CORONAVIRUS DISEASE 2019
SUR LE TERRAIN
ENQUÊTE
La pandémie due au coronavirus émergent a obligé les acteurs des soins de ville, infirmières libérales en tête, à réorganiser complètement leur exercice quotidien. Exemples sur le terrain, au sein de maisons de santé pluridisciplinaires, d’équipes de soins primaires et de communautés professionnelles territoriales de santé.
À l’hôpital public, le déclenchement du plan Blanc, dès le 6 mars 2020, a ouvert la voie à une vaste réorganisation des services et au report des interventions non urgentes, permettant ainsi de mettre à disposition, en quelques semaines, 14 000 lits de réanimation sur tout le territoire national, au lieu de 5 000 habituellement. Les soins de ville n’ont pas été en reste et se sont organisés également, avec d’autant plus de facilité que des structures coordonnées existaient déjà. « Le secteur ambulatoire s’est mobilisé spontanément avant la fin de la phase 2, car l’épidémie était inévitable », estime la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé (FCPTS) qui n’hésite pas à qualifier de “plan Blanc ambulatoire” les actions mises en place par les CPTS et des élus locaux pour faire face à l’épidémie.
Dans le département du Nord, à proximité de la frontière belge, la CPTS Pévèle du Douaisis venait tout juste de voir son projet de santé validé par l’Agence régionale de santé (ARS) quand les premiers patients atteints de Covid-19 ont été détectés en France. « Nous avons immédiatement fait le constat que nous allions nous retrouver à suivre des patients en nombre important, raconte Caroline B., l’une des Idels de la CPTS. L’idée d’un protocole de télésuivi infirmier s’est imposée assez rapidement. » En moins d’une semaine, le protocole est écrit et Caroline B. prend en charge ses premiers patients, dès le 23 mars. C’est le médecin traitant qui décide de l’inclusion du patient et ce dernier choisit l’Idel qui va le suivre parmi les vingt-six qui participent au projet. Il s’agit des patients de plus de 70 ans, ainsi que des femmes enceintes, des personnes avec un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 40 et des malades chroniques (cardiaques, dialysés, diabétiques, asthmatiques, immunodéprimés ou atteints de cancer). Mais le médecin peut aussi inclure des personnes plus jeunes et en bonne santé, mais qui présentent des symptômes particuliers. « Le protocole nous a permis de lister tous les signes d’alerte qui doivent nous conduire à contacter le médecin traitant ou à appeler directement le Samu, explique Caroline B. Le suivi est quotidien et se poursuit jusqu’à J10 et la fin de la toux. Nous adressons régulièrement des comptes rendus au médecin traitant via la messagerie sécurisée. » Le télésuivi se déroule par téléphone ou par vidéo. « Rien qu’à la voix, on peut se rendre compte de beaucoup de choses, notamment de l’essoufflement du patient », note Caroline B. L’appel dure une dizaine de minutes. L’Idel demande au patient de compter à haute voix sans reprendre sa respiration pour estimer la saturation, lui fait prendre son pouls, lui demande sa température et l’interroge sur son état général (vomissements, malaise, diarrhée, etc.).
Lorsque le protocole a été mis en place, les Idels ne savaient pas encore comment elles seraient rémunérées, même si la piste d’un AMI 3 commençait à être étudiée. « On verra cela plus tard, résume Caroline B. L’urgence est d’abord de pouvoir prendre en charge correctement nos patients, de les rassurer et d’éviter les présentations inutiles dans les services d’urgences. »
Dans le Bas-Rhin, l’un des départements les plus durement touchés par l’épidémie, c’est dans le cadre d’une équipe de soins primaires (ESP) qu’une organisation d’urgence a pu se mettre rapidement en place. « Je suis présidente de l’ESP de la Zorn qui a été créée en juin 2019, relate Véronique Lauffer, Idel à Mommenheim, au nord de Strasbourg. Nous avons profité de cette structure coordonnée naissante pour mettre en place des protocoles de prise en charge de nos patients chroniques pendant cette période de crise pour éviter les transmissions croisées du virus. » Des télésuivis de patients atteints et des téléconsultations avec les médecins traitants pour les patients chroniques sont mis en place pour leur éviter de sortir et faire gagner du temps médical aux généralistes. « Nous avons aussi décloisonné nos patientèles et une coordinatrice bénévole centralise tous les appels, ajoute Véronique Lauffer. Nous avons ainsi pu organiser les tournées en deux équipages avec quatre voitures et nous fonctionnons selon un protocole établi avec un hygiéniste. » Chaque équipage est ainsi composé d’une voiture “propre” et d’une voiture “sale”. Les véhicules sont entièrement protégés et désinfectés chaque jour. Dans la voiture “sale”, l’habitacle est séparé par une bâche en plastique du coffre qui contient tout le matériel qui sort du domicile d’un patient infecté. La voiture “propre”, conduite par un kinésithérapeute ou par une Idel dont l’état contre-indique les visites à domicile, contient le matériel et l’équipement nécessaires à l’Idel qui est au contact des patients et qui conduit l’autre voiture. C’est également le soignant de la première voiture qui prend note des comptes rendus des visites pour que l’Idel au contact du patient ne touche aucun papier ni stylo chez lui. Enfin, les pharmaciens du secteur se sont organisés pour délivrer et préparer les médicaments des patients chroniques qui sont ensuite apportés à domicile par les Idels. « Je suis Idel depuis 35 ans et je n’aurais jamais imaginé exercer dans un tel contexte épidémique, mais j’aurais rêvé de travailler comme cela, conclut Véronique Lauffer. Nous avons monté un projet de santé en moins de dix jours pour répondre à une situation de crise, c’est une expérience magnifique. » L’ESP envisage aujourd’hui de se transformer en CPTS, à terme.
