L'infirmière Libérale Magazine n° 373 du 01/09/2020

 

LA VIE DES AUTRES

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Laure Martin  

À la suite de deux accidents de la route, Céline Carrier est devenue handicapée. Elle renonce alors à la restauration et devient assistante maternelle. Un métier qu’elle a adapté à son handicap, depuis bientôt quinze ans.

Dans sa maison où elle accueille des jeunes enfants, tout se passe au sol. « Depuis mes accidents, j’ai des douleurs constantes, explique Céline Carrier. J’ai donc dû m’adapter. » Handicapée moteur à 79 % et ne pouvant pas porter des charges de plus de 7 kg, elle pratique la motricité libre. Cette approche pédagogique est inspirée de la pédiatre hongroise Emmi Pikler et de la méthode Montessori. Fondée sur l’observation, elle a pour objectif de laisser l’enfant évoluer librement et vise à le rendre autonome rapidement. Avec la motricité libre, les enfants sont tout le temps au sol. De cette manière, Céline n’a pas à les porter, sauf au moment du change, pour le déjeuner et pour les mettre au lit. « Je suis donc en permanence avec eux, à leur hauteur, précise l’assistante maternelle qui dispose d’un agrément pour quatre enfants. Et s’ils ont besoin d’un câlin, je le fais au sol également. » Et de poursuivre : « Avec cette approche, les enfants apprennent très vite à se retourner ou encore à marcher. Ils ont tout à hauteur de vue et tout à disposition. » Cette technique permet ainsi d’accompagner les enfants à leur rythme. Les parents sont bien entendu informés du handicap de Céline et de la pédagogie qu’elle applique. « Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à rechercher des assistantes maternelles qui ont recours à la motricité libre », souligne-t-elle.

S’adapter au handicap

Pour parfaire cette technique d’autonomie, Céline Carrier a suivi, entre autres, une formation sur la langue des signes, ce qui lui permet d’initier les enfants à la communication non verbale. « Ce langage leur permet de s’exprimer alors qu’ils ne savent pas encore parler, souligne Céline Carrier. Ils ne sont donc pas frustrés dans l’expression de leurs besoins. » Chaque geste est associé à un mot pour qu’ils développent leur langage verbal en parallèle, « ce qui rassure les parents qui redoutent souvent que leur enfant ne se mette à parler qu’en signes », s’amuse Céline. Malgré son handicap, l’assistante maternelle ne reçoit pas d’aide financière pour l’obtention d’un matériel adapté. Pourtant reconnue comme travailleuse handicapée par la Maison départementale des personnes handicapées (lire l’encadré), elle ne bénéficie d’aucune allocation. Le seul soutien qu’elle a obtenu, sur toute sa carrière d’assistante maternelle, est celui du groupe de protection sociale des emplois de la famille et des services à la personne (Ircem) et de la CFTC Santé-Sociaux, qui lui a permis de remporter le Trophée des nounous en 2016 et de recevoir des chèques vacances. « En raison de mon handicap, j’ai parfois des faiblesses importantes au niveau des jambes. Des lits ou des tables à langer adaptés m’aideraient dans mon travail, mais cela me coûterait trop cher de les acquérir », déplore-t-elle.

Un double changement de cap

À l’origine, Céline Carrier est passionnée de cuisine, et songe à faire carrière dans la restauration. « À l’âge de 14 ans, j’ai débuté par un CAP puis un BEP cuisine, restauration et œnologie, se rappelle-t-elle. J’ai commencé à travailler à 17 ans, je voulais ma liberté, avoir mon appartement. » Très vite, elle devient chef de rang au restaurant Les Ombrages du casino d’Amnéville (Moselle). « Mais à 20 ans, j’ai eu un accident de la circulation qui m’a cassé une vertèbre. J’ai dû subir une opération pour la mise en place d’une plaque métallique et de vis. La rééducation a été très longue, j’ai dû complètement réapprendre à marcher. » Sa carrière dans la restauration s’arrête net, Céline est même déclarée inapte. « Je me suis alors beaucoup cherchée, car je ne connaissais que la cuisine, indique-t-elle. J’ai fait beaucoup de petits boulots, dont employée à domicile dans la garde d’enfants, pour finalement m’investir dans le contrôle qualité. » Mais à 28 ans, une voiture percute la sienne et c’est le second accident. « Les médecins ne se sont pas immédiatement rendu compte que l’une des vis s’était cassée et appuyait sur mon nerf sciatique. J’ai alors perdu la sensibilité dans ma jambe. » Opérée en 2003, elle doit de nouveau passer par la rééducation fonctionnelle. « À cette même période, j’ai rencontré mon conjoint, qui m’a proposé de déménager à Dijon, vers chez lui, pour effectuer ma rééducation. Rien ne me retenait en Moselle, d’autant plus que je me retrouvais de nouveau sans travail. » C’est son conjoint qui l’encourage, en 2006, à se former pour devenir assistante maternelle. « J’ai souhaité conserver une activité professionnelle, car mon corps me permettait de continuer à travailler, d’être encore debout, conclut-elle. Dans les centres de rééducation, j’ai côtoyé des personnes qui ont eu beaucoup moins de chance que moi, alors je ne me voyais pas rester en invalidité permanente. »

Une prise en charge locale du handicap

Dans chaque département, les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) accueillent, informent, accompagnent et conseillent les personnes en situation de handicap et leurs proches, et sensibilisent aussi l’ensemble des citoyens au handicap. Créées par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, ce sont elles qui attribuent des droits et des aides aux personnes handicapées, via la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Cette dernière se fonde sur l’évaluation réalisée par l’équipe pluridisciplinaire (médecins, infirmiers, ergothérapeutes, psychologues, etc.) et sur le plan de compensation élaboré. Les MDPH mettent aussi à la disposition des personnes handicapées et de leurs familles, en cas d’urgence, un numéro téléphonique en libre appel gratuit pour l’appelant.

Elle dit de vous !

« Dans le cadre de mon travail, je ne rencontre pas d’infirmières libérales. Néanmoins, lors de mes accidents, j’ai eu l’occasion d’être prise en charge par des Idels, et les parents de certains enfants que j’ai gardés exercent ce métier. C’est une profession qui manque clairement de reconnaissance et qui, selon les territoires, doit vraiment s’investir pour s’imposer. L’exercice de ce métier est d’autant plus difficile que les plages horaires des tournées sont très larges. Les Idels ne comptent pas leurs heures et font preuve de beaucoup d’humanité et de dévouement. Durant la période de confinement, nous avons pu prendre conscience de toute l’importance de leur métier. »