L’attractivité du métier d’infirmier commence dès les études. L’engouement récent manifesté au travers des inscriptions à ParcourSup en est la preuve. Mais au-delà de l’attrait exercé par la profession, c’est bien à la fidélisation qu’il convient de s’atteler.
Les nouvelles modalités d’accès aux études en soins infirmiers semblent avoir un réel impact sur l’attractivité de la filière. Devant plus de 100 000 candidatures l’année dernière, les acteurs du secteur ont été les premiers surpris. Pour la première fois, toutes les places dans les Instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) ont été pourvues. « La suppression du concours a entraîné la gratuité d’accès aux études, donc la fin de la sélection sociale qui découlait des tarifs des concours, de ceux des écoles préparatoires, rappelle Félix Ledoux, président de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi). Aujourd’hui, les personnes qui ne pouvaient pas postuler pour des raisons financières peuvent le faire, ce qui participe au grand nombre de candidatures. » Ce choix gouvernemental, qui symbolise un pas de plus dans l’universitarisation des études de santé, rend la filière visible et lisible. « Désormais, la formation est évoquée pendant les heures d’orientation au lycée », poursuit-il. « Au sein de la population, beaucoup de personnes veulent aider les autres et exercer le métier d’infirmier, mais auparavant, le coût du concours limitait les vocations, souligne Florence Girard, présidente de l’Association nationale des directeurs d’école paramédicale (ANdEP). Aujourd’hui, ils peuvent s’inscrire en Ifsi sans frais à payer, c’est attractif. »
Outre la facilitation de l’entrée dans la formation, le métier en tant que tel possède de nombreux autres atouts pour attirer les jeunes. « La bienveillance et l’empathie sont importantes, tout comme le volet relationnel et la proximité avec le patient, associés à la technicité du métier », souligne Félix Ledoux. De même que le format des études, ni trop long, ni trop court, permet d’être en capacité, à l’issue de la formation, d’exercer une activité professionnelle concrète. « Ce qui attire, c’est d’avoir un métier précis, souligne Catherine Kirnidis, infirmière libérale depuis 35 ans, également présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). C’est rassurant, on ne part pas vers l’inconnu. »
Par ailleurs, la génération actuelle affiche la volonté de pouvoir changer de métier ou de profession au cours de sa vie. « Difficile actuellement de trouver une formation qui offre autant de diversité de parcours que les études en soins infirmiers », confirme Félix Ledoux. Hôpital public, privé, libéral, humanitaire, éducation nationale, protection maternelle et infantile, forces de l’ordre : la palette des types d’exercice est large et variée.
Et c’est sans compter sur l’évolution du parcours de carrière proposée à la profession. Avec la mise en place, le 30 octobre 2019, d’un Conseil national des universités pour les sciences infirmières, des postes de maîtres de conférences vont s’ouvrir aux infirmières titulaires d’une thèse de sciences, voire leur permettre, à l’avenir, d’être docteures en sciences infirmières. « Même si la majorité des infirmières resteront au grade de la licence, inscrire la profession dans le système “licence master doctorat” (LMD) donne une meilleure lisibilité à la place des soignantes dans le périmètre des métiers de la santé », indique Martine Sommelette, présidente du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec). Quant au récent diplôme d’État d’infirmier en pratique avancée (Deipa), équivalent au grade de master, « il offre la possibilité de poursuivre des études dans le cadre du parcours LMD, rendant la formation encore plus attractive », soutient Felix Ledoux. « L’universitarisation de la formation est évoquée depuis une décennie, mais depuis deux ans, les changements sont concrets, poursuit Martine Sommelette. Cela permet de redonner un coup de boost à la profession. » Ce nouveau métier offre la possibilité d’acquérir de nouvelles compétences pour prendre en charge des patients avec une autonomie différente : il devient possible de prescrire des examens et de renouveler des prescriptions. « Ce cursus va au-delà des spécialités existantes qui restent techniques et qui n’ont pas, en dehors des infirmières anesthésistes, de reconnaissance au grade de master », ajoute-t-elle.
