L'infirmière Libérale Magazine_Hors série n° 385 du 01/09/2017

 

GÉRIATRIE

CONTINUITÉ DES SOINS

SUR LE TERRAIN

Aurélie Vion  

À Ornans, dans le Doubs, le centre hospitalier Saint-Louis coordonne un dispositif destiné au maintien à domicile des plus de 75 ans. Objectifs : assurer un relais et créer des liens entre l’hôpital et les professionnels médicaux, paramédicaux et médico-sociaux pour offrir une prise en charge coordonnée de qualité.

Le PSPA, quèsaco ? « C’est un outil de travail intelligent qui nous fait gagner du temps et nous permet de nous recentrer sur notre cœur de métier. » Quand on interroge Jean-Alex Mour sur le parcours de santé des personnes âgées (PSPA) mis en place à Ornans, cet infirmier libéral, implanté sur le secteur depuis 15 ans, n’en tarit pas d’éloges : « Avant la création de ce dispositif, nous devions nous débrouiller pour aider les patients qui se retrouvaient en état de faiblesse, à leur retour à domicile après une hospitalisation par exemple. Nous prenions contact avec la famille, nous aidions à trouver des auxiliaires de vie, nous suggérions de monter des dossiers pour obtenir des aides financières… Tout cela représentait un temps précieux passé à faire de la paperasse et non du soin, se souvient l’Idel. J’estime que si nous avons, en tant qu’infirmier, quelques connaissances dans le domaine, nous ne sommes pas pour autant pleinement compétents en la matière, car ce n’est pas notre métier. Aujourd’hui, il nous suffit de téléphoner au PSPA qui assure tout ce travail. Nous avons la certitude qu’il sera bien fait avec un suivi derrière. L’équipe sait aussi mesurer le degré d’urgence et intervenir rapidement si cela est nécessaire. »

Venir en appui aux professionnels médicaux et paramédicaux ainsi qu’aux intervenants de l’aide à domicile au contact des seniors : voilà tout l’intérêt du dispositif PSPA mis en place en 2013 sur ce territoire rural. Né à l’initiative de l’Agence régionale de santé de Franche-Comté qui le finance, il s’inspire de l’expérimentation nationale des Paerpa (personnes âgées en risque de perte d’autonomie) dont il suit globalement l’esprit : prévenir et limiter la perte d’autonomie des plus de 75 ans, tout en assurant une meilleure coordination des professionnels autour des personnes âgées.

Perdus dans les dispositifs sociaux

Doté d’une équipe composée d’une coordinatrice conseillère en économie sociale et familiale de métier, d’un médecin gériatre, d’un infirmier et d’une assistante sociale, le PSPA est piloté par le centre hospitalier d’Ornans qui dispose d’un service de médecine, d’un service de soins de suite et de réadaptation, d’un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) ainsi que d’un Ehpad. Le PSPA compte aujourd’hui 360 patients en file active : des personnes de plus de 75 ans présentant des problèmes de santé, ayant besoin de soutien à leur domicile et/ou perdus dans les dispositifs sociaux.

« Le premier contact s’effectue à l’initiative de la personne âgée elle-même, de son aidant ou d’un professionnel qui a repéré quelqu’un en difficulté. L’entrée peut aussi se faire par le centre hospitalier d’Ornans, quand une personne âgée du territoire y est hospitalisée et que nous l’accompagnons pour préparer son retour à domicile », explique Héloïse Scalabrino, coordinatrice du PSPA. Sécuriser les retours à domicile après l’hospitalisation constitue, en effet, l’une des missions principales de l’équipe avec l’aide à l’aménagement du logement ou la coordination des différents intervenants. Lors des visites à domicile, les professionnels du PSPA sont particulièrement attentifs aux risques de chute, à la nutrition, à l’isolement et à l’iatrogénie médicamenteuse. « Nous utilisons la grille Sega(1) pour évaluer le niveau de fragilité avec toute une série de questions sur les traitements en cours, le nombre de chutes dans les derniers mois, la mobilité, l’incontinence, la prise des repas, les fonctions cognitives… », détaille Héloïse Scalabrino. La fréquence des visites à domicile (ou des contacts téléphoniques) est déterminée en fonction des situations individuelles.

