Cette année, en guise d’hommage de la Nation, les infirmières étaient invitées aux festivités de la fête nationale. À Lyon, quatre infirmières libérales ont participé à la cérémonie, le 13 juillet. Delphine Perrichon, infirmière libérale dans le quartier de la Croix-Rousse, nous fait part de son ressenti et revient sur la manière dont elle a vécu la crise sanitaire.
Delphine Perrichon : Il m’a semblé tout naturel d’honorer cette invitation, reçue par le biais d’un courriel de l’URPS (1). En général, lorsqu’on parle des infirmières, on pense uniquement à celles qui travaillent à l’hôpital. Les infirmières libérales déplorent leur manque de reconnaissance : nous sommes les oubliées du plan Santé, du Ségur de la santé, etc. Pour une fois que l’on pensait à nous, je ne voulais pas rater ça !
D. P. : J’ai été prévenue très tardivement du déroulé, et l’organisation m’a semblé plutôt improvisée. Il faisait très chaud et nous sommes restées en plein soleil. Toutes les infirmières ont dû porter un masque, contrairement à l’ensemble des corps d’État présents, sans doute parce qu’ils étaient en rang, donc plus espacés les uns des autres. Le maire nous a simplement citées dans sa longue liste de remerciements, en inclinant légèrement la tête de notre côté… J’aurais aimé un geste symbolique plus fort, pas une médaille bien entendu, mais pourquoi pas une fleur ? Je pense que nous avons été invitées parce que c’est la mode de remercier les infirmières, cela fait bien dans le décor… Les institutions, une fois de plus, se donnent bonne figure en invitant les infirmières, mais sans les considérer pour autant.
D. P. : Dans mon quartier, nous avons organisé une tournée Covid-19 avec 12 confrères. Au départ, 47 infirmiers libéraux devaient participer, mais nombre d’entre eux se sont désistés, arguant être en contact avec des personnes fragiles, une surcharge de travail, etc. Chacun avait une bonne excuse, mais cela a été un peu difficile à entendre pour ceux qui sont restés, car au lieu de faire cette tournée en binôme un jour sur vingt-quatre, nous l’avons effectuée un jour sur six. Cette organisation a permis de protéger nos patients “classiques” de toute contamination. De plus, nous avons pu mutualiser du matériel et optimiser notre “journée Covid”, le temps d’habillage/déshabillage et de désinfection étant long. Le fait de travailler en binôme était un vrai plus : pour faciliter notre préparation vestimentaire évidemment, mais aussi pour partager et échanger, car nous avons vu des choses pas faciles, des familles en souffrance… J’ai choisi ce métier et je l’aime, mais je n’étais pas préparée à cela. D’autant que nous avons manqué de matériel et dû recourir au système D pour le stockage. Les habitants du quartier et les familles de patients nous ont beaucoup soutenus, ils nous ont aidés à garder le moral. Pendant toute cette période, je n’ai pas vu mes enfants et à peine mon conjoint pour éviter qu’ils soient en contact avec le virus… Cette privation dans ma vie privée a été le plus difficile à vivre. Et c’est d’autant plus rageant lorsqu’on voit le comportement négligent de certains !
D. P. : C’est difficile à accepter. Certes, je gagne mieux ma vie en tant qu’infirmière libérale, mais ramené au taux horaire, mon salaire est inférieur au Smic ! Le montant de la prise en charge Covid est vraiment ridicule. Déduction faite des charges, il s’élève à 10,47 € nets… à diviser par deux puisque nous étions en binôme. Sans compter les difficultés administratives, avec la prise en charge à 100 % par l’Assurance maladie, puis le remboursement du tiers payant par les mutuelles en cours d’épidémie : allait-on retourner chez les patients, dont beaucoup ont été hospitalisés, pour demander leur carte de mutuelle ? Dans bien des cas, nous n’avons donc pas facturé… En cas de seconde vague, je me poserai la question : estce que cela vaut le coup de prendre autant de risques, d’en faire courir à ma famille et à mes patients chroniques ?
(1) Union régionale des professionnels de santé infirmiers libéraux Auvergne Rhône-Alpes.