L'infirmière Libérale Magazine n° 371 du 01/07/2020

 

CAHIER DE FORMATION

SAVOIR FAIRE

IMMUNOTHÉRAPIE

L’immunothérapie consiste à restaurer les capacités du système immunitaire pour l’aider à combattre les cellules tumorales. Dans le cas du mélanome, les traitements utilisés sont des anticorps monoclonaux réservés à l’usage hospitalier, par voie injectable.

Les anti-PD-1

Le pembrolizumab (Keytruda®) et le nivolumab (Opdivo®) sont des anticorps monoclonaux anti-PD-1. Le récepteur PD-1 est présent à la surface des lymphocytes T. Les cellules tumorales possèdent une protéine PD-L1 qui se lie au récepteur PD-1 et inactive les lymphocytes T. Les anticorps anti-PD-1 empêchent la liaison PD-L1/PD-1 et rendent les lymphocytes T aptes à s’attaquer aux cellules tumorales.

L’ipilimumab anti-CTLA-4

Cet anticorps monoclonal fonctionne de la même manière que les anti-PD-1, mais se fixe sur le récepteur CTLA-4 à la surface des lymphocytes T. En général, l’ipilimumab (Yervoy®) est associé à un anti-PD-1, car l’association est plus efficace que la monothérapie à base d’ipilimumab seul sur la survie globale.

Effets indésirables

Les plus fréquents

Anti-PD-1 et anti-CTLA-4 peuvent entraîner fatigue, réaction liée à l’injection intraveineuse, perturbations du bilan biologique, nausées, vomissements, diarrhées, perte de l’appétit, douleurs musculo-squelettiques, prurit, éruptions cutanées, etc.

Effets auto-immuns

Attention, la stimulation du système immunitaire provoque un certain nombre d’effets indésirables auto-immuns, d’allure souvent banale au début mais qui peuvent s’aggraver très rapidement s’ils ne sont pas pris en charge immédiatement : pneumopathies interstitielles, endocrinopathies (hypothyroïdie, diabète, etc.), colites avec risque de perforation digestive, atteinte hépatique ou rénale, réactions cutanées sévères. Ils peuvent être à l’origine de l’arrêt définitif de l’immunothérapie, car le pronostic vital est engagé. C’est pourquoi un suivi étroit de la thyréostimuline, de la glycémie, de la fonction pulmonaire, etc., est instauré dès l’initiation de ce type de traitement. Mieux vaut consulter dès les premiers signes (diarrhées, céphalées persistantes, toux sèche et dyspnée, asthénie brutale, hypotension, etc.).

THÉRAPIES CIBLÉES

Une thérapie ciblée a une action spécifique sur les cellules cancéreuses, en s’attaquant à une cible bien précise du cycle énergétique cellulaire, donc à la prolifération cellulaire. Dans le cas du mélanome, deux thérapies ciblées sont associées pour augmenter l’action antitumorale, améliorer la survie globale et limiter les résistances, mais au prix d’une majoration des effets indésirables. Les médicaments utilisés sont les inhibiteurs de la protéine tyrosine kinases BRAF ou anti-BRAF et les inhibiteurs des protéines tyrosine kinases MEK1 et MEK2 ou anti-MEK (voir le tableau en p. 41). Ils sont administrés par voie orale.

Mécanisme d’action

Inhibition de protéines tyrosine kinases, respectivement BRAF et MEK, impliquées dans le cycle énergétique cellulaire, donc la prolifération cellulaire. Les cellules tumorales ne peuvent plus produire leur énergie et meurent.

Effets indésirables

Chaque couple anti-BRAF/anti-MEK présente une efficacité équivalente, mais un profil de tolérance différent. Les patients souffrant d’hypertension artérielle, de diabète ou de dysthyroïdies peuvent voir leur maladie déséquilibrée à cause de la bithérapie. Des ajustements médicamenteux sont souvent à prévoir sans pour cela entraîner un arrêt de la bithérapie, comme c’est parfois le cas avec l’immunothérapie.

