Le virage ambulatoire rend plus impérative la bonne coordination entre l’hôpital et la ville afin d’assurer la continuité et la sécurité des soins. Tous les acteurs en ont aujourd’hui conscience et les initiatives ne manquent pas. Reste à l’organiser plus largement…
Le tournant ambulatoire, promu par le précédent gouvernement et que la nouvelle ministre de la Santé va sans doute vouloir amplifier, s’accélère. Et ce mouvement inexorable va nécessairement obliger la ville et l’hôpital à apprendre enfin à mieux se coordonner. Dans la dernière version de sa cartographie de l’évolution des pathologies les plus fréquentes et des dépenses associées, parue en juin, la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) mesure, en effet, déjà des baisses de ses dépenses pour les séjours hospitaliers au profit, en particulier, des soins infirmiers de ville. C’est, par exemple, le cas de la maladie coronaire chronique, pour laquelle, entre 2012 et 2015, le coût des séjours hospitaliers est passé de 461 à 437 € en moyenne par personne et par an, tandis que le coût moyen des soins infirmiers a augmenté de 88 à 100 € sur la même période. La Drees, le service des études et des statistiques du ministère de la Santé, a également réalisé récemment une projection sur l’activité hospitalière à l’horizon 2030. Selon ses prévisions, si on se base uniquement sur le vieillissement de la population, le nombre de séjours hospitaliers augmenterait de plus de 2 millions et les besoins d’hospitalisation complète de 28 %. Or, si on tient compte du développement continu de la prise en charge ambulatoire à l’hôpital et du raccourcissement des séjours hospitaliers, le nombre de journées en hospitalisation complète devrait en réalité diminuer de plus de 3 millions d’ici à 2030. Pour réaliser ces prévisions, les auteurs ont parié sur l’hypothèse que les « innovations organisationnelles pourraient se généraliser ». Ainsi, par exemple, un meilleur suivi de l’hypertension artérielle devrait permettre de diminuer les hospitalisations. De même, « une prise en charge plus précoce et bien organisée en amont pourrait réduire le nombre d’hospitalisations liées à des problèmes de diabète ».
Dans les faits, le lien entre la ville et l’hôpital commence à s’améliorer, mais les initiatives restent encore souvent très ponctuelles. C’est ce qui explique la perception actuelle de beaucoup de soignants. Lors de la Paris Healthcare Week, organisée en mai par la FHF (Fédération hospitalière de France), une consultation nationale a été menée auprès de 800 professionnels de santé de ville et hospitaliers, médecins et infirmiers, pour mesurer « leur niveau de coopération et leurs attentes en termes d’outils ». La réponse du terrain est sans appel : seuls 35,9 % des personnes interrogées témoignent d’une « coopération régulière et fluide ». Pour les autres, la coopération se pratique « peu », voire même « pas du tout » selon un sondé sur dix. Pour y remédier, les professionnels mettent dans l’ordre des priorités : « une volonté commune de part et d’autres » (50 % des réponses), des « solutions informatiques de pointe assurant la sécurité des données des patients » (26 %), une législation « imposant des contraintes de partage des dossiers » (11 %), mais aussi « plus de temps à y consacrer » (9 %). L’attente est très forte sur le dossier médical partagé (DMP) dont le chantier a été confié depuis quelques mois à l’Assurance maladie : les trois quarts des sondés pensent que celui-ci « faciliterait considérablement la coordination des soins au quotidien », la moitié estimant même que ce dossier pourrait leur faire gagner une à cinq heures par semaine de temps administratif. Les résultats de cette enquête sont largement corroborés par les représentants de la profession infirmière. « La situation est loin d’être uniforme sur le territoire, note Nathalie Depoire, présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI). Tout dépend des liens qui ont été créés et des outils de liaison utilisés entre l’hôpital et la ville. Mais les ambitions et les valeurs portées par les soignants de ville et à l’hôpital sont les mêmes. » « Il y a énormément de progrès à faire, estime Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI). L’idéal serait d’avoir des fiches de liaison entre les IDE et les Idel. »
Première difficulté pour les équipes hospitalières : identifier les professionnels de ville. Le médecin traitant est en général repéré par l’hôpital. Un décret de juillet 2016 impose d’ailleurs désormais la rédaction d’une lettre de liaison à l’entrée et à la sortie d’une hospitalisation. Selon les chiffres du ministère de la Santé, 37 % des comptes-rendus de fin d’hospitalisation sont disponibles le jour même et 60 à 70 % de ces documents sont suffisants pour assurer la continuité des soins. « Nous n’avons pas de dossier partagé avec la ville. Mais depuis deux ans, le patient sort systématiquement avec un courrier, le CD de coronarographie, un compte-rendu d’hospitalisation. Avec parfois 15 sorties à la journée, il faut en répartir la charge. Ce sont les internes qui rédigent la lettre de liaison, validée ensuite par le médecin senior », témoigne Maria Crétant, cadre de santé du service de cardiologie au Centre hospitalier sud francilien (CHSF), à Corbeil-Essonnes (91).
