Le virage ambulatoire et la complexification des parcours de soins font parfois ressembler le système de santé à une jungle dans laquelle il est difficile de s’orienter. Visite guidée dans le méli-mélo de la coordination des soins.
Maia, GHT, PTA, Clic, ARS, Ssiad, HAD… Savoir jongler avec les acronymes est une compétence indispensable pour quiconque cherche à comprendre comment fonctionne la coordination des soins entre la ville et l’hôpital. La montée en charge des maladies chroniques et la diminution de la durée des séjours hospitaliers ont en effet conduit à l’émergence de la notion de parcours de soins : le patient n’est plus censé être traité d’épisode aigu en épisode aigu, mais doit bénéficier d’une prise en charge au long cours faisant intervenir une multiplicité d’acteurs. Résultat : un mille-feuille de structures un peu complexe, dans lequel il faut savoir se repérer pour le mettre au service du patient.
En théorie, pourtant, tout est simple : c’est le médecin traitant qui organise le parcours de soins. La loi Bachelot de 2009 a notamment précisé ses attributions : « orienter ses patients », « s’assurer de la coordination des soins », « contribuer au suivi des maladies chroniques, en coopération avec les autres professionnels », « s’assurer de la synthèse des informations »… Bref, le généraliste est sensé préparer l’hospitalisation, prendre des nouvelles de son patient, gérer le retour à domicile… « Le médecin généraliste a un rôle de pivot, mais dans la vraie vie, il est fréquemment débordé, saturé, épuisé, dépassé », témoigne Vincent Kaufmann, IDE de formation aujourd’hui pilote d’une méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie (Maia) en Seine-Saint-Denis, et à ce titre confronté à ces situations au quotidien. Cela ne remet pas en cause son engagement, mais il n’a tout simplement plus le temps. » Le médecin généraliste a donc besoin d’aide pour assurer ses missions. Et c’est là que les choses se corsent, car les structures qui viennent l’épauler se bousculent un peu au portillon.
Le plus simple est probablement de commencer par l’hôpital lui-même. Celui-ci se transporte hors de ses propres murs, avec l’hospitalisation à domicile (HAD) qui se développe à vitesse grand V. Dans un rapport publié l’année dernière, la Cour des comptes constatait qu’entre 2011 et 2014, le nombre de journées d’HAD avait gagné 6,7 % par an. Un secteur en forte croissance alors même que le taux de croissance de l’Objectif national de dépenses de l’assurance maladie (Ondam), demeure lui inférieur à 1,5 % par an. La place de la HAD dans le dispositif sanitaire n’en reste pas moins bien cadré dans les textes. La dernière circulaire en date, émise le 1er décembre 2006, rappelle qu’elle englobe à la fois une mission de coordination et la polyvalence de la prise en charge. Elle précise bien « qu’une hospitalisation à domicile est donc avant tout une hospitalisation » faisant l’objet d’une prescription qui peut émaner directement du médecin traitant. Elle prend en charge des soins complexes ou effectués selon un protocole dédié en raison de leur technicité. Pour cela, tous les acteurs nécessaires à la prise en charge du patient – IDE salariés ou libéraux, kiné, acteurs sociaux, psychologues… – sont coordonnés. Lorsque l’état du patient est suffisamment amélioré, la médecine de ville ou un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) peut prendre le relais. L’HAD peut aussi assurer des soins palliatifs jusqu’en fin de vie ou encore être un relais entre l’hospitalisation complète et l’ambulatoire, ceci afin d’éviter les ruptures de parcours.
Mais en dehors de l’HAD, l’hôpital cherche à maintenir le lien avec la ville de diverses manières. Un guide publié par l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France en 2015 listait les bonnes pratiques en la matière
À l’autre bout de la chaîne, parfois loin de l’hôpital, mais toujours dans des missions de coordination avec lui, on peut trouver les service de soins infirmiers à domicile (Ssiad). « Les missions propres d’un Ssiad consistent à éviter ou écourter une hospitalisation, faciliter le retour à domicile, prévenir ou retarder la dégradation de l’état de santé, etc. », énumère Nathalie Lavallée, responsable du service opérationnel de l’association « La vie à domicile, maison de la santé et des aidants », importante structure basée à Mérignac (33) comprenant notamment deux centres de santé infirmiers et un Ssiad (lire l’interview p. 28).