Vémurafénib et cobimétinib

La phototoxicité apparaît même pour une exposition solaire de quelques minutes, y compris derrière une vitre de maison ou de voiture, et se traduit par un érythème douloureux, des cloques, etc. Autres effets indésirables possibles : sécheresse cutanée et prurit, dysgueusie (goût métallique dans la bouche), perturbation du bilan hépatique, diarrhées ou encore crampes musculaires.

Dabrafénib et tramétinib

La fièvre dépasse parfois 40 °C et s’accompagne de frissons très intenses. Les toxicités cutanées prennent volontiers la forme de folliculites, parfois d’un syndrome mains-pieds. Diarrhées, crampes musculaires et douleurs articulaires sont fréquentes.

Encorafénib et binimétinib

Disponible depuis l’été 2019, cette bithérapie est la dernière arrivée sur le marché. Le recul est moins important, cette association est souvent prescrite lorsque les deux autres ont déjà été testées. Des toxicités cutanées sont à prévoir comme l’alopécie.

Surveillance des bithérapies

Effets cardiologiques

Diminution de la fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG), autrement dit apparition d’une insuffisance cardiaque avec un risque d’arrêt cardiaque. Un bilan cardiologique s’impose à l’initiation du traitement puis tous les trois mois. Consulter face à tout signe évocateur et notamment en cas d’essoufflement.

Effets ophtalmologiques

Occlusion de la veine rétinienne avec risque de cécité. Bilan ophtalmologique à l’initiation du traitement et consultation en urgence devant des signes d’appel tels qu’une diminution de la vision centrale, une vision floue, une perte de l’acuité visuelle, un œil rouge ou douloureux.

Effets dermatologiques

Apparition de tumeurs cutanées bénignes ou malignes en plus du mélanome traité. Bilan dermatologique à l’instauration du traitement puis tous les mois jusqu’à six mois après son arrêt, couplé à l’autosurveillance du patient.

Bilan hépatique et rénal

Risque d’hépatotoxicité et de néphrotoxicité. Dosage des enzymes hépatiques et de la créatinine à l’instauration, puis mensuellement.

Mises en garde spéciales

Les thérapies ciblées contre le mélanome sont des médicaments récents. La pharmacovigilance a mis en évidence certains effets indésirables graves.

Vémurafénib

Potentialisation de la toxicité radio-induite, « d’où la nécessité d’aménager une fenêtre thérapeutique en cas de radiothérapie pour éviter tout risque de toxicité sévère », précise le Dr Mallet.

Cobimétinib

Événements hémorragiques graves, rhabdomyolyse et augmentation de la créatine phosphokinase.

GÉRER LES EFFETS INDÉSIRABLES

Prévenir une mauvaise observance

Aborder la question des effets indésirables aide le patient à mieux accepter le traitement. Antalgiques, laxatifs, antiémétiques, antidiarrhéiques, dermocorticoïdes, antihistaminiques, antibiotiques locaux ou généraux sont prescrits par anticipation pour mieux supporter ces réactions secondaires. « Il faut faire de la prévention et agir dès les premiers signes de toxicité, souligne le Dr Tabelé. L’excès de toxicité est la première cause d’arrêt d’une thérapie ciblée, devant la progression de la maladie. C’est dommage, car les traitements disponibles ne sont pas nombreux. »

Altération du goût

Manger plusieurs petits repas froids répartis tout au long de la journée, sucer des bonbons, se brosser les dents après chaque repas à l’aide d’une brosse à dents souple. Si la dysgueusie est trop prononcée ou liée à un goût métallique, manger avec des couverts en plastique. En cas de perte de goût partielle ou totale (agueusie), boire une eau citronnée avant les repas pour “réveiller” les papilles gustatives.

Diarrhées

Bien s’hydrater, boire au moins deux litres par jour, consommer des féculents (pain blanc, riz blanc, pâtes blanches, semoule), des carottes cuites, des bananes, voire prendre du lopéramide à raison de 4 mg (deux gélules) d’emblée puis 2 mg (une gélule) après chaque selle non moulée, sans dépasser huit gélules par jour et deux jours de traitement.

Hyperthermie

Dès les premiers signes, bien s’hydrater comme lors de diarrhées, ne pas trop se couvrir et prendre 1 g de paracétamol toutes les six heures pendant deux jours. Contacter l’hôpital prescripteur de la thérapie ciblée si la fièvre ne baisse pas ou en cas de symptômes infectieux associés (toux, brûlures urinaires).

