DÉRIVES SECTAIRES ET THÉRAPEUTIQUES
ACTUALITÉ
Rattachée depuis le début de l’année au ministère de l’Intérieur, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) est-elle en train de vivre ses derniers jours ? L’inquiétude grandit chez les acteurs de la lutte.
Il y a d’abord eu le nonremplacement de Serge Blisko, président de la Miviludes parti à la retraite en octobre 2018. Puis le rattachement de la mission interministérielle au ministère de l’Intérieur, au 1er janvier 2020, alors qu’elle était auparavant placée sous l’autorité du Premier ministre. Et dernièrement, le coup de grâce, selon les proches observateurs : le déménagement, presque en catimini, des membres de la Miviludes, désormais placés sous l’autorité du secrétaire général du Comité interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). Dans ces différents signaux, Georges Fenech, député honoraire qui fut président de la Miviludes de 2008 à 2012 et qui publie ce mois-ci un ouvrage sur les dérives thérapeutiques (1), y voit « une faute », voire un « scandale d’État » pour toutes les victimes, leurs familles et les préjudices qui en découlent. Pour lui qui fut placé à la tête de la mission, le phénomène des dérives sectaires et thérapeutiques a pris un essor considérable ces dernières années, « jusqu’à infiltrer l’Assemblée nationale où un groupe de méditation a été mis en place en décembre 2017, s’insurge Georges Fenech. Même l’hôpital s’adosse à des pratiques(2) qu’il qualifie de médecines complémentaires mais qui n’ont aucun fondement scientifique, ce sont simplement des pièges ».
Pour dénoncer toutes ces pratiques, Georges Fenech a décidé de jouer les lanceurs d’alerte en écrivant, plus de huit ans après son départ de la Miviludes, « un livre qui se veut informatif pour que chacun puisse avoir connaissance de certaines dérives ». S’il estime que chacun est libre de se soigner en pleine conscience par le biais de différentes pratiques, il regrette que certaines se fassent parfois sans l’accord du patient ou par des méthodes non reconnues et validées scientifiquement. Aujourd’hui, il s’alarme de la manière dont la Miviludes semble se disloquer, en étant peu à peu privée de ses moyens d’exister. Pour lui, la perte du caractère interministériel de la mission est l’élément déclencheur. « La Miviludes a toujours eu un rôle d’information et d’alerte et a toujours œuvré en plein accord avec toute la classe politique. Or, aujourd’hui, je ne comprends pas qu’on la coupe de cette vision transversale qu’elle avait en étant rattachée à Matignon, donc aux ministères de la Santé, de l’Éducation, de la Famille ou encore du Travail. Lorsque je présidais l’instance, nous réunissions des responsables de chaque ministère, il existait un maillage important pour que chaque victime puisse trouver un interlocuteur où il le fallait. Aujourd’hui, les victimes savent-elles seulement où s’adresser ? », s’interroge l’ancien député.
Selon Georges Fenech, le désengagement des différents ministères implique moins de coordination et une efficacité amoindrie. Pire, « la Miviludes est dans un petit placard, et toute sa mémoire risque d’être endommagée », explique-t-il, faisant référence aux archives, d’épais dossiers qu’il consultait régulièrement lorsqu’il était président. Certains s’inquiètent de leur devenir, vont-ils suivre la mission, seront-ils toujours consultables ?
