En Espagne, tous les patients qui présentent des symptômes d’infection par le nouveau coronavirus sont immédiatement orientés vers les hôpitaux. Ces malades sont donc exclus des visites à domicile. En revanche, les infirmières libérales espagnoles sont très sollicitées pour épauler les effectifs dans les établissements de soins, publics et privés.
LA PANDÉMIE DUE AU SARS-COV-2 A CHAMBOULÉ L’ORGANISATION DES SYSTÈMES DE SOINS DES PAYS OÙ SÉVIT LE CORONAVIRUS, a fortiori en Espagne, l’un des territoires les plus touchés, avec plus de 20 000 morts déjà recensés. L’état d’alarme, décrété le 13 mars dernier par le président du gouvernement Pedro Sanchez, a impliqué une restructuration des hôpitaux, où 80 % des effectifs sont dédiés à la prise en charge des patients infectés. Ceux qui présentent des symptômes doivent d’abord appeler les services d’urgence avant d’être conduits en ambulance vers les hôpitaux.
De ce fait, les infirmières libérales ne s’occupent pas des malades du Covid-19 à domicile. « Nous posons systématiquement quelques questions avant de nous rendre chez les patients afin de nous assurer que ni eux ni leurs proches ne présentent des signes d’infection, confirme Carla Ramirez, qui exerce à Barcelone. Les visites concernent désormais essentiellement le traitement des maladies chroniques chez les personnes à risque qui préfèrent, avec raison, ne pas sortir de chez elles. »
Les règles du confinement placent en outre les infirmières à domicile dans un état d’isolement, note de son côté Noelia Pérez-Velasco (Huelva) : « J’ai l’impression d’être davantage livrée à moi-même. » Car dans ce contexte de crise et de mobilisation de tout le personnel soignant disponible, les infirmières n’ont plus tellement l’occasion de contacter un médecin pour adapter le traitement de leurs patients. « Actuellement, on peut tout juste faire une rapide consultation médicale par téléphone pour confirmer un traitement, comme cela m’est encore arrivé aujourd’hui pour une infection urinaire », ajoute Noelia Pérez-Velasco. Une situation parfois ressentie comme une source de stress supplémentaire, mais qui prouve aussi l’intérêt des dernières dispositions légales adoptées en Espagne pour permettre aux infirmières d’établir des prescriptions.
La diminution du nombre de visites à domicile a cependant été largement compensée par la forte demande des établissements de soins publics et privés, où les infirmières libérales sont venues en renfort afin de pallier les défections des quelque 20 000 professionnels soignants victimes du virus au cours des dernières semaines. Concepcion Rocamora intervient actuellement tous les jours à l’Imas, un Ehpad de Murcia : « Les conditions de travail y sont très différentes, car les règles de sécurité sanitaire adoptées ici sont très strictes, avec notamment une prise de température à l’entrée et une interdiction d’accès au-delà de 37°. » Le temps de travail est également allongé, avec des journées continues de 24 heures pour éviter de multiplier les entrées et les sorties, donc le risque d’infection. La sécurité s’impose également au niveau des tenues des infirmières qui doivent côtoyer des personnes à risque, comme c’est le cas dans les établissements où intervient Carla Ramirez : « C’est évidemment très inconfortable de travailler dans ces conditions. » Au moins ses employeurs lui ont-ils fourni, dès le départ, tous les équipements de protection individuelle nécessaires. Ce qui est loin d’être le cas partout ailleurs.
De fait, une grande partie du personnel soignant a contracté le virus au début de l’épidémie, faute de disposer des protections requises. Noelia Pérez-Velasco a dû acheter elle-même ses blouses, masques, gants et gel hydroalcoolique : « Cela a été un peu compliqué, car j’habite un village où les pharmacies ont été rapidement à court ; il m’a donc fallu commander en gros auprès de fournisseurs spécialisés pour faire des provisions d’équipements. » Le risque de contagion est une préoccupation permanente pour les infirmières, pour elles-mêmes comme pour leurs patients ou leurs proches. Concepcion Rocamora a établi son propre protocole pour éviter d’exposer son mari et ses enfants : « Lorsque la journée de travail s’achève, je rentre à la maison par la porte du jardin, ensuite je vais à la salle de bains, j’enlève tous mes vêtements que je mets à laver à 60°, puis je prends une douche pour un maximum de précaution. » L’infirmière se console en se disant que c’est une occasion pour prendre de bonnes habitudes à long terme : « Dans la pratique, c’était déjà évidemment le cas pour nous, mais désormais tout le monde va apprendre l’importance de l’hygiène, de vivre avec un masque et des gants ; ce sera une garantie supplémentaire d’exercer en sécurité. » Reste la charge émotionnelle, qu’il faudra bien évacuer : « Pour l’instant, nous vivons avec ce stress que toutes les infirmières partagent, mais tant que nous sommes sur le terrain, ça va… Je crois surtout que nous en subirons les conséquences à contretemps, à la fin de cette crise. »