Dans l’Aisne, Isabelle Guyard exerce dans une maison de santé pluridisciplinaire (MSP) de dix-sept professionnels, dont quatre Idels, qui a ouvert en janvier dernier. Tous les cabinets au sein de la MSP sont fermés aux patients, à l’exception de ceux des généralistes et du cardiologue. « Nous-mêmes, nous n’assurons plus de permanence sur place, raconte Isabelle Guyard. Les médecins traitants font beaucoup de téléconsultations et reçoivent à la MSP leurs patients chroniques notamment, les urgences, ainsi que les patients qui ne peuvent bénéficier d’une téléconsultation pour raisons médicales ou techniques. » Tous les patients sont reçus uniquement sur rendez-vous auprès du secrétariat et sont seuls quand ils patientent en salle d’attente. « Nous avons en parallèle diminué le nombre de nos tournées et nous privilégions le suivi par télésoins lorsque c’est possible, ajoute Isabelle Guyard. Nous regroupons également les patients atteints de Covid-19 en fin de tournée, en début d’après-midi, car on s’habille différemment et on se protège davantage. » La patientèle s’est par ailleurs réduite naturellement puisqu’il y a, par exemple, beaucoup moins de soins postchirurgicaux à réaliser. Tous les bilans non urgents ont en outre été reportés. « Ce qui est difficile à vivre, c’est que parfois nos patients ont l’impression d’être abandonnés, même si on continue de les appeler, confie Isabelle Guyard. Au bout de trois semaines de confinement, j’ai eu certains patients au téléphone qui faisaient des crises d’angoisse et j’ai dû y aller pour les rassurer. »
En Haute-Garonne, si l’épidémie était encore de basse intensité en avril, des protocoles ont également été mis en place rapidement pour prendre en charge les suspicions de Covid-19 de manière sécurisée. Yvonne Léon a son cabinet libéral à Pins-Justaret, à 10 km au sud de Toulouse, et exerce aussi habituellement dans un centre de santé d’aide par le travail pour les personnes handicapées, dont l’activité est provisoirement suspendue. « En Occitanie, des mairies ont mis à disposition des salles pour installer des centres dédiés aux personnes qui présentent des symptômes de Covid-19, raconte Yvonne Léon qui intervient dans l’un d’eux, à Lherm. Les patients, qui se présentent spontanément ou sont envoyés par leur médecin traitant, sont d’abord reçus par une Idel. On leur fournit un masque, ils se lavent les mains, on mesure la température et la saturation et on leur pose une série de questions. Ils sont ensuite reçus par un généraliste. » Infirmière hygiéniste de formation, Yvonne Léon a mis ses compétences à profit, à la demande des médecins, pour élaborer le circuit des patients dans le centre et les procédures de désinfection des locaux et du matériel. Au départ, les interventions des Idels dans le centre étaient bénévoles, mais une cotation dérogatoire est en cours d’élaboration pour les rémunérer. Ses propres tournées sont également réorganisées. Les visites chez les patients pour lesquels les soins n’étaient pas indispensables ont été suspendues provisoirement si la famille pouvait y suppléer. « Nous avons aussi changé nos tenues de travail, détaille Yvonne Léon. Nous avons protégé les sièges des voitures avec des housses qui nous ont été données par des garagistes et nous ne rentrons plus au domicile des patients avec la mallette, nous ne prenons que le strict nécessaire. On demande à la personne visitée d’aérer dix minutes avant notre arrivée et d’être seule dans la pièce. C’est une organisation qui donne du travail et génère pas mal de stress. » Mais ici comme ailleurs, les patients âgés ont été plutôt rassurés par toutes ces procédures et nouvelles organisations qui ont chamboulé l’exercice de leurs Idels.