La prise en charge hospitalière en ambulatoire est en plein essor, particulièrement en ce qui concerne la chirurgie. Très centrée sur l’hôpital lors de sa conception, elle s’ouvre à la ville et offre de nouvelles perspectives pour la pratique infirmière en libéral.
Présenté comme un sésame ouvrant des perspectives radieuses, le « virage ambulatoire » est l’un des axes phares de la politique de santé publique menée ces deux dernières années. Une orientation affirmée en février 2015 par le ministère de la Santé, lors de la définition de l’objectif national des dépenses d’Assurance maladie (Ondam), qui vise à maîtriser les dépenses de santé. La réorganisation de l’hôpital autour d’une prise en charge en ambulatoire, c’est-à-dire inférieure à 12 heures et sans nuitée, devrait ainsi permettre d’économiser dix milliards d’euros en trois ans.
En attendant, les chiffres de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) prouvent que le virage est bel et bien amorcé. En 2016, on enregistre 7,7 millions de séjours en ambulatoire en MCO (médecine, chirurgie, obstétrique), soit 500 000 séjours de plus que l’année précédente. Outre la chirurgie, l’ambulatoire se développe principalement pour des thérapies en oncologie, des bilans en diabétologie ou de la prévention et de la rééducation en gériatrie, dans le cadre des soins de suite et de réadaptation. Un concept pourtant déja ancien, qui s’impose depuis plus de trente ans en santé mentale où 80 % des patients suivis en psychiatrie le sont en ambulatoire.
La chirurgie est véritablement le fer de lance de ce virage ambulatoire. Avec 54 % des interventions à son actif, ce mode de prise en charge est devenu la norme, grâce notamment à l’évolution des techniques, à la chirurgie mini-invasive, à un mode anesthésique plus ciblé. Mais il a ses contraintes propres, exige une organisation optimale du bloc opératoire et une anticipation afin de réduire les difficultés postopératoires : douleurs, nausées, effets secondaires. Ces effets sont d’ailleurs les premières causes de réhospitalisation que leur atténuation permettrait d’éviter.
Éviter les réhospitalisations, c’est tout l’enjeu de la continuité des soins. Avec pour corollaire une nécessaire coordination entre équipe hospitalière et professionnels de ville. Or, dans un premier temps, la chirurgie en ambulatoire s’est élaborée et développée à l’hôpital, pour l’hôpital, dans une logique d’autonomie vis-à-vis des professionnels de santé de ville. Les avancées techniques en cours, comme l’emploi de fils résorbables pour les sutures, permettent d’éviter un recours aux soins de ville. Cette logique s’explique par le fait que l’hôpital est légalement responsable du suivi post-opératoire. Elle résulte également d’une méconnaissance de la ville et d’un relatif mépris à son égard. Pascal Alfonsi, responsable du service d’anesthésie au GH Paris Saint-Joseph, évoque pour sa part un a priori des médecins hospitaliers sur les « médecins de ville qui ne sauraient rien et ne seraient pas en mesure de gérer les plaies chirurgicales ». Cliché renforcé par le manque de communication entre l’hôpital et la ville. Pourtant, l’Observatoire régional de la chirurgie ambulatoire (Orca) – une émanation de l’ARS Île-de-France – évoque « le rôle crucial » de la médecine de ville dans le suivi du patient après l’opération.