Sécheresse cutanée et prurit

Se laver avec un savon surgras ou une huile lavante. Sécher en tamponnant, puis appliquer un émollient comme Lipikar (La Roche-Posay), Xeracalm (Avène), Sensinol (Ducray), etc.

Folliculites

Privilégier les agents lavants, les lotions et les crèmes aux propriétés assainissantes et cicatrisantes tels que Cicabio (Bioderma), Dermalibour et Cytelium (Aderma), en évitant les cosmétiques comédogènes, parfumés ou à base d’alcool.

Syndrome mains-pieds

Prévenir la formation des lésions en utilisant quotidiennement un émollient. Éviter les traumatismes et les sources de chaleur. En cas de lésions installées, en plus des semelles, dermocorticoïdes, soins podologiques, appliquer des soins dermocosmétiques à visée kératolytique, par exemple Xerial (SVR) et Keratosane (Uriage), ou réparatrice, comme Bariéderm (Uriage), etc.

Phototoxicité

Appliquer une crème solaire lors de toutes les activités extérieures et par tous les temps, même nuageux.

CONSEILS AUX PATIENTS

Attention aux jus de fruits

Ne pas prendre son traitement avec certains jus de fruits (pamplemousse, orange sanguine, citron vert) en raison d’un risque d’inhibition enzymatique. De manière générale, le même problème se pose avec les fruits exotiques inhibiteurs des CYP3A4, comme les fruits de la passion, la goyave, la mangue, l’ananas, le kiwi, etc., également présents dans les jus multifruits ou multivitaminés. Conseiller le jus de pomme, de poire ou d’abricot.

Assurer la contraception

Les thérapies ciblées peuvent diminuer l’efficacité des contraceptifs hormonaux indispensables pour éviter une grossesse. Une double méthode contraceptive, stérilet au cuivre ou préservatif, en plus de la pilule, est recommandée pendant le traitement et après son arrêt.

Cas clinique 2

Mme P, 68 ans, vous fait part de ses difficultés à prendre la bithérapie anticancéreuse prescrite pour un mélanome métastatique diagnostiqué depuis peu. Elle vous dit qu’elle va sûrement devoir supporter de nombreux effets indésirables et qu’elle a des doutes sur la réelle efficacité de ce traitement.

Vous reconnaissez que les contraintes de prise des thérapies ciblées varient selon les molécules, mais sont bien réelles, surtout en cas de bithérapie. Vous évoquez néanmoins l’intérêt du traitement avec Mme P pour éviter une mauvaise observance, voire une une interruption du traitement. Vous lui donnez quelques conseils pour essayer de diminuer les effets indésirables. Vous lui rappelez aussi que si le traitement se révèle trop compliqué à gérer ou si les effets secondaires sont trop difficiles à supporter, son médecin pourra envisager d’autres options, même si les thérapies disponibles ne sont pas très nombreuses.

Prise en charge

Un sentiment d’incompréhension et d’injustice domine en cas de récidive

Stéphany Castan, infirmière coordinatrice au service d’onco-dermatologie du CHU Saint-Éloi de Montpellier, titulaire d’un master en sciences cliniques, option infirmière de pratique avancée en cancérologie

→ Quels sont les patients concernés par le traitement médicamenteux du mélanome ?

Les traitements médicamenteux ont été longtemps destinés aux patients atteints d’une tumeur de stade IV. Depuis 2018, l’immunothérapie est proposée comme traitement adjuvant à ceux qui présentent un mélanome profond et/ou un ganglion sentinelle positif, autrement dit aux patients opérés, chez lesquels l’imagerie ne montre plus de cellules cancéreuses, mais qui sont à haut risque de récidive. Dans notre service, cela s’est traduit par une augmentation de 30 % du nombre des patients concernés. Des essais cliniques sont en cours d’étude pour permettre de proposer les thérapies ciblées dans les mêmes situations adjuvantes pour les patients dont le mélanome est porteur d’une mutation génique spécifique : le gène BRAF muté.

→ Ces traitements sont-ils bien tolérés ?

