L'infirmière Libérale Magazine n° 369 du 01/05/2020

 

PANDÉMIE

ACTUALITÉ

Anne-Lise Favier  

Rompues à la tâche quotidienne des visites, les infirmières libérales continuent de faire face pour assurer les tournées chez leurs patients. Avec un risque d’épuisement et de fatigue morale qui ne doit pas être négligé.

DEPUIS LE DÉBUT DE LA CRISE SANITAIRE QUI SECOUE LE MONDE, les infirmières sont mises en avant comme un maillon essentiel du système de santé. Mais en dehors des hôpitaux et des structures de soins, elles sont également nombreuses à occuper le terrain, peut-être plus discrètement. « Les infirmières libérales ont toujours été très engagées sur le terrain, constate le Dr Éric Henry, président de l’association Soins aux professionnels de santé (SPS). Dès le début de l’épidémie, elles ont su prendre la situation en mains, pour s’équiper, se préserver, mais aussi pour protéger les patients qu’elles visitent. »

Malgré tout, « nous sommes tributaires de nos propres protocoles de prise en charge, on se sent abandonnées de nos instances, regrette Sandra, infirmière en région lilloise. C’est le système D, la débrouillardise qui nous aide à tenir. On a pu récupérer des masques un peu partout, certains patients nous en ont offerts, avant que les pharmacies nous délivrent royalement un mini stock qui ne suffit pas pour tenir la semaine, on s’équipe comme on peut, parfois avec des sacs poubelle en guise de blouse. » Une situation vécue comme un abandon par certaines professionnelles : « Lorsque nous sommes confrontées à des cas graves, des patients à domicile, ce n’est vraiment pas simple… Ici, une structure de soins palliatifs nous épaule, mais pour le reste, nous sommes les oubliées du système de soins », déplore Sabrina, infirmière dans l’est de la France, qui décrit des conditions de travail lourdes psychologiquement.

Une forte charge mentale

Ainsi, même si le système D et la débrouille fonctionnent bien sur le terrain, ils vont de pair avec la fatigue morale et l’épuisement psychique : « Nous avons dû repenser nos tournées pour continuer d’intervenir auprès de nos patients atteints de Covid-19 sans risquer de contaminer ceux qui n’ont pas contracté le virus. La charge mentale est lourde, on réfléchit à chacun de nos actes, comme éviter les poignées de porte, les sonnettes, et on vit presque la peur au ventre d’infecter quelqu’un », rapporte Sandra. Une fois les visites de fin de journée terminées, certaines infirmières libérales ont improvisé un sas de décontamination dans leur garage, avec toujours cette crainte de contaminer leurs proches. « J’ai dû prendre de la distance avec mon conjoint et mes enfants. Nous vivons sous le même toit, nous n’avons pas le choix, mais on évite les contacts rapprochés, confesse une infirmière qui a même choisi de dormir sur un clic-clac dans une pièce séparée de la maison. Une double peine pour ces Idels, car « nous avons besoin de décompresser et de nous sentir épaulées », explique-t-elle. « Les infirmières sont comme des abeilles, sur le terrain, elles sont très productives, mais elles ne doivent pas oublier qu’elles avancent sur un champ de mines, et qu’elles doivent se protéger aussi psychologiquement », met en garde le Dr Éric Henry. À cet égard, il rappelle que l’association SPS fonctionne en continu, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, pour proposer une aide aux infirmières libérales : « L’écoute est déjà très importante, car elles n’ont pas de référent direct comme cela peut être le cas au sein d’un établissement de santé. Elles doivent se protéger, bien entendu, mais aussi parler et expliquer leur ressenti, formaliser leurs peurs. Et si elles se sentent épuisées, évoquent des idées noires, se reposer devient urgent. Dans ce cas, nous les adressons à un professionnel référent », souligne le Dr Henry, tout en concluant que ces professionnelles paieront un lourd tribut à la lutte contre la Covid-19.

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