégés.

J’ai su relativement jeune que je voulais m’orienter vers le social, je cherchais un métier me permettant d’être au contact de personnes qui avaient besoin d’aide, se souvient Anne Berthaud. Après avoir tenté le concours d’éducateur spécialisé, elle suit une formation pour devenir conseillère en économie sociale et familiale (CESF).

Après une pause dans sa carrière sociale pour suivre une formation au sein d’une école hôtelière, Anne intègre l’Udaf 68 en 2006, en tant que déléguée aux prestations familiales. Ce poste, qu’elle va occuper pendant cinq ans, consiste à intervenir sur un mandat du juge au sein de familles bénéficiaires des allocations familiales confrontées à des difficultés de gestion budgétaire. « À mon retour de congé maternité, on m’a proposé de prendre en charge les mesures d’accompagnement judiciaire, explique Anne Berthaud. J’ai donc accepté le poste de mandataire judiciaire. »

Intervenir sur mandat du juge

En tant que mandataire judiciaire, sa mission consiste à gérer les mandats de protection pour adultes, prescrits par le juge des contentieux de la protection (ex-juge des tutelles) à la suite d’un signalement effectué par l’hôpital, un établissement médico-social, l’assistante sociale de secteur, etc. La personne elle-même ou sa famille peuvent également saisir directement le juge. Une fois saisi, le juge peut décider de mesures de sauvegarde de justice, de curatelle simple, de curatelle renforcée ou de tutelle (lire l’encadré ci-contre). En général, une telle décision est prise vis-à-vis d’un adulte à la suite de loyers impayés, de dettes, de la disparition de sommes d’argent au profit d’une autre personne constatée par les membres de la famille ou encore parce que le majeur se met en danger.

Aux côtés des personnes protégées

« C’est le juge qui nomme l’Udaf comme mandataire, précise Anne Berthaud. En règle générale, comme nous sommes travailleurs sociaux de formation initiale, il nous choisit pour nos compétences et nous confie des mesures qui concernent des adultes atteints d’importants troubles psychiques. » À temps plein, chaque mandataire judiciaire doit prendre en charge un portefeuille de 52 mesures, soit 52 personnes. Lorsqu’elle reçoit un mandat, Anne Berthaud peut consulter le dossier de la personne au tribunal pour comprendre son histoire. Elle prend ensuite contact avec elle, souvent par courrier, pour lui signaler sa venue avec son chef de service et lui expliquer la mise en place de la mesure. « Nous devons aussi écrire au Fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) pour obtenir les renseignements sur tous les comptes que possède la personne protégée, ajoute Anne Berthaud. Le jugement nous donne mandat pour informer les banques et les organismes que, désormais, nous sommes chargés de gérer ses comptes. »

La bienveillance en bandoulière

« Notre travail est contraignant pour celui ou celle qui fait l’objet d’une telle mesure, reconnaît-elle. En général, je commence par observer sa façon de vivre et je m’adapte à son état et à ses capacités. En étant trop dans la contrainte, il est difficile de tisser un lien de confiance. Nous cherchons donc avant tout à rester bienveillants. Il est fini le temps où le mandataire judiciaire devait gérer l’argent de l’adulte protégé en bon père de famille, et réduire ses frais pour mettre de l’argent de côté. Certes, il faut provisionner un minimum pour anticiper des dépenses pour des soins dentaires ou l’achat d’une machine à laver par exemple, mais nous veillons aussi à accorder une certaine liberté budgétaire. »

Quand le mandataire judiciaire a un mandat aux biens et/ou à la personne, cela signifie qu’il gère les comptes et le patrimoine, mais qu’il a aussi un droit de regard sur la santé du majeur protégé. La situation se complique lorsque ce dernier est dans le déni de sa maladie, notamment en cas de schizophrénie. « Parfois, la personne doit être hospitalisée sous contrainte à notre demande, car la situation devient lourde, violente, confesse Anne Berthaud. Protéger les personnes contre elles-mêmes est l’aspect le plus difficile. » Dans ce contexte, le mandataire judiciaire travaille en partenariat avec les éducateurs, les infirmières, les bailleurs, les assistantes sociales, les familles. « Nous servons d’interface entre tous les acteurs pour le bien-être des majeurs protégés », conclut-elle.

Les différentes mesures de justice

La sauvegarde de justice est une mesure courte, de six mois environ, au cours de laquelle le mandataire judiciaire effectue un diagnostic de l’état des comptes financiers d’une personne. Il réalise un audit en partant d’une ordonnance précise du juge. En curatelle simple, la personne garde le contrôle sur ses comptes courants, et le mandataire judiciaire gère ses comptes épargne. Pour la curatelle renforcée, la personne ne gère plus ses comptes. Cette mission est confiée au mandataire judiciaire qui lui apporte son assistance dans le cadre d’une démarche conjointe, en privilégiant l’entente et le conseil.

Enfin, dans le cadre d’une tutelle, le mandataire judiciaire décide à la place de la personne. Il s’agit alors d’une mesure de représentation.

Elle dit de vous !

« J’ai souvent l’occasion de côtoyer les infirmières libérales dans mon métier. Je pense que nous sommes complémentaires. En intervenant quotidiennement chez les personnes sous mesure judiciaire, elles peuvent nous alerter sur ce que nous ne voyons pas. Les Idels sont nos signaux d’alarme. Elles ont nos coordonnées et peuvent nous contacter en cas de danger potentiel, notamment lorsqu’une personne commence à se sentir menacée, à présenter des troubles du comportement nécessitant une hospitalisation sous contrainte, ou encore si elle n’ouvre plus la porte depuis plusieurs jours. Mais parfois les Idels ont des attentes nous concernant, alors que cela ne relève pas de nos attributions. Nous sommes limités dans notre mandat. Je dois respecter la loi et le cadre des compétences qu’elle me confère. »