Les Agences régionales de santé (ARS) ont pour mission d’organiser la réponse aux urgences sanitaires à l’échelle territoriale, telles que la crise liée à l’épidémie de Covid-19. À plusieurs titres, des manquements ont été constatés par les soignants et les élus sur le terrain. Mais faut-il pour autant remettre en cause leur existence ? Les réponses divergent.
IL FAUDRAIT TOUT BONNEMENT SUPPRIMER LES ARS, SI L’ON EN CROIT LE SYNDICAT NATIONAL DES PROFESSIONNELS INFIRMIERS (SNPI).
Ce pavé jeté dans la mare arrive après le constat de dysfonctionnements qui ont mis le système de santé en danger pendant la crise due au nouveau coronavirus. « Il y a d’abord eu la mauvaise gestion des lits dans les cliniques privées, libérés pour recevoir des patients atteints de Covid-19, mais qui n’ont été que très peu utilisés alors que les hôpitaux publics étaient en souffrance », indique Thierry Amouroux, infirmier à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et porte-parole du SNPI. Ensuite, il y a eu le barrage d’un convoi sanitaire entre Reims et Tours qui a dû faire demi-tour car il lui "manquait un tampon administratif". Enfin, les laboratoires publics gérés par les conseils départementaux, qui avaient la possibilité de créer 150 000 tests par semaine, n’ont pas pu le faire à cause du blocage d’un service administratif. Tout cela nous a fait perdre beaucoup de temps », détaille le soignant, qui estime qu’avant même la crise actuelle, « les ARS n’étaient là que pour faire de la bonne gestion comptable (politique de diminution du nombre de lits, suppression de services), sans logique sanitaire ».
Les infirmières libérales, dont les liens avec les ARS sont moins directs, ont aussi été témoins de difficultés de communication avec certaines agences, voire avec la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), notamment pour anticiper la rémunération de nouveaux actes pendant la crise ou pour l’approvisionnement en équipements de protection.
Du côté de la sphère politique, on s’interroge également. Le Sénat a d’ailleurs mené des consultations à ce sujet fin mai. « Alors qu’il fallait agir vite, nous avons entendu le doux bruissement des parapluies qui s’ouvraient. Nous avons dû nous substituer [à l’ARS] pour fournir les masques aux pharmaciens, aux libéraux, déplore Jean-Louis Thiériot, député Les Républicains de Seineet-Marne.
Mais la crise sanitaire n’aurait fait que « révéler les malfaçons originelles des ARS », selon Frédéric Pierru, sociologue et spécialiste du système de santé qui étudie leur fonctionnement depuis leur création en 2009. « Il ne faut pas en faire des boucs émissaires et les rendre responsables de situations pour lesquelles elles n’ont pas été conçues », notamment en ce qui concerne la coordination avec la ville. Il rappelle ainsi que « lors de la loi Hôpital, santé, patients, territoires (1), on a dit qu’il y avait eu une mauvaise coordination avec les médecins libéraux, mis à l’écart… mais les ARS n’ont jamais eu la main sur la gestion libérale, préservée par la Cnam, même s’il existe une compétence partagée en matière de gestion du risque. Les ARS n’ont la main que sur le seul hôpital ».
Une fois l’état des lieux établi, comment rendre le système plus fonctionnel et prévenir la survenue de nouveaux incidents avec les patients ou les soignants ? Pour le porte-parole du SNPI, les responsabilités sanitaires devraient être davantage politiques et, dans cette optique, il propose que la santé dans les territoires soit gérée par les conseils départementaux et leurs élus. « Les directeurs des ARS restent aujourd’hui trois ans dans une région, puis trois ans dans une autre, etc. Ils sont hors sol », estime Thierry Amouroux. C’est aussi l’avis du député Jean-Louis Thiériot : « Sans responsabilité politique, on arrive à une vision très technocratique des choses, alors que les élus des collectivités locales comprennent vraiment les besoins d’un territoire. » En outre, leur (in) efficacité sur le terrain se juge dans les urnes. Et pourquoi ne pas suivre le modèle anglais des primary care trusts, comme le propose Frédéric Pierru ? « Il s’agit de structures territoriales qui organisent l’ensemble de l’offre de soins pour 60 000 habitants environ, avec des compétences pleines et entières pour gérer la médecine de ville, l’hôpital, le volet médico-social et la prévention via une représentation des élus locaux. » Une vision transverse de la santé partagée par le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) : « Les ARS doivent perdurer, mais sans reproduire une centralisation unique en région, en s’ouvrant aux autres professionnels de terrain libéraux », conclut Catherine Kirnidis.
(1) La loi HSPT du 21 juillet 2009, portant réforme de l’hôpital et relative à l’amélioration de l’accès aux soins, marque la création des Agences régionales de santé.