Au-delà de l’attractivité de la formation, c’est sur la pérennité au sein du métier qu’il semble important de s’attarder. Car la durée de vie professionnelle d’un infirmier est aujourd’hui comprise entre cinq et sept ans. Or la fidélisation au sein de la profession se travaille dès la phase des études. « De nombreux étudiants en soins infirmiers (ESI) souffrent pendant leur formation, déjà parce que le programme est très chargé, tout comme le rythme des stages, mais aussi parce que l’encadrement proposé n’est pas toujours idéal », dénonce Felix Ledoux. Améliorer les conditions de travail au sein des services hospitaliers, permettre aux maîtres de stage de disposer de davantage de temps à consacrer aux patients et aux étudiants permettrait sans doute de donner envie aux ESI de retourner dans les services où ils ont été formés.
De manière plus générale, les récentes manifestations des soignants hospitaliers résument les doléances de la profession : revalorisation salariale, prise en compte de la pénibilité, augmentation du personnel dans les services. Autant de revendications qui participent à la fidélisation des soignants dans le secteur hospitalier, et qui relèvent de la responsabilité des tutelles et des employeurs. « Les difficultés actuelles du monde de la santé et des hôpitaux sont connues, rappelle Martine Sommelette. Les soignants sont fatigués, leur métier ne les fait plus rêver. » « Aujourd’hui, la crise hospitalière existe parce que les infirmières ne peuvent pas exercer avec les valeurs qui les ont conduites à choisir cette profession, poursuit Florence Girard. La réduction des effectifs entraîne une crise des valeurs de l’hôpital public. Et du côté du privé, les salaires élevés des premières années évoluent ensuite vraiment lentement. » Une situation qui conduit les infirmières à se tourner vers le secteur libéral, car « selon la représentation qu’elles en ont, elles pensent pouvoir organiser leurs journées et leurs soins comme elles le souhaitent, indique Florence Girard. D’ailleurs, nous constatons actuellement un accroissement du nombre d’infirmiers qui quittent l’hôpital pour s’installer en libéral. »
« On peut difficilement dissocier le fait que les infirmières hospitalières se tournent sur le libéral des contraintes qu’elles vivent à l’hôpital, avec la charge horaire, le salaire peu valorisé, la réduction du temps à consacrer aux soins et aux patients », estime Catherine Kirnidis. Et de poursuivre : « Lorsque j’ai commencé le libéral en 1984, ce mode d’exercice était l’exception, notamment parce que le conventionnement était encore récent. Progressivement, la représentation de l’exercice libéral a évolué. » De 66 000 en 1996, les Idels sont passées à 120 000 aujourd’hui. Leur croissance démographique est d’environ 5 % par an depuis une douzaine d’années. Ce qui séduit la profession dans l’exercice à domicile ? La relation aux patients, une façon différente de travailler, le fait d’être sur le terrain, en relation directe avec les gens, d’entrer dans leur intimité. « Nous prenons en charge nos patients dans la durée, indique Catherine Kirnidis. On les connaît, on tisse parfois des liens d’amitié. » Une relation plus difficile à établir à l’hôpital. L’attractivité du secteur libéral repose peut-être aussi sur le fait que les Idels ont une pratique diversifiée, contrairement aux infirmières hospitalières, majoritairement affectées à un service. « Nous sommes infirmiers en soins généraux et cela a du sens », ajoute-t-elle.
Le libéral offre par ailleurs une certaine souplesse d’organisation de son temps de travail et de sa vie privée. Les Idels peuvent, si elles le souhaitent, s’organiser en équipe, afin de conjuguer plus facilement leurs vies personnelle et professionnelle. Une palette de propositions s’ouvre devant elles : maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), équipes de soins primaires (ESP), communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), etc. « Le déploiement de ces structures leur offre la possibilité d’un exercice moins isolé et une meilleure qualité de vie », soutient Florence Girard. Les étudiants en sont d’ailleurs conscients et souhaitent de plus en plus exercer au domicile des patients. « Auparavant, les jeunes recherchaient la sécurité dans une structure salariée, mais aujourd’hui, on constate que ceux de la génération Z ont déjà, dès l’Ifsi, le projet d’un exercice à domicile, remarque Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). C’est assez générationnel, mais c’est aussi lié au rapport au travail d’un point de vue sociologique, avec un changement réel des mentalités. Les jeunes affichent la volonté de périmétrer leur temps de travail à leurs envies. Ils recherchent moins le “tout sécurité” . Les loisirs, le temps familial sont devenus tout aussi importants. » En outre, un autre avantage n’est pas négligeable : le salaire. « Le secteur libéral peut être un peu compliqué d’un point de vue organisationnel, mais il est clair que nous gagnons mieux notre vie qu’à l’hôpital », reconnaît Catherine Kirnidis, précisant que le revenu moyen d’une Idel est d’environ 51 000 € par an.
