Accompagner le retour à domicile - L'Infirmière Libérale Magazine n° 373 du 01/09/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 373 du 01/09/2020

 

CAHIER DE FORMATION

SAVOIR FAIRE

La chirurgie bariatrique implique un suivi à vie pour prévenir et limiter les complications et pour maintenir la perte pondérale dans le temps, tout en assurant un statut nutritionnel optimal. Des répercussions que les infirmières doivent connaître pour soutenir au mieux le patient et lui apporter des conseils adaptés.

TRAITEMENTS ET SOINS POSTOPÉRATOIRES

Antalgiques

Paracétamol et antalgiques de palier 2 sont classiquement prescrits, selon les recommandations habituelles.

Thromboprophylaxie

Dans ce contexte, la Société française d’anesthésie et de réanimation recommande de recourir à une héparine de bas poids moléculaire durant au moins dix jours lorsque l’intervention est réalisée sous cœlioscopie. Le port de bas de compression pendant la journée y est généralement associé et le patient doit être encouragé à reprendre rapidement des activités quotidiennes telles que la marche et les petits déplacements afin de favoriser la circulation sanguine.

Inhibiteurs de la pompe à protons

Leur prescription est systématique durant les trois ou quatre premiers mois, quel que soit le type d’intervention, pour faciliter la cicatrisation de la muqueuse gastrique et limiter le reflux gastro-œsophagien, particulièrement fréquent. Il est recommandé de prendre les inhibiteurs de la pompe à protons (oméprazole, ésoméprazole, etc.) le matin, afin d’optimiser leur effet antisécrétoire. Les conseils alimentaires et d’hygiène de vie qui permettent de limiter les symptômes du reflux gastro-sophagien sont également à rappeler : mastiquer et manger lentement, ne pas s’allonger ou se pencher vers l’avant après un repas, etc. Dans certains cas, notamment après une sleeve gastrectomie, un reflux gastroœsophagien persistant et invalidant nécessite de prolonger la prescription des inhibiteurs de la pompe à protons.

Acides biliaires

Le risque de lithiase biliaire en période postopératoire est d’autant plus important que la perte de poids est rapide. Elle est liée à la sécrétion d’une bile lithogénique “sursaturée” en cholestérol. Un traitement par l’acide ursodésoxycholique (Delursan, par exemple) est généralement prescrit au cours des six mois suivant l’intervention, en l’absence de cholécystectomie, afin de prévenir la formation de calculs vésiculaires.

Supplémentation vitaminique

Débutée rapidement dans les jours qui suivent l’intervention, elle consiste en un apport en vitamines et en minéraux sous la forme de médicaments et de compléments alimentaires (voir Encourager le suivi médical et nutritionnel).

Cicatrisation

Le cas échéant, les pansements peuvent être retirés après quelques jours. L’infirmière vérifie la bonne cicatrisation et l’absence de signes infectieux (chaleur, rougeur, douleur, gonflement ou suintement) dont la survenue nécessite un avis médical. « Certains services utilisent des agrafes. Nous, nous suturons avec des fils résorbables qui ne nécessitent pas de pansement. Les petites cicatrices des abords mini-invasifs par cœlioscopie s’infectent rarement », précise le Pr Maud Robert, du service de chirurgie digestive de l’hôpital Édouard-Herriot à Lyon.

Il convient de rappeler les gestes indispensables à une bonne cicatrisation : préférer les douches aux bains (qui favorisent la macération), pas de port de charges lourdes ni de baignade (piscine, mer, spa) ou d’activité sportive avant la cicatrisation complète soit au minimum trois à quatre semaines après une intervention par cœlioscopie.

ALIMENTATION

En phase postopératoire

L’objectif est d’habituer progressivement le tube digestif à son nouveau fonctionnement :

- en évitant tout volume alimentaire trop important à l’origine de reflux et de vomissements ;

- en assurant une couverture nutritionnelle optimale pour prévenir toute carence.

