L'infirmière Libérale Magazine n° 371 du 01/07/2020

 

LEADERSHIP INFIRMIER

ACTUALITÉ

Laure Martin  

Comment pérenniser les acquis infirmiers obtenus pendant la crise sanitaire actuelle ? C’est ce qu’a cherché à savoir le Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone (Sidiief) en interrogeant, mi-juin, un panel d’experts.

LE MANQUE DE RECONNAISSANCE DÉNONCÉ PAR LES INFIRMIÈRES EST LOIN D’ÊTRE L’APANAGE DE LA FRANCE. Les représentants infirmiers suisses et québécois sont également révoltés du peu de considération accordée à leur profession, pourtant parvenue à “prendre sa place” dans la crise sanitaire. « On constate une dissociation entre d’un côté, la population qui s’est aperçue de la contribution infirmière, et de l’autre de nombreux acteurs politiques qui démontrent à quel point ils ont une idée superficielle de l’expertise infirmière, constate Damien Contandriopoulos, professeur et directeur-adjoint à la recherche de l’école des sciences infirmières de l’université de Victoria en Colombie-Britannique (Canada), lors de la “Grande discussion”, organisée le 17 juin par le Sidiief.

Pour preuve, « le Premier ministre québécois estime que le savoir infirmier est imbriqué au savoir médical, regrette Luc Mathieu, président de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec. Bien sûr que non ! Ce n’est pas parce qu’on est médecin qu’on peut être infirmier. La connaissance et la reconnaissance du métier n’existent pas. » Et Sophie Ley, présidente de l’Association suisse des infirmières, de renchérir : « Tous les politiciens tiennent un discours sur les soins infirmiers, expliquant qu’il s’agit d’une profession de femmes et qu’il faut des qualités relationnelles pour l’exercer. On ne parle jamais de compétences. Nous devons nous affirmer ! » Pour Damien Contandriopoulos, s’il ne faut pas nier les progrès vécus par la profession ces vingt à trente dernières années, il est vrai que la crise de la Covid-19 a montré que, malgré la centralité des infirmières, leurs représentants ont dû se battre pour jouer un rôle dans l’organisation de la gestion de la crise.

Mettre en valeur l’expertise et non la vocation

Comment faire valoir cette reconnaissance ? « En Suisse, nous avons entamé une démarche politique, avec une initiative portant sur les soins infirmiers, indique Sophie Ley. Elle a été interrompue pendant la pandémie, mais elle a repris en juin. Nous travaillons à faire aboutir nos revendications en termes de formation et de dotations en personnel. Pour le moment, nous ne sommes pas écoutés, donc nous allons continuer. Les politiques semblent avoir rapidement oublié l’importance des infirmières, surtout en temps d’épidémie. » L’un des points clés serait de parvenir à changer l’image collée aux infirmières. « Cette notion de dévouement, de vocation, est dangereuse, soutient Damien Contandriopoulos. Elle laisse à penser que les infirmières n’ont pas besoin d’être rémunérées, ni d’avoir suffisamment de masques pour se protéger de la Covid-19. Il faudrait remplacer cette notion de vocation par celle d’expertise. » « Nous parlons d’une profession qui est majoritairement féminine et les gens pensent que cela agit comme un plafond de verre, poursuit Luc Mathieu. Il faut briser cette croyance, faire prendre conscience que les compétences, les expertises, viennent avec des solutions de formation et que les infirmières ne sont pas interchangeables entre les services. Mais ce n’est pas gagné d’avance. »

Gagner en visibilité

Pour Patrick Chamboredon, président de l’Ordre national des infirmiers, la reconnaissance des infirmières est en marche en France. Elle a débuté avec la création du statut d’infirmière en pratique avancée, qui a contribué à la mise en place d’une discipline universitaire. « Cela permet de valoriser et de mettre l’accent sur la place centrale des infirmières, soutient-il. Mais il est vrai que les soins infirmiers bénéficient de peu de visibilité. Après la crise sanitaire, nous ne voulons pas que les infirmières retournent dans l’oubli. Nous allons porter cette reconnaissance dans le cadre de notre contribution au Ségur de la santé, qui permet une refondation de la place des infirmières dans un contexte qui nous est plus favorable. » Et Damien Contandriopoulos de conclure : « Les avancées sont de la responsabilité de tous. Il faut que la loi, les pratiques et la vision publique avancent simultanément pour parvenir à cette reconnaissance. »

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