Un rôle qui pourrait légitimement être rempli dès le choix du mode ambulatoire. Dans un rapport consacré aux relations ville-hôpital en ambulatoire
Si elle a eu tendance historiquement à négliger les professionnels de ville, cette prise en charge en chirurgie s’appuie par contre largement sur le patient. Pour ne pas mettre à mal l’organisation, celui-ci se doit de respecter certains principes (arriver à l’heure, observer les recommandations qui lui sont transmises tout au long de sa prise en charge, etc.). Détenteur des comptes-rendus d’opération et d’hospitalisation, il réalise sa propre surveillance une fois revenu à son domicile et contacte les professionnels de ville en cas de besoin. L’évolution ambulatoire, visant à faire de l’hôpital une simple étape dans le parcours du patient, tend à responsabiliser encore plus ce dernier. Une importance qui peut toutefois sembler plus théorique que réelle. Une enquête qualitative menée fin 2016 par le Collectif interassociatif sur la santé (Ciss) auprès d’une trentaine de patients a, en effet, permis d’identifier une insuffisance lors de la demande du consentement à la prise en charge en ambulatoire. « Alors qu’ils auraient pu être d’accord avec la proposition qui leur a été a faite, les patients ont le sentiment qu’on ne leur a pas proposé d’alternative, relève ainsi Nicolas Brun, président d’honneur du Ciss. Les professionnels hospitaliers ont tellement le sentiment que l’ambulatoire est un plus qu’ils offrent, qu’ils occultent la possibilité d’avoir en face d’eux des personnes qui ne sont pas sur la même longueur d’onde. »
Et si ce mode de prise en charge correspond en effet à une attente forte des patients, qui préfèrent dormir chez eux plutôt qu’à l’hôpital, encore faut-il aussi que les informations circulent efficacement et soient comprises. Comme le souligne Nicolas Brun, « les patients interrogés lors de notre étude témoignent d’un manque d’information par rapport à leur prise en charge : comment ça se déclenche, comment ça va se dérouler et comment cela se passera une fois sortis de la structure ». En état de stress avant l’opération, de fatigue après, le patient n’est pas toujours en mesure de bien saisir ou d’enregistrer les informations qui lui sont transmises. Et sa dimension psychologique n’est peut-être pas suffisamment prise en compte. Après l’effet cocooning de l’hôpital, il se retrouve en effet seul face à ses questionnements et ses angoisses. Une douleur ou un signe pouvant être inquiétant peuvent prendre des proportions démesurées, quelle que soit la qualité des informations qui lui ont été délivrées. Partenaire de son propre soin, le patient n’en est pas pour autant soignant.
L’information du patient, capitale pour la qualité et la sécurité des soins, est largement décrite dans le document rédigé par la Haute Autorité de santé (HAS) pour formaliser la prise en charge en chirurgie ambulatoire, à l’attention des équipes hospitalières
Sur cette question des suites opératoires, la réhabilitation améliorée après chirurgie (Raac) apporte des améliorations. Basée sur une limitation des effets négatifs d’une intervention chirurgicale sur l’organisme, elle porte une attention particulière à la prise en charge de la douleur et à la préparation des patients à l’intervention, retour au domicile compris. « La mise en place d’une consultation infirmière préopératoire nous aide beaucoup, explique Vincent de Parades, proctologue au GH Paris Saint-Joseph. Elle nous permet de réduire le stress des patients, cette chirurgie étant réputée très douloureuse. » Et ce, afin d’éviter le cercle vicieux de la douleur conduisant à des réhospitalisations non justifiées, d’anticiper au mieux le retour à domicile, ou de l’accompagner avec des professionnels de santé de ville.