La reprise alimentaire s’effectue très progressivement en phase postopératoire, d’abord sous une forme mixée (compote, yaourt, etc.) les premiers jours, puis sous forme moulinée et enfin hachée ou pâteuse. L’alimentation “normale” n’est généralement permise que trois à quatre semaines après l’intervention. Le patient doit apprendre à ne pas surcharger son nouveau “petit estomac” grâce à des conseils adaptés :

- utiliser une assiette à dessert au début de la réalimentation pour limiter la quantité d’aliments ;

- consacrer au moins vingt à trente minutes à chaque repas ;

- manger lentement pour éviter des sensations de blocage, lorsque les aliments ne “passent” plus ;

- boire en dehors du repas pour ne pas augmenter le volume ingéré ;

- fractionner les prises alimentaires, en cinq à six repas ou collations par jour selon les recommandations ;

- stopper la prise alimentaire dès les premières sensations de satiété (pesanteur, tiraillement).

Au long cours

La prise alimentaire

Il est recommandé de faire au moins trois repas par jour, parfois associés à une ou deux collations (fruits, yaourts), en mâchant longuement pour faciliter le passage des aliments et ressentir la satiété, car manger trop rapidement nuit à cette sensation.

L’anneau gastrique, en particulier, exige une hygiène alimentaire stricte, parfois difficile à respecter. Les patients ont souvent tendance à ingérer les aliments trop vite et en trop grande quantité, favorisant ainsi la survenue des vomissements.

Proscrire les aliments gras et sucres

Le patient doit éviter les aliments gras et sucrés, typiquement ceux qui “fondent et passent tout seuls” (boissons sucrées, sodas, glaces, bonbons, pâtes à tartiner, etc.). Très caloriques et peu intéressants sur le plan nutritionnel, ils favorisent aussi le reflux et le “dumping syndrome” (voir Savoir). Un dumping syndrome précoce survient fréquemment la première année après un bypass. Il convient de recommander au patient de s’allonger dès qu’il ressent ces symptômes. Il doit apprendre à reconnaître les aliments déclencheurs et, dans tous les cas, éviter une prise alimentaire trop rapide.

Apport proteique suffisant

L’apport suffisant en protéines est au minimum de 60 g par jour, notamment dans le cas d’une intervention induisant une malabsorption. « Il faut préserver la masse musculaire, indispensable à l’activité physique, au bien-être et à la perte de poids. Moins il y a de muscles, moins il y a de dépenses énergétiques », souligne le Pr Antoine Avignon (voir l’encadré).

La viande, parfois mal tolérée telle quelle, peut être mixée ou remplacée par du poisson, des œufs ou des produits laitiers. Le cas échéant, une supplémentation hyperprotéinée peut être indiquée.

La boisson a distance des repas

Il est recommandé de toujours prendre les boissons en dehors des repas, en petite quantité mais régulièrement, afin de prévenir toute déshydratation. Les eaux gazeuses sont déconseillées durant le premier mois, car elles favorisent la dilatation de l’estomac. Elles doivent par la suite être consommées avec parcimonie, pour les mêmes raisons. La consommation d’alcool doit également être modérée, surtout après la chirurgie malabsorptive, car l’ivresse survient plus rapidement malgré des doses moindres.

Des changements contraignants

Ces changements radicaux des habitudes alimentaires deviennent contraignants avec la reprise de la vie sociale et nécessitent une grande rigueur et une forte motivation de la part des patients pour être poursuivis sur la durée. Les repas conviviaux, souvent difficiles à gérer (prise alimentaire plus rapide, moindre écoute des signaux digestifs, etc.), doivent inciter à la vigilance.

LES SIGNES D’ALERTE

De survenue précoce

Notamment liés à des complications de type perforations, fistules digestives, hémorragies ou occlusions, ainsi qu’aux complications thrombœmboliques, ils doivent conduire à un avis médical en urgence : douleurs abdominales qui s’aggravent, se répètent, s’installent brutalement ou irradient au niveau de l’épaule gauche, associées à une fièvre supérieure à 38 °C et/ou à une tachycardie (suspicion d’une fistule), sang dans les selles ou les vomissements (ulcère ou hémorragie), jambe gonflée, chaude ou douloureuse (phlébite).