Comme les hôpitaux avec l’HAD, les Ssiad coordonnent des soins et interviennent sur prescription : ceux que leurs infirmières et aides-soignantes prodiguent à domicile. Ils doivent aussi se synchroniser avec d’autres acteurs. « Si un kiné vient en même temps qu’une professionnelle de chez nous, il faut s’organiser, témoigne la responsable d’un Ssiad du sud de la France. On doit souvent décrocher son téléphone ! »
Mais la coordination, cela ne se résume pas à éviter qu’une aide-soignante et un kiné ne se marchent sur les pieds au domicile d’un patient. « Il y a des parcours de soins tellement complexes que le professionnel de santé (généralement le médecin traitant) ne peut pas s’en sortir avec ses correspondants habituels, remarque Valérie Cornu, directrice de la plateforme territoriale d’appui (PTA) Odyssée dans les Yvelines. L’idée des PTA est de mettre en lien les dispositifs existants quand un professionnel a besoin d’un appui spécifique à un moment donné de la prise en charge, quel que soit l’âge ou la pathologie de son patient. »
En clair, lorsqu’un professionnel ne sait pas à qui s’adresser pour faire face à un problème de douleur, par exemple, il peut faire appel à la PTA qui peut prendre la main, orienter vers les bons acteurs en ville ou à l’hôpital, et au besoin intervenir. « On ne fait que de l’atypique, du cousu main, avec un grand souci de réactivité », résume Valérie Cornu. Créées par la récente loi de santé, ces PTA sont en cours de déploiement sur l’ensemble du territoire et financées via des conventions avec les ARS.
Mais les PTA ne sont en réalité que le dernier avatar d’une série de dispositifs destinés à venir en appui aux professionnels de santé dans la prise en charge de parcours santé complexes
Un dispositif similaire existe aussi dans le domaine de l’autonomie, pour les personnes âgées de plus de 60? ans : les Maia, évoquées plus haut. Ces structures couvrent presque tout le territoire national. « Notre rôle n’est pas de devenir une couche supplémentaire dans le mille-feuille, c’est de construire avec l’ensemble des acteurs un guichet intégré, autrement dit une réponse adaptée et harmonisée au plus tôt dans le parcours de santé, et ce quelle que soit la porte d’entrée de la première demande », explique Vincent Kaufmann. En plus de cette mission, les Maia accompagnent des personnes âgées en situation complexe au domicile avec des professionnels d’un genre nouveau : les gestionnaires de cas (voir encadré p. 27), qui viennent en appui aux autres acteurs déjà présents.
La diversité des acteurs impliqués dans la coordination des soins est encore plus grande : en plus de ceux déjà évoqués, on trouve sur le terrain des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et des centres locaux d’information et de coordination gérontologique (Clic ), apparus en 2000… Ainsi, outre des missions d’information, de conseil et orientation, 70 % des Clic mènent des actions d’évaluation et de coordination selon les premiers résultats d’un état des lieux, réalisé par l’Association nationale des directeurs et coordinnateurs de Clic (ANC.Clic)
« On a beaucoup de coordinateurs qui travaillent les uns à côté des autres auprès d’une même personne, mais sans même se coordonner entre eux, regrette Vincent Kaufmann. Chacun fait son évaluation et son plan de soin individualisé, en ayant posé les même questions à la même personne. » Du Ssiad à l’HAD en passant par les gestionnaires de cas, c’est en effet une véritable petite foule qui peut se presser au domicile d’un patient atteint de maladie chronique. « Et plus une personne âgée est dans une situation compliquée, plus on lui demande de se tourner vers des services supplémentaires, qui ont chacun des procédures différentes », ajoute Vincent Kaufmann.