« J’ai été reçu par Frédéric Rose, préfet et ancien secrétaire général du CIPDR, qui m’a rassuré, mais je crains tout de même que la perte de présidence à la Miviludes ne soit un gros coup porté à son autonomie et à sa prise de parole », déplore Georges Fenech. Interrogé sur le devenir de la mission, le CIPDR nous renvoie vers le décret de rattachement au ministère de l’Intérieur. Celui-ci détaille qu’au 15 juillet 2020, un décret pris par le ministère de l’Intérieur modifie les dispositions du décret qui a mis en place la Miviludes et que « ce rattachement fait suite à la décision du 15 novembre 2019 du comité interministériel de la transformation publique. Il s’appuie sur la nécessité de renforcer le partage de compétences entre la Miviludes et le secrétariat général du CIPDR sur les questions d’emprise mentale et de lutte contre les nouvelles formes de radicalité ». Un rattachement qui ne convainc pas Georges Fenech, pour qui le combat contre la radicalité et celui contre les dérives sectaires sont dissemblables : « Certes, il y a bien une notion commune, qui est celle de l’enrôlement, mais les problématiques ne sont pas les mêmes », s’alarme-t-il. C’est pourtant lui qui, lorsqu’il était président de la Miviludes, a demandé à Manuel Valls, alors Premier ministre, la mise en œuvre d’un « plan national de prévention contre le phénomène d’endoctrinement en vue du recrutement de candidats au djihad », arguant que la Miviludes avait, selon lui, « les moyens d’agir pour éradiquer sur le territoire national le prosélytisme d’un islamisme radical, porteur de dérives gravement attentatoires à l’ordre public ». Aujourd’hui, il s’en explique : « La Miviludes est parfaitement adaptée pour traiter des phénomènes de radicalisation qui, par certains côtés, recoupent ceux de l’emprise mentale à caractère sectaire ; il aurait été plus logique de tout lui confier, au lieu de l’intégrer au sein du CIPD dont la vocation originelle est la prévention de la délinquance et auquel on a ajouté récemment le R de radicalisation. Ce choix est d’autant plus incohérent que la Miviludes s’occupe de ruptures familiales, professionnelles et de soins, ce qui n’est pas la vocation du CIPDR. »
Dans le décret qui instaure le rattachement au ministère de l’Intérieur, il est également noté que « l’intégralité des missions d’observation, de coordination des actions de prévention et de lutte, de formation, d’information du public et de mise en œuvre de l’aide aux victimes du phénomène sectaire de la Miviludes » est maintenue.
Ce rattachement à la place Beauvau plutôt qu’à Matignon ne serait qu’une manière de mieux appréhender l’évolution du phénomène sectaire, pour améliorer le service rendu au public, renforcer la coordination sur le terrain et apporter une plus grande efficacité dans le soutien apporté aux associations. « La détermination du gouvernement à lutter contre les dérives sectaires reste pleine et entière », assure ce décret. Anne Josso, responsable de la Miviludes, se veut rassurante : « Les missions de la Miviludes restent inchangées, tout comme les méthodes et l’organisation de la mission. Le rapprochement avec le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, déjà engagé depuis plusieurs mois, et qui va se traduire par le déménagement de la Miviludes dans des locaux communs d’ici à quelques semaines, n’a pas d’incidence sur les effectifs et le travail des conseillers. Le secrétaire général du CIPDR, qui a pris récemment les fonctions de directeur de cabinet de madame la ministre déléguée, chargée de la Citoyenneté (Marlène Schiappa, NDLR), laquelle a en charge la question des dérives sectaires, a souhaité donner une impulsion nouvelle dans la conduite de l’action publique préventive et répressive à l’encontre du phénomène sectaire. » Selon elle, dans les mois qui viennent, « plusieurs initiatives devraient marquer l’engagement du gouvernement sur un sujet qui est bien pris en compte dans toutes ses dimensions. En effet, les problèmes liés aux cultes et à la radicalisation n’occultent pas le phénomène sectaire et les autres formes de radicalités dangereuses, dans le domaine de la santé notamment ». Elle assure que « la coordination interministérielle et la coopération avec les autorités de santé ou avec les conseils de l’Ordre se poursuivent ». Les usagers peuvent toujours adresser directement leurs interrogations ou leur signalement à la Miviludes via les formulaires de saisie sur le site dédié (3).
