Depuis l’émergence du nouveau coronavirus, l’association Infirmiers de rue, qui œuvre à Bruxelles, s’est réorganisée et multiplie les maraudes, pour être au plus près des personnes en situation de grande précarité
Selon l’institut belge de santé Sciensano(1), la Belgique comptait, le 14 mai 2020, 54 288 cas confirmés de Covid-19 et 8 903 décès, pour une population de 11,46 millions d’habitants. Derrière ces chiffres, les acteurs de terrain ont mis toute leur énergie dans la réorganisation de leurs pratiques professionnelles afin de protéger les plus vulnérables. C’est le cas de l’association sans but lucratif Infirmiers de rue (IDR)(2), créée à Bruxelles en 2006, et qui a ouvert mi-mai 2019 une antenne à Liège. Son objectif est de sortir de la rue les personnes en situation d’extrême précarité, tout en veillant sur leur santé et leur hygiène et en facilitant leur réinsertion de manière durable, dans un logement mais aussi au sein de la société.
« Dès le début du mois de mars, nous avons instauré des mesures d’hygiène dans nos locaux puis, à la mi-mars, toute l’équipe est passée en télétravail pour les temps de transmission et d’échange, souligne Cécile Autin, infirmière au pôle logement de l’association IDR. Nous sommes organisés en deux sections, le pôle rue et le pôle logement, et nous avons très rapidement mis en place une nouvelle organisation, en limitant les interventions au domicile des personnes que nous suivons habituellement. Nous avons distribué des téléphones portables à celles qui n’en n’avaient pas, afin de pouvoir échanger avec elles et les rassurer. Nous avons effectué un important travail de suivi à distance afin de toujours garder le contact. Lorsque des soins se révélaient nécessaires, ils ont été réalisés en portant un masque FFP2 et une blouse. Nous pensions devoir faire davantage d’éducation à la santé, mais les personnes ont assez vite intégré les gestes barrière, ainsi que la limitation des déplacements. Nous avons constaté qu’elles avaient des ressources pour prendre soin d’elles, davantage que ce que nous pensions. C’est un point positif. Cela doit nous aider à changer notre regard sur leurs capacités à vivre cette situation de crise sanitaire. »
Pour le pôle rue, la gestion de la crise a été, dans un premier temps, plus complexe. Entre le 18 mars et le 22 avril 2020, les infirmiers de rue ont en effet effectué plus d’une centaine de maraudes, à Bruxelles et à Liège, et sont allés à la rencontre de quelque 700 personnes sansabris. Au plus fort de la crise, 20 maraudes hebdomadaires ont été réalisées. Cette amplification de la charge de travail sur le terrain n’a pu être absorbée que grâce au renfort apporté par six personnes du pôle logement.
Fermeture des cafés, des restaurants sociaux, des fontaines, des structures d’hygiène pour les douches et les toilettes, des stations de métro pour se mettre à l’abri, fin de la mendicité… La liste noire est longue pour ceux qui vivent à la rue. D’une part, la crise sanitaire a rendu encore plus vulnérables les personnes qui l’étaient déjà, et d’autre part, elle en a fragilisé de nouvelles. « Nous avons constaté une augmentation du public touché dans la rue, et nous avons généralisé une distribution de nourriture et d’eau cinq jours par semaine, explique Pierre Ryckmans, coordinateur et responsable médical de l’association IDR. D’emblée, nous avons voulu affronter la situation, sans compter sur d’autres structures qui ont rouvert plus tard, au fil de l’évolution de l’épidémie. Nous avons opté pour de la nourriture facile à distribuer et à consommer. » Fruits, produits alimentaires emballés, eau, mais aussi savon, crème hydratante, slip, chaussettes, lingettes, solution hydroalcoolique… Cette distribution s’est faite dans le cadre d’un accompagnement au plus près des personnes. « J’ai adopté un discours de prévention inédit, de l’ordre de l’urgence vitale, et je sensibilisais aux symptômes de la Covid-19, confie Cécile Autin, venue en renfort au pôle rue. J’ai effectué des prises de température dans la rue, pas systématiquement mais à la demande. Au début, j’ai réalisé beaucoup plus de soins techniques, pour soigner des plaies aux jambes par exemple. Je portais un masque FFP2, une visière de protection et des gants, et la personne soignée portait elle aussi un masque. Ce qui n’est pas évident pour celles qui présentent une maladie mentale. » Cette crise sans précédent a poussé les autorités de la capitale belge à ouvrir des hôtels pour reloger des personnes à la rue. Dans la commune d’Anderlecht, par exemple, un hôtel a ainsi ouvert ses portes à 31 personnes, qui seront hébergées jusqu’à la fin juin. L’association IDR y assure, deux fois par semaine, une surveillance médicale. Et après cette date ? La question reste posée…