En revanche, l’Idel est rarement dans la boucle. « Quand on demande à un patient qui le suit en ville, il donne le nom de son médecin traitant, raconte Thierry Amouroux. Mais pour l’Idel, souvent c’est “Martine” ou “Sylvie” qui est à côté de la pharmacie. » Les médecins généralistes en sont conscients. « Il faut innover au plan technique pour faciliter les relations ville-hôpital, mais en faisant des outils simples, » plaide le Dr Philippe Marissal, président de la Fédération des soins primaires. Simples comme ces petites cartes de la taille d’une carte vitale, conçues par plusieurs Unions régionales des professions de santé (URPS), notamment dans le Nord-Pas-de-Calais ou en Normandie, pour que le patient ait, sur lui, la liste et les coordonnées de tous les soignants de ville qui s’occupent de lui. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, ce sont les pharmaciens qui se sont emparés de la question. Des chargés de mission vont dans les hôpitaux et présentent aux représentants des commissions médicales d’établissements ce que pharmaciens et Idel peuvent faire pour prendre en charge le patient à domicile. Une fiche de liaison a également été créée par les professionnels de ville. L’idée étant d’éviter que les patients soient détournés systématiquement vers les prestataires de soins à domicile. Mais tous ces dispositifs sont épars et n’ont pas encore fait l’objet de véritables évaluations. « C’est intéressant, mais souvent il ne s’agit encore que d’expérimentations, le lien est parfois créé, mais sur des zones géographiques réduites, regrette Catherine Kirnidis, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). Le préalable à la bonne continuité des soins entre l’hôpital et la ville, c’est d’abord le partage de l’information. » Le nœud du problème, c’est que ces expérimentations sont généralement financées par des fonds qui ne sont pas destinés à être pérennes. Se pose notamment la question du financement des temps de coordination. Pourtant, dans la prise en charge de la maladie chronique, « la coordination entre l’hôpital, la ville et le médico-social est un prérequis », rappelle-t-on dans le livre blanc de l’interprofessionnalité en santé
À l’échelon national, le Prado – service de retour à domicile des patients hospitalisés, initié par l’Assurance Maladie en 2010 et expérimenté dans divers domaines (chirurgie orthopédique, BPCO, insuffisance cardiaque…) – permet, grâce à l’intervention d’un conseiller de la Cpam lors de l’hospitalisation, d’anticiper les besoins du patient et d’organiser également son suivi. « Cela fonctionne très bien, l’objectif est vraiment d’organiser la sortie avec tous les acteurs et aussi de rendre le patient responsable », témoigne Maria Crétant. Le Prado a vocation à être étendu à tout le territoire. C’est déjà le cas en chirurgie orthopédique où il a bénéficié à 68 800 patients et fait intervenir 35 000 IDE libérales.