L’immunothérapie, qui n’entraîne pas les effets indésirables d’une chimiothérapie “classique”, est généralement bien tolérée. Les effets indésirables graves ne sont pas fréquents, même s’il faut rester vigilant à l’apparition de toxicités auto-immunes. Les réactions indésirables les plus courantes sont cutanées et endocriniennes, notamment des troubles thyroïdiens qui sont détectés précocement via la surveillance biologique rapprochée. Certains patients rapportent aussi une fatigue, alors que d’autres poursuivent leur activité professionnelle sans difficulté particulière. En ce qui concerne les thérapies ciblées, c’est plutôt le “tout ou rien”. Les effets indésirables sont spécifiques à chaque patient et peuvent justifier une adaptation des doses.

→ Comment est vécue la survenue d’un mélanome par les patients ?

Le mélanome touche des personnes jeunes, avec une moyenne d’âge de 60 ans, ce qui signifie que certains ont 30 ou 40 ans, parfois 20 ans. Certains comprennent rapidement la gravité de la maladie tandis que d’autres ont besoin de davantage d’explications. Généralement, un sentiment d’injustice domine, encore plus lorsqu’il s’agit d’une récidive. La première annonce du diagnostic, après l’exérèse, est souvent moins traumatisante. Le patient est pris en charge, le mélanome est retiré et un suivi est organisé. En revanche, les patients ont beaucoup de mal à comprendre comment le mélanome cutané peut récidiver quelques mois, voire des années plus tard, sur d’autres organes. Ils ont aussi beaucoup de difficultés à accepter un mélanome récidivant, voire métastatique, alors qu’ils ont respecté les précautions recommandées et scrupuleusement observé le suivi prescrit. D’autant plus lorsqu’il y a peu d’explications à leur fournir sur les mécanismes qui sous-tendent cette récidive. Certains ne présentent pas de facteurs de risque et les expositions excessives aux UV ou les coups de soleil pendant l’enfance ne sont pas toujours caractérisés. En outre, une récidive est synonyme de traitements plus lourds et d’une maladie plus complexe.

→ Quelles sont vos relations avec les soignants au domicile ?

C’est parfois compliqué pour les patients jeunes exempts d’autres maladies qui n’ont pas de relation suivie avec leur médecin traitant ou qui se sont éloignés du médecin de famille après un déménagement. Et qui ont encore moins de lien avec les infirmières libérales. Il faut parfois insister fortement pour faire comprendre l’importance du suivi par un médecin généraliste, qui pourra poursuivre la prise en charge au cas où la situation se dégraderait, et encore plus en cas de récidive. Sinon, il arrive que certains médecins généralistes rechignent à prendre en charge un cancer qu’ils connaissent mal chez des patients qu’ils n’ont jamais vus. Il m’est d’ailleurs arrivé de travailler uniquement avec les infirmières libérales, qui ont fait un super boulot. La relation est alors la même qu’avec les médecins, nous leur fournissons les documents et ordonnances nécessaires à la prise en charge, et un accès direct à notre permanence téléphonique. Et aussi de quoi prescrire des démarches de soins, en évaluant en commun les nécessités de la prise en charge : administration de médicaments, soins de plaies en cas de nodules cutanés, pansements et soins de nursing le cas échéant.

Je cote à la nomenclature

→ AMI 2 en cas de pansement simple de plaie suturée fermée, pour « Autre pansement » dans Article 2 - Pansements courants, Chapitre I - Soins de pratique courante du Titre XVI de la NGAP ;

→ AMI 4 en cas de pansement de plaie plus importante, à mécher le cas échéant, pour « Autre pansement » dans Article 2 - Pansements courants, Chapitre I - Soins de pratique courante du Titre XVI de la NGAP ;

→ Démarche de soins infirmiers à domicile (DSI) en cas de suivi à domicile d’un traitement par immunothérapie ou thérapie ciblée à domicile, en lien avec le service d’onco-hématologie prescripteur.

Pour un même patient, DI 1,5 pour la première DSI et DI 1 pour les DSI suivantes dans le cadre de l’Article 11 - « Soins infirmiers à domicile pour un patient, quel que soit son âge, en situation de dépendance temporaire ou permanente », Chapitre I - Soins de pratique courante du Titre XVI de la NGAP.

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