Une application pour encourager l’analyse des pratiques - L'Infirmière Libérale Magazine n° 370 du 01/06/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 370 du 01/06/2020

 

ENTRAIDE ENTRE PAIRS

ACTUALITÉ

Laure Martin  

Infirmière de formation, Anaïs Dattner a fondé avec son mari, ingénieur d’affaires dans l’informatique, l’application Tuttis. Sa finalité est d’encourager les échanges de savoir, d’expérience et d’analyse de pratiques.

QU’EST-CE QUE TUTTIS ?

ANAÏS DATTNER : Il s’agit d’une plateforme d’entraide pour les infirmiers. Notre objectif est de favoriser le partage d’expérience entre les soignants. Les infirmiers inscrits sur l’application peuvent partager des situations professionnelles vécues qui leur posent un problème, échanger avec des confrères pour obtenir des approches différentes ou complémentaires aux leurs, des conseils ou encore des recommandations.

COMMENT EST NÉE L’IDÉE DE DÉVELOPPER CETTE APPLICATION ?

A. D. : Je suis infirmière et cadre de santé. J’ai aussi été formatrice dans les Instituts de formation en soins infirmiers et, à cette période, je me suis interrogée sur l’analyse de pratiques. Par la suite, j’ai suivi un master en sciences de l’éducation qui m’a amenée à m’intéresser aux compétences et aux apprentissages informels que nous développons en travaillant.

L’idée de Tuttis s’est concrétisée lors de la mise en place du développement professionnel continu (DPC), face à la volonté des pouvoirs publics de mettre l’accent sur les savoirs d’expérience et les échanges entre pairs pour le développement des compétences. Très rapidement, j’ai pensé que cette obligation serait difficile à mettre en œuvre pour les infirmiers, libéraux ou salariés, car ils sont dispersés. J’ai alors réfléchi à une digitalisation des groupes d’analyse de pratiques pour permettre, via un outil numérique, de remplir cette obligation à distance. Mon ambition était de déployer un portail regroupant le partage d’expérience, une messagerie, des annonces, etc. Mais cette offre était trop chère à développer et entretemps, le DPC est devenu une obligation non plus annuelle, mais triennale, avec seulement une incitation à l’analyse de pratiques. J’ai donc abandonné l’idée… avant d’y repenser lorsque des soignants, rencontrés à l’occasion d’un hackaton pour les aidants, m’y ont encouragée.

FINALEMENT, QUELLE AUTRE VOIE VOTRE OUTIL A-T-IL PRISE ?

A. D. : L’application est proposée aux infirmiers et aux étudiants en soins infirmiers depuis l’automne 2018, mais malgré des retours encourageants et un abonnement annuel à 24 €, ils ne sont pas nombreux à s’y inscrire. Néanmoins, lors de notre participation au Salon infirmier, en mai 2019, nous avons été démarchés par des organismes de formation, car l’Agence nationale du DPC leur demande de mettre en place des programmes intégrés de formation et d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP). Nous réfléchissons avec eux à l’utilisation de Tuttis dans leur programme de formation, que ce soit à distance ou en présentiel. Nous avons d’ailleurs validé une action de DPC avec un organisme de formation pour les Idels. Cette évolution nous a conduits à décloisonner notre outil, pour l’ouvrir aux autres professionnels du secteur de la santé et du social.

QUEL EST L’INTÉRÊT DE VOTRE SOLUTION POUR LES INFIRMIERS LIBÉRAUX ?

A. D. : Comme pour les autres soignants, notre application permet aux Idels d’aller chercher des informations, des pratiques. Mais elle sert aussi à rompre leur isolement, à interagir comme des praticiens réflexifs(1) malgré l’éloignement. Par exemple, les infirmiers qui viennent de s’installer peuvent être confrontés à la réalisation d’actes qu’ils n’ont jamais réalisés jusqu’alors. Avec Tuttis, ils peuvent partager leurs questionnements et obtenir du soutien. Au sein d’une Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), Tuttis pourra être utilisée comme un outil de réflexion, d’analyse de pratiques et d’échange via la messagerie. Avec la crise sanitaire que nous traversons actuellement et des distances davantage marquées qu’auparavant, nous pensons que notre outil sera utile pour poursuivre la réflexion, les échanges et l’entraide entre pairs.

POURQUOI NE PAS AVOIR DE MODÉRATEUR ?

A. D. : La modération est effectuée par les utilisateurs. Lorsqu’un contenu n’est pas approprié, il est signalé et nous décidons alors si nous le retirons de la plate-forme ou non. Il faut bien comprendre que l’application n’est pas un guide de bonnes pratiques, mais un espace de réflexion entre pairs.

  • (1) Il est demandé aux infirmières d’être des praticiens réflexifs, c’est-à-dire des professionnels qui prennent du recul sur leur pratique et qui l’analysent seuls ou avec leurs pairs afin de l’améliorer tout au long de leur carrière (https://www.tuttis.fr/etre-un-praticien-reflexif/).