Les infirmières sont plutôt bonnes élèves lorsqu’il s’agit de respecter leur obligation de formation, qu’elles peuvent remplir auprès de deux organismes. Cependant, les thématiques, les conditions et les financements diffèrent.
Toutes les infirmières, quel que soit leur statut, sont soumises à deux obligations. En premier lieu, une obligation de formation professionnelle tout au long de la vie, placée sous la responsabilité de l’employeur et définie par le Code du travail. Pour les Idels, cette responsabilité leur incombe. C’est le Fonds interprofessionnel de formation des professionnels libéraux (FIFPL) qui s’en charge pour l’ensemble des libéraux, à l’exclusion des médecins. « Notre spécificité est d’avoir, au sein de notre conseil de gestion et de nos commissions professionnelles, des représen tants des organisations professionnelles qui proposent des priorités de formation, notamment à partir des remontées du terrain, l’État n’intervenant pas sur leur fléchage », explique Philippe Denry, président du FIFPL. Les Idels peuvent ainsi se former à tout ce qui se rapporte à leur activité, de la gestion de cabinet aux aides à l’installation, en passant par la comptabilité, etc.
En parallèle, depuis 2009, les Idels sont tenues de remplir une obligation de développement professionnel continu (DPC), prévue dans le Code de la santé publique. Cela implique de se former selon des orientations nationales prioritaires, définies tous les trois ans par les tutelles, l’Assurance maladie et les professionnels de santé euxmêmes via leur Conseil national professionnel (CNP). Le dernier arrêté, daté de juillet 2019, a été complété en 2020. Outre des orientations communes, certaines sont propres à chaque profession de santé. Gestion de la violence, maladies cardiaques, patients sous perfusion ou porteurs de stomie, surveillance en phase postopératoire, démarche clinique infirmière sont quelques-unes des nouvelles priorités triennales pour les infirmières. Mais l’obligation de DPC ne se limite pas à la formation. Elle rassemble deux autres types d’actions : l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) et la gestion des risques. « Il est très intéressant pour les professionnels de santé d’évaluer les actes réalisés, les risques pris, d’échanger sur leurs pratiques, afin d’éviter les événements indésirables ou les accidents médicaux, estime Michèle Lenoir-Salfati, directrice générale de l’Agence nationale du DPC (ANDPC). Pour le moment, peu d’organismes de formation proposent ces démarches, mais nous les incitons à le faire. » Ces organismes sont d’ailleurs soumis à un contrôle. Pour le DPC, ils doivent être enregistrés auprès de l’ANDPC et se conformer à des critères d’aptitude (arrêté du 14 décembre 2016). Du côté du FIFPL, ils doivent être enregistrés auprès de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), être référencés sur Datadock et, d’ici à la fin de l’année ou au début de 2021, « ils devront tous avoir la certification Qualiopi », indique Philippe Denry.
Le FIFPL est financé sur la base des cotisations des professionnels de santé libéraux versées à l’Urssaf. Pour 2020, les infirmières ont cotisé 101 €. Cela leur permet de bénéficier d’une formation à hauteur de 1 400 € par an, ce qui correspond généralement à quatre jours. Le FIFPL dispose également d’un budget spécifique pour financer des formations de longue durée, la validation des acquis de l’expérience, un bilan de compétences, des formations de conversion ou encore la participation à un jury d’examen. « Notre avantage relève de notre souplesse et de notre capacité d’adaptation aux besoins du terrain des professionnels libéraux, estime Philippe Denry. À titre d’exemple, pour la formation d’infirmière en pratique avancée, sa prise en charge par le FIFPL était une demande des représentants des professionnels de santé et du ministère de la Santé, et elle est désormais actée. » Au sein du FIFPL, seule la formation est prise en charge pour les Idels. « Néanmoins, il leur est possible de bénéficier d’un crédit d’impôt au titre du congé de formation du chef d’entreprise », informe Julien Maulde-Robert, infirmier libéral et viceprésident de la section santé du FIFPL. Les Idels peuvent aussi déduire leurs frais de déplacement et d’hébergement dans le cadre de leur déclaration 2035.
De son côté, l’ANDPC reçoit une dotation directe de l’Assurance maladie. « Le budget augmente chaque année, mais en moyenne nous disposons d’environ 200millions d’euros par an, fléchés par professions », indique Michèle Lenoir-Salfati. Le montant alloué aux infirmières varie entre 70 et 80 millions. Une somme qui permet aux Idels de bénéficier de deux jours de formation pris en charge. Elles peuvent également s’inscrire à des sessions dites hors quota (au-delà des deux jours) pour du tutorat de stage et des actions pluriprofessionnelles en appui à l’exercice coordonné dans les territoires. L’ANDPC indemnise en outre les Idels en perte de revenus pour les jours passés en formation.