Consciente de ces enjeux, la FHF a mis le sujet de la continuité des soins au cœur de sa plate-forme de propositions pour le quinquennat. Celle-ci invite notamment à « prévoir systématiquement un dispositif d’association des médecins libéraux aux groupements hospitaliers de territoires », en particulier en créant des partenariats avec des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui sont en train de se mettre en place sur le territoire. S’agissant des infirmières, « nous engageons notamment une campagne forte pour déverrouiller les possibilités de délégations de compétences aux infirmières hospitalières comme libérales. Nous voudrions que les autorisations soient plus rapides à obtenir pour que les équipes ne se découragent pas devant la lourdeur des procédures », explique David Gruson, délégué général de la FHF. La FHF mise aussi sur les hôpitaux locaux pour créer des ponts avec la ville, notamment au travers des maisons de santé pluridisciplinaires. À Belley (01), par exemple, un nouvel hôpital est en construction ; la maison médicale de garde, jusqu’à présent abritée dans des locaux vétustes, sera transférée juste à côté des urgences dans le nouveau bâtiment. « Si les nouvelles constructions intègrent le fait que la ville et l’hôpital peuvent travailler dans la continuité, notamment dans un premier temps pour la permanence des soins, c’est très intéressant », note le Dr Philippe Marissal. L’organisation en cours de la coordination entre acteurs de ville avec la constitution actuellement d’équipes de soins primaires (ESP) et de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) est observée avec grand intérêt par l’hôpital public, qui voit dans ces nouveaux dispositifs des points d’ancrage. Depuis janvier, la FHF a d’ailleurs recruté un directeur de projet chargé de l’ouverture de l’hôpital sur la ville. « Le lien entre l’hôpital et la ville est très dépendant des hommes et des territoires, remarque Rémi Fauquembergue, le tout nouveau directeur. Nous sommes en train de recenser les initiatives intéressantes dans le but d’écrire des propositions pour améliorer la continuité des soins. » Autrement dit, on sait que les coopérations entre la ville et l’hôpital existent. Mais aucun inventaire des initiatives n’avait encore été fait. Ce sera l’objet des premières conclusions de ce rapport qui sont attendues pour septembre.
1- Le livre blanc de l’interprofessionnalité en santé. Ouvrage réalisé sous l’égide d’un comité scientifique et pédagogique pluriprofessionnel.
C’est une expérimentation de télémédecine qui a eu pour bénéfice secondaire de resserrer le lien entre la ville et l’hôpital. Domoplaies, lancé en 2013 dans le cadre du premier appel à projets de télémédecine du ministère de la Santé, permettait aux Idel de solliciter l’accompagnement d’un centre expert, en utilisant des tablettes pour échanger des commentaires, des vidéos et des photos de plaies complexes.
« C’est un dispositif qui a eu de très bons résultats et apporté de la satisfaction à ses utilisateurs, estime Christine Bonnieux, ancienne présidente de l’URPS infirmiers de Basse-Normandie. Cela permettait notamment d’avoir des interlocuteurs suivis à l’hôpital via une infirmière référente. » L’expérimentation est aujourd’hui achevée, mais des Idel continuent de se servir de l’outil sur leur smartphone personnel, « car c’est aussi un précieux outil de formation », ajoute Christine Bonnieux. Selon une étude présentée au congrès de la Société française et francophone des plaies et cicatrisation en janvier dernier, l’amélioration clinique est plus rapide avec la télémédecine de 132 jours en moyenne contre 182 dans le groupe contrôle.
Si tous les groupements hospitaliers de territoire (GHT) ont à terme vocation à s’ouvrir sur la ville, rares sont ceux qui ont déjà entamé la démarche. À cet égard, le GHT des Deux-Sèvres autour du centre hospitalier de Niort fait figure d’exception et d’exemple souvent cité en modèle.
Comme souvent, il s’agit au départ d’une histoire de personnes, en l’occurrence des relations entretenues depuis le début des années 2000 entre le CH de Niort et la médecine de ville via le président du Conseil de l’Ordre départemental des médecins et le responsable du Samu. « Dès 2009, nous avons créé des groupes contacts entre l’hôpital, les médecins libéraux, les pharmaciens d’officine et les infirmières libérales, raconte Bruno Faulconnier, directeur du CH. Nous avons notamment travaillé sur la prise en charge du diabète grâce à un dossier commun entre la ville et l’hôpital pour fluidifier le parcours. »
Un logo ville-hôpital est même créé. Aujourd’hui, les libéraux sont représentés dans le GHT à travers leurs ordres, dont celui des infirmières.
« L’idée est de passer de l’idée de groupement hospitalier de territoire à celle de groupement de santé de territoire » ajoute Bruno Faulconnier. Avec pour objectif de mettre en place de véritables parcours de soins entre l’hôpital et la ville.