Anticiper les situations de rupture

L’équipe peut aussi apporter son soutien pour remplir le dossier pour l’obtention d’une allocation personnalisée d’autonomie (APA) et la constitution d’un dossier d’entrée en Ehpad. « Nous expliquons qu’il s’agit de prévention. Les listes d’attente dans les Ehpad du secteur étant d’un ou deux ans, il est préférable de déposer un dossier bien en amont », précise Émeline Morel. L’assistante sociale reconnaît que la démarche n’est pas toujours évidente : « Les personnes à domicile ont très peu de recul sur leur situation. Elles s’imaginent que les Ehpad s’adressent aux personnes les plus vulnérables, et que ce n’est pas leur cas. À nous de leur expliquer que la dépendance peut survenir rapidement et qu’il vaut mieux anticiper pour ne pas agir dans la précipitation. Si l’entrée en Ehpad doit se faire dans l’urgence et que le dossier n’est pas monté, il se pourrait qu’elles doivent intégrer un établissement plus éloigné… Cela constitue en général un bon argument. » Pour Guy Decreuse, l’infirmier rattaché au PSPA, le travail mené autour du dossier d’Ehpad a l’avantage de « mieux préparer la personne âgée et sa famille. Cela contribue à éviter la décompensation brutale qui peut survenir au moment de l’entrée en maison de retraite ».

Le rôle de l’infirmier – qui est aussi responsable du Ssiad – est d’intervenir sur tout ce qui touche aux soins de nursing, mais pas seulement : « Mon regard se veut plus global, je suis aussi très attentif aux problématiques d’épuisement de l’aidant, insiste Guy Decreuse. Quand l’aidant familial rencontre lui aussi un problème de santé, nous pouvons proposer à la personne aidée un séjour de répit au centre hospitalier. Ce séjour est temporaire et limité à 15 jours maximum. » Un soutien qui peut également être proposé aux conjoints et qui représente un vrai plus aux yeux de Jean-Alex Mour, l’Idel : « Il n’est pas rare qu’un papy se retrouve complètement démuni lorsque sa femme est hospitalisée d’urgence. Il ne sait pas faire à manger ou le ménage… Avant, on appelait le Samu qui emmenait le couple, on mobilisait ainsi une place au CHU inutilement et le retour à domicile n’était pas forcément bien organisé derrière. Aujourd’hui, en passant par le PSPA, le centre hospitalier peut trouver une place pour le papy le temps d’évaluer ses besoins et de mettre en place les intervenants à domicile tout en assurant un suivi derrière. Tout le monde est gagnant. »

Des compétences complémentaires

L’ensemble des interventions du PSPA se fait en lien avec les professionnels de ville. Un travail de coordination qui n’a pas été simple à mettre en place. « Nous avons dû convaincre les différents acteurs que nous allions leur faire gagner du temps et que travailler en équipe, plutôt que chacun dans son coin, était profitable à tous. Il y a une culture professionnelle qui doit évoluer pour que les réflexes changent, estime Guy Decreuse. L’un des premiers reproches que l’on nous a fait au départ a été de questionner comment nous allions nous en sortir en cas d’urgence le vendredi soir à 22 heures ? Nous avons dû bien expliquer que nous n’étions pas un service d’urgence mais que nous étions dans l’anticipation. » En effet, certains professionnels – habitués à tout gérer par eux-mêmes – ont pu avoir l’impression que le PSPA leur ôtait certaines de leurs prérogatives. Mais aujourd’hui, ils sont minoritaires et les bénéfices de l’action concertée sont largement reconnus en matière de parcours de soins, de prévention et d’amélioration de l’état de santé global.

Le rapprochement des professionnels tant libéraux qu’hospitaliers permet aussi d’améliorer la prise en charge des situations complexes grâce aux regards croisés et la possibilité de s’appuyer sur les ressources du territoire comme les Maia(2), qui peuvent constituer un précieux soutien pour les personnes présentant des troubles cognitifs ou des maladies neurodégénératives.

S’il est délicat de dresser un bilan chiffré de l’action du PSPA qui s’inscrit avant tout dans la prévention, ce travail en réseau semble profitable à tous. « Le PSPA constitue le ciment entre les différents acteurs du maintien à domicile, considère Jean-Alex Mour. Auparavant, par exemple, nous n’avions pas toujours le réflexe d’aller vérifier auprès des auxiliaires de vie que la personne âgée mangeait bien. Nous pouvions passer à côté de plein de choses et nous apercevoir du problème quand la personne présentait des signes de dénutrition. Aujourd’hui, c’est systématique. Avec la pluridisciplinarité, nous travaillons plus intelligemment et améliorons la prise en charge. Nous avons tous des compétences complémentaires. »

1- Short Emergency Geriatric Assessment (sommaire évaluation du profil gériatrique à l’admission).

2- Méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie.