Seul territoire français à être resté confiné après le 11 mai, en raison de l’importante circulation du virus Sars-CoV-2, Mayotte connaît de fortes tensions sociales et économiques qui compliquent le travail quotidien des infirmiers libéraux.
PARMI LES 1 061 CAS DE COVID-19 RECENSÉS DANS LE DÉPARTEMENT INSULAIRE DE L’OCÉAN INDIEN, 50 personnes ont dû être hospitalisées, 10 sont en réanimation (dont un cas en réanimation néonatale) et 12 sont décédées. Tel était le bilan au 11 mai, selon l’Agence régionale de santé (ARS) de Mayotte, créée en janvier dernier. À la même date, il faut ajouter 3 600 cas de dengue, une maladie qui a fait 16 morts depuis le début de l’année.
« De la mi-mars à la mi-avril, le confinement a été assez bien respecté, souligne Éric Roussel, représentant à Mayotte et secrétaire adjoint de l’URPS infirmiers de l’océan Indien. Mais il a généré beaucoup de travail informel, légal ou non, entraînant des impacts économiques considérables pour tous. La préparation du ramadan, qui a débuté le 25 avril, a augmenté la fréquentation des marchés et les files d’attente pour la distribution de colis alimentaires. Puis les associations ont rectifié le tir, en se déplaçant jusqu’au domicile des plus démunis pour éviter les rassemblements et réduire les contacts. »
Dans l’archipel, 84 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté (au lieu de 16 % dans l’Hexagone), 40 % des logements sont des cases en tôle et 30 % des familles n’ont pas accès à l’eau courante(1). Un véritable dilemme pour faire respecter les gestes barrière nécessaires pour lutter contre l’épidémie de Covid-19.
En temps normal, l’accès aux soins est déjà aléatoire. Mayotte ne compte que 150 Idels et 20 médecins libéraux pour une population officielle de quelque 270 000 habitants (probablement plus de 400 000 en comptant les immigrés comoriens). Le centre hospitalier (CHM) dispose actuellement de 30 places en réanimation, à la suite de la réorganisation de ses services et du déclenchement du plan Blanc, le 14 mars, date du premier cas recensé sur l’île. Alors, au quotidien, chacun se débrouille pour assurer le suivi des patients et protéger les plus fragiles. « Pour se rendre dans les logements sans eau courante, chaque soignant emporte son gel ou sa solution hydroalcoolique reçue d’une rhumerie de La Réunion, souligne Éric Roussel qui exerce à Dzoumogné, au nord de Mayotte. Et souvent, nous mettons des savons à la disposition des patients qui n’en ont pas. Dès l’apparition du premier cas, mi-mars, nous avons mis en place une organisation de crise, comme en période de cyclones, en réduisant les prises en charge. Par exemple, nous préparons les injections d’in suline pour deux à trois jours et les autres traitements pour une semaine. Les familles sont très présentes et tout le monde joue le jeu de la solidarité. Depuis septembre 2019, nous avons aussi un système de téléconsultations, mis en place par l’association Ensemble pour votre santé, mais cela reste marginal car le réseau 4G ne couvre pas tout le territoire. Et pour se rendre aux deux dispensaires restés ouverts, celui de Mamoudzou (CHM) et de Jacaranda, le coût d’un taxi collectif – il n’y a pas de bus – est élevé pour la population. »
Depuis le début du mois de mai, la situation évolue rapidement sur l’archipel, où le coronavirus continue de se propager. « Nous avons été bien lotis début avril, nous avons reçu 60 masques FFP2, mais depuis il n’y a pas eu de renouvellement, explique Éric Roussel. L’activité est très changeante, et avec ma collègue nous avons désor mais trois patients atteints de Covid-19. Nous envisageons de faire une tournée pour les cas suspectés ou positifs et une autre pour les patients chroniques. Parfois, je vais prendre une douche chez moi entre deux patients, car je n’ai pas assez de matériel pour me protéger. Nous sommes en attente d’équipements supplémentaires, de surblouses notamment, pour réaliser les visites à domicile, avec des soins rapprochés, dans de bonnes conditions. Nous allons aussi être testés, car les conditions d’accès au test sont désormais élargies. En fait, nous avançons au jour le jour. »
Dans ce contexte de tensions multiples, Éric Roussel garde un fort attachement pour la pratique de son métier à Mayotte et confie : « Nous bénéficions d’une grande proximité avec les habitants, et les conditions de l’exercice infirmier sont atypiques, intéressantes, avec un champ d’action qui n’existe pas ailleurs. » Avec ou sans Covid-19.