Ces arguments sont loin de séduire Georges Fenech, qui pointe le manque de moyens humains de la Miviludes, aujourd’hui « placardisée ». Qu’est-ce qui a pu faire basculer le devenir de la mission de vigilance et lutte contre les dérives sectaires ? Selon Georges Fenech, toutes ces dérives, notamment les dérives thérapeutiques qu’il dénonce dans son ouvrage, représentent « un marché colossal et bénéficient d’une influence qui va bien au-delà de ce qu’on imagine », dénonçant même une intrusion de certaines de ces pratiques dans des sphères ministérielles : « Il faut savoir que Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, a organisé l’an dernier un colloque au ministère sur le thème très explicite de la méditation de pleine conscience », détaille Georges Fenech. À l’époque, la Miviludes veille au grain et est même destinataire d’un courrier l’invitant à ce colloque… De deux choses l’une, s’interroge Georges Fenech, qui relate également cet épisode dans son livre, « soit la méditation de pleine conscience est désormais admise comme pratique conventionnelle et on ne comprend pas dès lors la présence lors de ce colloque d’une mission chargée de lutter contre les dérives thérapeutiques, soit il s’agit, en l’intégrant à la réflexion, de faire “taire” une Miviludes trop encline à jouer les vilains petits canards », déclare l’ancien député. « C’est pourtant une mission qui a fait ses preuves (voir l’encadré) et que l’on nous envie partout dans le monde », n’hésite pas à rappeler l’ancien président de la mission, qui rappelle le caractère indispensable de cette lutte, face à des infiltrations, selon lui, de plus en plus profondes.
(1) Gare aux gourous : santé, bien-être, aux éditions du Rocher, paru le 26 août 2020.
(2) Lors de la commission d’enquête du Sénat, selon les propos du Pr Joël Menkès.
Créée en 1996 sous le nom d’Observatoire interministériel sur les sectes et devenue Miviludes en 2002, la mission a connu de nombreuses réussites, tout en faisant preuve de pédagogie à destination des fonctionnaires, des enseignants ou des professionnels de la santé. On lui doit, par exemple, le procès des faux souvenirs induits et celui des reclus de Montflanquin, en 2012, mais aussi la condamnation de l’Église de la Scientologie pour escroquerie en bande organisée, en octobre 2013. Plus près de nous, c’est elle qui, l’an dernier, a mis au jour l’existence d’une clinique sauvage à Poitiers, qui vendait des patchs, prétextant un essai clinique pour les malades de Parkinson ou d’Alzheimer.
Selon la Miviludes, c’est dans le domaine de la santé que la progression des signalements évolue le plus (jusqu’à 39 % dans le dernier rapport disponible sur le site de la Miviludes en 2015). Plus de 400 pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique sont recensées, 1 800 structures d’enseignement ou de formation “à risques” dans le domaine de la santé dénombrées et 4 000 psychothérapeutes autoproclamés, n’ayant suivi aucune formation et n’étant inscrits sur aucun registre. Sans compter les quelque 200 biodécodeurs, 800 kinésiologues, voire les 3 000 médecins qui seraient en lien avec une mouvance sectaire. Toutefois, la Miviludes prévient : « Toute dérive thérapeutique n’est pas forcément sectaire. Un “professionnel” de la santé peut faire appel à une thérapeutique non éprouvée, complémentaire ou alternative, mais qui ne comporte pas de danger en soi. La dérive thérapeutique devient sectaire lorsqu’elle essaie de faire adhérer le patient à une croyance, à un nouveau mode de pensée. » C’est notamment le cas lorsque, prétextant l’inutilité des traitements conventionnels, le pseudo-praticien demande au patient d’avoir toute confiance en lui, car lui seul détient la méthode miracle seule apte à le guérir. Dès lors, il y a endoctrinement et sujétion psychologique, qui conduisent le patient à rompre avec la médecine conventionnelle, puis avec sa famille et son environnement. Le gourou thérapeutique propose non seulement de soigner, mais aussi de vivre autrement. Il se présente comme le détenteur d’une vérité. Tous ceux qui se mettent en travers de son chemin sont accusés soit de retarder la guérison, soit même d’être à l’origine du mal, d’où la rupture du malade avec ses proches et ses amis. C’est là tout le danger.