En ville, les professionnels les plus concernés par le manque de communication avec les équipes chirurgicales sont les infirmières libérales. Elles sont souvent à l’origine d’initiatives pour lier ces deux mondes qui s’ignorent encore trop souvent. Constituées en association ou par la voix de leur Union régionale des professionnels de santé (URPS), les Idel sont allées à la rencontre des équipes de chirurgie ambulatoire de leurs hôpitaux de proximité. Depuis plusieurs années, des concertations et des collaborations s’établissent et peu à peu, des plate-formes d’information et de formation à la prise en charge postopératoire spécifique à la chirurgie ambulatoire se mettent en place (lire encadré p. 21). Les agences régionales de santé (ARS) sont souvent impliquées, comme en Bretagne avec la plate-forme d’appui Paprica
Des perspectives importantes sont en train de s’offrir aux Idel pour le suivi-postopératoire des interventions présentant le plus de risques. Selon Corinne Vons, chirurgien digestif et présidente de l’Association française de chirurgie ambulatoire (Afca), les patients les plus fragiles et isolés, ainsi que des gestes chirurgicaux plus lourds, sont les prochains défis à relever pour la chirurgie ambulatoire. « Nous pensions nous appuyer sur les médecins traitants. Mais ils sont souvent débordés et nous nous sommes aperçu des attentes et des capacités des infirmières libérales. Elles pourraient constituer les relais dont nous avons besoin sur le territoire, pour remplacer l’aidant dans certains cas, et pour réaliser des actes ciblés et personnalisés pour les prises en charge les plus lourdes, explique-t-elle. Il ne s’agirait pas de “refaire la prise en charge hospitalière à la maison”, mais d’avoir une gestion des risques adaptée à chaque cas. Pour tel type d’intervention, prévoir une visite au quatrième jour parce que c’est à ce moment que les fistules se manifestent, ou pour le cancer du sein, suite à une mastectomie totale, avec le premier pansement. Cela nécessiterait une formation globale sur le concept et des formations plus ciblées, en fonction des types de chirurgie à gérer. » Reste à envisager un mode de rémunération particulier pour ces prises en charge, amenées à se développer. Une solution a été négociée par le réseau Ilhup (lire p. 24-25) avec son ARS. Ou bien il serait possible de s’inspirer du forfait qui avait été envisagé pour remunérer les médecins en ville jouant un rôle de coordination avec l’ambulatoire et de l’adapter aux infirmières
1- « L’impact de l’accélération des prises en charge ambulatoire au sein de l’AP-HP sur les relations Ville-Hôpital », rapport du groupe de travail du conseil de surveillance de l’AP-HP, 2017.
2- Chirurgie ambulatoire, grille de contrôle interne-HAS, mars 2015.
3- Plateforme d’appui de premier recours pour les Interventions en chirurgie ambulatoire (bit.ly/2sHgx1q).
Pionnière en la matière, la plate-forme Isipad (Intervention soins infirmiers post ambulatoire à domicile) reste la référence en matière de sécurisation du retour à domicile des patients après une chirurgie ambulatoire. Initité par l’Union régionale des professionnels de santé infirmier de Picardie, ce projet a reçu l’appui de son ARS. Cette plate-forme sécurisée permet aux Idel de se former à chaque type de suivi opératoire. Une fiche de liaison permet à l’Idel d’être en lien avec l’unité de chirurgie ambulatoire concernée. La prise en charge de la douleur postopératoire s’en trouve améliorée et ce dispositif permet d’élargir la chirurgie ambulatoire à des gestes innovants.
Pour Peggy Hallé, qui participe au dispositif, cette relation privilégiée avec l’hôpital a été l’occasion d’améliorer sa prise en charge à domicile : « Le jour même de l’intervention, à la sortie du patient, le service de chirurgie ambulatoire nous contacte directement. Un compte-rendu peropératoire et en post-opératoire nous est transmis. Quand nous arrivons chez les patients, nous disposons déjà des informations essentielles pour leur prise en charge. Cela nous permet de personnaliser les soins. Et nous n’hésitons pas à appeler le service du chirurgien en cas de questionnement, par exemple pour une cicatrisation. C’est important également si l’on se trouve face à des complications, pour savoir quelle action mettre en place. »
Une des marges de progression de la chirurgie ambulatoire concerne les urgences différables. De janvier 2016 à mars 2017, le service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital Bicêtre (Hôpitaux universitaires Paris-Sud) a mené une enquête, incluant 248 patientes, dont 80 % éligibles à la chirurgie ambulatoire.
171 d’entre elles ont accepté que leur opération en urgence soit differée et ont été prises en charge un ou deux jours plus tard de manière programmée. Ceci leur a permis de bénéficier du programme Prado initié par l’Assurance maladie permettant un retour à domicile anticipé, désormais applicable en gynécologie
1- Également applicable en orthopédie, pour l’insuffisance cardiaque et pour les plaies chroniques.