Daniel Guillerm estime néanmoins « qu’il ne faut pas comparer ce qui n’est pas comparable. En libéral, nous sommes entrepreneurs, nous pouvons être dérangés n’importe quand, avoir des soucis avec la comptabilité, l’administratif, la Caisse primaire d’assurance maladie (Cpam), les collègues, et nous n’avons pas de congés payés. Cela n’a rien à voir avec un service hospitalier qui offre des avantages non comptabilisés en salaire ». Il ne faut donc pas uniquement faire ce choix pour des raisons économiques et financières. Effectivement, les contreparties de l’exercice libéral ne doivent pas être oubliées : il peut être à l’origine d’un certain isolement, exige de s’organiser selon les disponibilités des patients, et pour avoir un revenu élevé, les Idels ne doivent pas lésiner sur leurs heures de travail. « Le problème de la rémunération à l’acte, c’est que la prise en charge éducative, relationnelle, n’est pas vraiment reconnue, pointe du doigt Martine Sommelette. Les Idels le font bénévolement. Peutêtre faudrait-il davantage de rémunérations forfaitaires ? »
D’ailleurs, il n’est pas rare que les infirmières engagées dans ce mode d’exercice, sans en avoir mesuré les contraintes au préalable, déplaquent. « C’est le cas lorsque l’exercice libéral est un choix par défaut, une fuite de l’hôpital sans véritable projet professionnel, rapporte Daniel Guillerm. Après l’installation, certaines se rendent compte que ce n’est pas l’Eldorado promis ou espéré. » Il est donc indispensable de bien penser son projet professionnel, son lieu d’installation et d’échanger avec les futurs confrères. « Il y a souvent une confusion entre libéral et liberté, mais il ne faut pas oublier que nous sommes contraints par les textes réglementaires et les données économiques, rappelle le président de la FNI, qui plaide pour des modules de formation obligatoires avant toute installation en libéral. Nous sommes des chefs d’entreprise. » Et de poursuivre : « Le facteur humain est également très important. Il faut partager une même vision du métier avec ses collègues, se renseigner sur la profession dans sa dimension soignante et entrepreneuriale, laquelle est souvent occultée par les nouveaux installés. »
Pour autant, l’exercice libéral aujourd’hui n’a pas besoin de mesures pour être plus attractif afin de couvrir les besoins. D’autant « qu’on risque de se retrouver avec des professionnels qui se lancent dans le libéral avec des critères confus, met en garde le président de la FNI. Il vaudrait mieux réfléchir à mieux rémunérer et rendre attractif l’exercice en structure pour rétablir un équilibre. »
« Dans libéral, il y a liberté, ce qui implique que nous pouvons organiser nos soins comme nous le souhaitons pour la meilleure prise en charge possible du patient, rappelle Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière. Il ne s’agit cependant pas d’une liberté totale et sans devoirs. » Et de conclure : « Le choix du libéral se fait parfois par défaut, alors qu’il faudrait donner l’envie aux infirmières de s’installer pour être au cœur des soins, pour l’approche holistique des soins, pour notre organisation territoriale. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de convaincre, mais d’informer sur les devoirs et les projets que nous devons porter pour la société, avec l’idée de faire partie d’un tout, d’un système. »
Face au mal-être qui se ressent au sein des professions médicales en général, et chez les infirmiers en particulier, le diplôme interuniversitaire (DIU) soigner les soignants a vu le jour en 2015, au sein des universités de Toulouse et Paris-Diderot. L’objectif est triple. Tout d’abord, accompagner les soignants face aux évolutions et aux changements du système de santé et de l’organisation des soins, afin de répondre aux besoins avérés de ces professionnels et aux attentes des usagers. Ensuite, les aider, les accompagner et prendre en charge ceux qui sont en difficulté, réelle ou potentielle, pour leur permettre de préserver ou de restaurer leur santé et de concilier l’exercice professionnel avec un projet de santé et de vie. Enfin, susciter et animer des interventions de promotion de la santé des soignants visant à améliorer la qualité de vie au travail, à prévenir les risques psychosociaux, à préserver et à développer le bien-être professionnel. « Depuis deux ans, les infirmiers peuvent intégrer le DIU, rapporte le Dr Éric Galam, directeur du diplôme. La question de l’entraide entre pairs est importante lorsqu’on parle de l’attractivité d’une profession. » Outre la prévention et la prise en charge des difficultés, les soignants apprennent également à identifier les ressources disponibles sur le territoire pour accompagner ceux qui en ont besoin.