Plus tardivement

Fatigue

La fatigue, liée à l’intervention elle-même et à la perte de poids rapide et importante qui en découle les premiers mois, est normale. Elle ne doit inquiéter que si elle devient excessive et gêne la reprise de l’activité physique. La bonne observance de la supplémentation nutritionnelle prescrite permet de limiter la fatigue ressentie.

Vomissements occasionnels

Des vomissements épisodiques, de l’ordre d’une fois par semaine, liés généralement à des erreurs alimentaires, doivent être signalés pour apprendre à les corriger et à les limiter.

Signes lies a la chirurgie

Certains symptômes, évocateurs d’une complication du montage chirurgical, imposent une consultation en urgence : douleurs abdominales notamment pendant la période postprandiale, vomissements répétés (favorisant également des lésions de l’œsophage), dysphagie (difficulté à avaler) inhabituelle (suspicion d’une sténose, d’une hernie, d’un déplacement de l’anneau, etc.).

(1) « Aide pour votre pratique du dépistage des cancers cutanés », Institut national du cancer, consultable sur e-cancer.fr

(2) Stratégie de diagnostic précoce du mélanome,

Cas clinique 1

Vous vous rendez chez M. V, 42 ans, qui a bénéficié d’un bypass gastrique et a une prescription pour la réalisation d’injections d’HBPM pendant dix jours. L’intervention s’est bien passée, mais l’épouse de M. V s’inquiète des nombreux médicaments que doit prendre son mari et des éventuelles complications postopératoires. Le sachant impatient de retrouver une vie “normale”, elle espère qu’il va bien respecter les consignes alimentaires qui lui ont été transmises.

Vous rassurez Mme V en lui expliquant que plusieurs médicaments prescrits sont transitoires et vous vérifiez qu’elle connaît les signes d’alerte nécessitant de contacter en urgence le service de chirurgie. Vous vous assurez qu’elle-même ou une autre personne est bien en capacité de gérer le quotidien de M. V durant les jours à venir (courses, repas, port de charges lourdes, etc.). Vous insistez sur le fait qu’il est très important de respecter le schéma de réalimentation indiqué par le nutritionniste qui peut s’étendre sur quatre semaines.

L’avis du spé

« La chirurgie bariatrique n’est pas une solution miracle, il y a des échecs »

Pr Antoine Avignon, endocrinologue nutritionniste au Centre specialise de l’obesite du CHU Lapeyronie a Montpellier.

La chirurgie bariatrique est un catalyseur important de la perte de poids, mais ce n’est pas la solution miracle. En moyenne, les patients perdent de 30 a 50 % de leur poids au cours des dix-huit mois qui suivent l’operation. Ensuite, le poids se stabilise, avec souvent une reprise ponderale apres deux ans en moyenne. Celle-ci reste generalement moderee, les patients ne reprenant pas leur poids initial, mais il y a neanmoins des echecs. La reprise de poids s’explique par le fait que le metabolisme s’adapte, avec une grande variabilite individuelle, que les contraintes alimentaires sont difficiles a respecter et qu’il y a aussi souvent un relachement de l’activite physique. D’ou l’interet de l’etape de preparation a la chirurgie bariatrique qui doit fortement insister sur ces points. Le patient doit avoir compris la necessite de modifier ses habitudes a vie, en termes d’alimentation et d’activite physique. L’obesite est une maladie chronique, le suivi et l’accompagnement occupent donc une place primordiale pour maintenir la perte de poids dans le temps.

Les bienfaits de l’exercice physique

La chirurgie de l’obesite aide a perdre du poids et reduit les comorbidites associees, mais les benefices sur le long terme sont d’autant plus importants que le patient respecte les conseils nutritionnels et reprend une activite physique adaptee. Celle-ci est recommandee, car elle permet le maintien de la masse musculaire, limite la fatigue et optimise la perte de poids. Le patient peut ainsi etre encourage a marcher des les premieres semaines, quinze puis trente minutes par jour, puis davantage. La reprise d’une activite physique soutenue doit etre discutee avec l’equipe en charge du suivi du patient.