Pour le moment, l’obligation de formation des Idels n’est pas contrôlée. « Mais l’ANDPC est en train de mettre en place un document de traçabilité qui permettra à chaque infirmière de retracer son parcours de DPC sur trois ans, et qui sera à adresser à l’autorité de contrôle définie dans le Code de la santé publique », souligne Michèle Lenoir-Salfati. Pour les Idels, il s’agit de l’Ordre national des infirmiers (Oni), qui va devoir décider des mesures à mettre en œuvre en cas de non-respect. La formation continue ne fait pas non plus l’objet de contrôles. Cependant, la donne pourrait changer avec la mise en place de la recertification. « Ce dispositif est à construire en France, indique la directrice de l’ANDPC, précisant qu’il repose sur le rapport du Pr Serge Uzan de 2018 pour les médecins . Il existe dans de nombreux pays, avec parfois des obligations très strictes. » Il s’agit en effet de s’assurer de la compétence d’un professionnel de santé plusieurs années après sa formation initiale. « La recertification devrait reposer sur la formation tout au long de la vie et le DPC pour juger des compétences, mais pas seulement : l’activité, la sinistralité et la relation au patient pourraient aussi être des indicateurs », informe-t-elle.
En attendant, les Idels sont plutôt bonnes élèves. « Sur l’ancienne obligation triennale, 66 % d’entre elles se sont engagées dans des actions de DPC, elles sont au-delà de la moyenne », se félicite Michèle Lenoir-Salfati. Cependant, seulement 16 % ont entrepris au moins deux types d’actions différentes (formation, EPP et gestion des risques). Parmi les thèmes les plus demandés, le bilan de soins infirmiers ressort massivement cette année. L’an passé, la formation dédiée aux plaies et à la cicatrisation était arrivée en tête. « Le choix dépend beaucoup de la politique conventionnelle ou d’une problématique de santé qui s’est posée, précise-t-elle. Ainsi, peutêtre que d’ici à quelques mois, la priorité sera donnée à la prise en charge de phénomènes épidémiques. » Pour Julien Maulde-Robert, « il y a un vrai dynamisme professionnel en faveur de la formation, ainsi qu’une volonté de mettre à jour ses connaissances ». La profession affiche, selon lui, une vraie détermination à se former. « Cela s’explique notamment par les évolutions permanentes de notre métier depuis dix ans, en matière de réglementation, de techniques de soins, de dispositifs médicaux, qui demandent une actualisation régulière des compétences et des pratiques professionnelles », conclut-il.
Yvonne Léon, infirmière libérale et formatrice
« Formatrice depuis une vingtaine d’années, je le suis devenue un peu par hasard. On me l’a proposé et j’ai accepté parce que j’aime transmettre. Et puis j’apprends autant des Idels qu’elles apprennent de la formation. C’est un véritable échange. Pendant longtemps, se former ne semblait pas être une nécessité pour les infirmières, qui s’appuyaient uniquement sur leur cursus initial. Ce ressenti a perduré même lorsque le DPC est devenu obligatoire, peut-être parce qu’il n’y a pas de contrôle. Lorsqu’il sera mis en place, sans doute que certaines infirmières seront toujours réticentes. Mais elles découvriront progressivement, je l’espère, le côté interactif et les bienfaits de la formation. L’objectif est d’être en phase avec les pratiques actuelles et d’y réfléchir ensemble. D’ailleurs, aujourd’hui, nous faisons beaucoup d’évaluations de pratiques professionnelles plutôt que de formations plus magistrales, ce qui se révèle bien plus pédagogique. »
Isabelle Guyard, infirmière libérale et formatrice
« Cela fait sept ans que je suis formatrice. J’ai suivi une formation pour le devenir avant d’exercer en binôme avec un formateur aguerri. C’est après avoir obtenu un diplôme interuniversitaire “plaies et cicatrisations” que j’ai voulu partager mes connaissances. Depuis deux ans, je forme également en hypnose thérapeutique, en diabétologie, en pneumologie, en cardiologie et en gestion de cabinet. L’obligation de DPC est, selon moi, assez lourde. Les infirmières sont volontaires, intéressées, même si certaines viennent uniquement pour remplir leur obligation. La crainte des contrôles des caisses d’assurance maladie constitue également une source de motivation. Elles sont néanmoins nombreuses à venir dans le cadre de l’évaluation des pratiques professionnelles, afin de partager des expériences, ce qui est très enrichissant. Je constate aujourd’hui que les Idels sont vraiment très demandeuses et de plus en plus impliquées dans la formation. »