http://diu-soignerlessoignants.fr/
Deux numéros d’appel en cas de difficulté : 0800 288 038 ou 0805 23 23 36
« Les étudiants en soins infirmiers (ESI) sont encore peu nombreux à envisager une installation en libéral. Lorsqu’ils l’évoquent ou considèrent ce projet, ils redoutent les compromis qu’ils vont devoir faire… Comme l’installation en libéral n’est pas possible dès la fin des études, les jeunes diplômés débutent par le salariat, donc s’établissent dans une ville, s’engagent dans un service, et éventuellement construisent une vie de famille, investissent dans un projet immobilier. De fait, ceux qui envisageaient d’exercer en libéral sont prêts à y renoncer, car cela implique, après quelques années de salariat, de trouver un emplacement, voire de déménager, d’investir pour monter la structure. La démarche n’est pas si simple s’ils ont déjà des charges courantes. En outre, leur famille doit être prête à suivre… Aujourd’hui, les ESI sont nombreux à songer au travail à domicile, à l’intérêt de ce type d’exercice, au bénéfice de prendre en charge le patient dans son cadre de vie. Mais ils manifestent une appétence pour l’exercice à domicile, et non pour le libéral. Il faudrait permettre aux infirmiers de s’installer en libéral dès leur diplôme en poche. Nous sommes la seule profession libérale de santé à ne pas pouvoir le faire, une restriction que nous ne comprenons pas. Pourtant, cela encouragerait davantage à l’installation des jeunes infirmiers qui pourraient se projeter tout de suite dans ce mode d’exercice. »
« Le libéralisme des Idels est loin d’être celui des médecins »
1 L’exercice libéral manque-t-il d’attractivité ? Je ne le pense pas. La problématique actuelle est davantage centrée sur la préservation du métier à l’hôpital. Il ne faut pas oublier que les infirmières salariées françaises sont placées au 28e rang des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en termes de rémunération. Or, l’attractivité d’un métier est notamment garantie par son salaire. En France, les conditions de travail des infirmières diplômées d’État salariées sont dégradées, avec un pouvoir d’achat en berne. En libéral, les infirmières semblent moins subir leur travail. Et avec le virage ambulatoire, l’avenir paraît davantage tourné vers les soins de ville que vers l’hôpital. On observe d’ailleurs une sorte d’idéalisation de l’exercice libéral par les hospitalières, qui s’orientent vers ce mode d’exercice en espérant reprendre le contrôle de leur activité, le risque étant que ce soit davantage une fuite qu’un réel attrait pour ce mode d’exercice.
2 Les Idels expriment néanmoins un ras-le-bol, manquent-elles de reconnaissance ? Les infirmières qui ne sont pas cadres ni accaparées par le travail administratif ont souvent l’impression d’être incomprises. Ce n’est pas spécifique au libéral, c’est davantage lié à la position de l’infirmière au sein du travail soignant. Néanmoins, ce qui me semble scandaleux, c’est le laxisme du gouvernement vis-à-vis des médecins libéraux. Ils ne font plus de gardes, n’assurent plus la permanence des soins, bénéficient d’une liberté d’installation, peuvent pratiquer un dépassement d’honoraires, etc. Je peux comprendre que les infirmières libérales le vivent comme une injustice, car contrairement à elles, ils sont choyés par l’Assurance maladie. Le libéralisme des Idels n’est pas celui des médecins qui, lui, est intégral. Le pouvoir médical est encore très net en ambulatoire, alors que désormais, à l’hôpital, il y a une claire conscience que les médecins, les infirmiers et les aides-soignants sont dans le même bateau. On assiste à l’effondrement de la hiérarchie et au développement d’une solidarité interprofessionnelle qui n’existe pas en libéral.