Alors que se tient, depuis la fin du mois de mai, un “Ségur” censé redessiner le paysage du secteur de la santé, les Idels redoutent que les mesures à venir ne soient uniquement centrées sur les médecins et l’hôpital, oubliant leur contribution majeure à la lutte contre la Covid-19.
Le président de la République l’avait promis, au plus fort de l’épidémie du nouveau coronavirus : en mars, devant un hôpital de campagne du Service de santé des armées (SSA) installé à Mulhouse, il avait annoncé qu’un plan massif en faveur du secteur de la santé serait mis en œuvre après la crise. Pour lui donner forme, le Premier ministre a lancé, le 25 mai, le Ségur de la santé, une série de réunions qui devaient déboucher sur des réformes dès le mois de juillet. Mais pour beaucoup de représentants professionnels des infirmières, le compte n’y est pas.
« Ce Ségur, c’est une mascarade, on ne donne pas la parole aux acteurs de terrain », s’emporte par exemple Sylvie Ciron, membre du conseil d’administration de l’Union nationale des Idels (Unidel). Elle souligne que les infirmières libérales ont su s’adapter pendant la crise sanitaire, et qu’il serait bon de s’inspirer de leur expérience. « Nous avons continué à travailler, nous avons organisé nos visites en lien avec ce qui se passait sur le terrain, avec par exemple des tournées dédiées aux cas suspects de Covid-19, raconte-t-elle. Nous espérions pouvoir nous exprimer lors du Ségur pour donner notre point de vue, pointer les manquements que nous avons observés… Mais au lieu de cela, nous constatons une approche très médicocentrée, qui reprend les mêmes solutions, sans chercher à identifier ce qui a dysfonctionné. »
Et il ne faudrait pas croire que ce discours emporté est uniquement le fait de militants jusqu’au-boutistes. L’Union régionale des professionnels de santé (URPS) infirmiers d’Auvergne-Rhône-Alpes a ainsi publié, mi-juin, un retentissant communiqué pour faire savoir que les Idels ne seraient pas “les dindons de la farce”. « La crise sanitaire due à la Covid-19 a mis en évidence l’expertise et les compétences des infirmières, et nous nous étions dit que la profession allait grandir parce que, pour une fois, elle était visible, explique ainsi Louise Ruiz, secrétaire générale adjointe de l’URPS dans la capitale des Gaules, et par ailleurs cadre régionale de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). Or nous voyons que le Ségur est presque entièrement constitué de médecins. Comment ne pas s’en indigner ? »
Concernant les revendications, Unidel et FNI sont à l’unisson. « Nous voulons le positionnement de l’infirmière comme praticien de premier recours, la reconnaissance de la consultation infirmière et celle des formations diplômantes effectuées par les Idels dans leur rétribution », annonce Sylvie Ciron. « Nous voulons d’abord l’accès direct à une consultation infirmière, indique pour sa part Louise Ruiz. Cela ouvrirait la voie à la mise en place de l’éducation thérapeutique, de l’aide thérapeutique, de l’accompagnement, mais il peut aussi s’agir de consultations d’urgence ou de consultations de coordination. »
Si les deux représentantes des Idels partagent largement le diagnostic et les revendications, elles divergent en revanche sur la question des moyens d’action. Ainsi, l’Unidel s’est pleinement engagée dans le mouvement de contestation initié le 16 juin dernier, prenant part au Collectif Duquesne qui demande l’intégration de représentants de la profession infirmière au Ségur de la santé (voir les encadrés) et envisage des actions radicales. « Nous sommes en train de réfléchir à d’autres manifestations, et le 14 juillet, nous ne nous contenterons pas de médailles, prévient Sylvie Ciron. Imaginez qu’un jour, les 700 000 infirmières annoncent qu’elles arrêtent les soins. C’est une utopie, pourtant il ne faut pas oublier qu’on a ce pouvoir. »
Du côté de l’URPS, le discours est un peu plus modéré. Louise Ruiz estime que l’initiative du Collectif Duquesne est bonne, mais qu’elle se focalise « essentiellement sur l’exercice salarié ». Selon la représentante de la FNI, pour parvenir à la reconnaissance de la consultation infirmière de premier recours, il « faut être constructif ». Elle tient par exemple à mettre en avant le service de garde infirmier, mis en place pendant la crise sanitaire dans la Loire, pour « répondre aux appels des professionnels qui souhaitent qu’un patient bénéficie d’une prise en charge infirmière ». Pour la responsable syndicale, « c’est cela être dans la construction. Nous montrons que les infirmiers ont la capacité de monter des services innovants, sans aides préalables ». Ce qui ne l’empêche pas de considérer qu’un travail est nécessaire, au niveau national, pour « que le ministère se penche enfin » sur la question de la consultation infirmière. Reste que ce n’est probablement pas du chapeau du Ségur qu’une telle proposition sortira. Il faut donc s’attendre à devoir remettre l’ouvrage sur le métier
Le 16 juin, les soignants étaient invités à se mobiliser dans toute la France. L’appel émanait principalement d’organisations hospitalières (Collectif interurgences, Collectif interhôpitaux, grandes centrales syndicales, etc.), mais de nombreuses Idels ont rejoint les cortèges. La préfecture de police, citée par l’agence APMnews, a comptabilisé quelque 18 000 personnes dans les rues de Paris, et des manifestations ont eu lieu devant les hôpitaux sur l’ensemble du territoire : la CGT en a recensé 256. La Direction générale de l’offre de soins (DGOS) a, quant à elle, estimé que 16 % du personnel hospitalier non médical et 6 % du personnel médical étaient grévistes ce jour-là.
La géographie parisienne a ses subtilités qu’il faut savoir décrypter. Le gouvernement a choisi de nommer Ségur, du nom de l’avenue où se situait jadis l’entrée du ministère de la Santé, la série de réunions devant aboutir à un grand plan pour la santé. Les infirmiers mécontents d’y être trop peu représentés - seuls l’Ordre national des infirmiers et la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers sont invités à prendre part aux discussions - se sont quant à eux retrouvés dans le Collectif Duquesne, en référence à l’avenue où se situe aujourd’hui l’entrée principale du ministère. Constitué début juin par une trentaine d’associations nationales ou locales, ce collectif demande l’intégration de sept représentants des Conseils nationaux professionnels (CNP) dans le processus. Mais mi-juin, alors que le Ségur entrait dans sa dernière ligne droite, les représentants du Duquesne déploraient toujours l’absence totale de réponse à leurs demandes. De là à y voir une tendance de “l’ancien monde” à rester sourd aux mutations en cours… il n’y a qu’un pas.