D’où une idée qui a tendance à ressurgir périodiquement : celle d’un guichet unique où usagers et soignants pourraient adresser toutes leurs demandes, et qui les orienterait vers le professionnel, la structure ou l’établissement adapté « Le guichet unique est un vœu pieu, tranche Gérard Mick. Vous imaginez la personne qui doit se trouver au bout du fil pour un tel guichet ? Il faudrait des gens qui connaissent et comprennent tout par cœur. » Celui-ci ne refuse pas les efforts en vue d’une plus grande intégration, mais souligne que celle-ci sera longue à mettre en œuvre. Selon lui, l’essentiel est que les co-intervenants auprès d’une personne se connaissent.
Plutôt que d’un guichet unique qui concentrerait les réponses sur un même lieu, Vincent Kaufmann préfère d’ailleurs parler de guichet intégré, à laquelle les Maia travaillent dans le champ des personnes âgées. « Si une personne âgée a une demande, le professionnel qui la reçoit doit être en capacité de la qualifier, insiste-t-il. Et s’il a besoin d’explications plus poussées, il doit savoir qui aller chercher pour que la situation ne se dégrade pas. » Au lieu d’une vision unificatrice et jacobine, les acteurs de terrain plaident pour une coordination diversifiée, adaptée aux territoires. « On nous demande de décloisonner, mais ce sont les politiques publiques que l’on ne décloisonne pas », regrette Valérie Cornu. Entre les Maia soutenues par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) via les ARS, les PTA financées directement par les ARS, ou encore les Clic dévolus aux départements, les autorités de tutelle se multiplient et rendent impossible toute vision unificatrice. « Le plus important, c’est que les acteurs locaux se fassent confiance les uns les autres, et qu’on leur fasse confiance, plaide Valérie Cornu. Il faut apprendre à déléguer, partir du principe que les autres savent faire. » Un véritable changement culturel !
1- « Le renforcement des liens entre médecine de ville et établissements de santé. 11 bonnes pratiques mises en œuvre par 5 territoires soutenus par l’ARS » ARS Île-de-France, février 2015, 1re édition.
2- Le parcours santé est dit complexe lorsque l’état de santé, le handicap ou la situation du patient nécessite l’intervention de plusieurs professionnels de santé, sociaux ou médico-sociaux.
3- « État des lieux national des Clic et autres lieux d’information et de coordination », réalisé sur 183 des quelque 600 Clic existants (bit.ly/2seay0v).
4- Source APM, dépêche du 7/6/2017.
Coordonner les soins, c’est un métier. Ou plutôt, ce sont des métiers, qui offrent des opportunités aux infirmières. Exemples.
→ L’infirmière de coordination (Idec).
En Ehpad, en Ssiad, ou en réseau de santé, l’Idec joue le rôle d’interface entre l’équipe de soins de sa structure et le monde extérieur : médecins traitants, pharmaciens, établissements hospitaliers…
→ L’infirmière de liaison (Idelia).
Dans certaines HAD comme à l’AP-HP, les Idec ne font que les sorties d’hospitalisation.
Le travail de coordination avec les autres IDE et avec les autres prestataires est effectué par de nouvelles professionnelles : les Idelia.
→ La gestionnaire de cas.
Principalement employées dans les Maia, un tiers des gestionnaires de cas sont titulaires d’un diplôme d’infirmière.
Leur rôle : évaluer les besoins d’une personne âgée, et faire dialoguer ensemble tous les acteurs de sa prise en charge.
Comment l’équipe qui gère les sorties d’hospitalisation fonctionne-t-elle ?
Le but est de coordonner les actions afin d’assurer la continuité du parcours de santé de la personne âgée. L’équipe comprend une infirmière, une ergothérapeute, une assistante sociale et des aides-soignants référents. Nous intervenons sur prescription hospitalière, pour une durée d’un mois, une période pendant laquelle nous mettons un œuvre un plan personnalisé d’intervention. Cela débute par une visite d’évaluation à l’hôpital en amont de la sortie, en partenariat avec l’équipe hospitalière, pour faire le point sur les besoins et les risques.
N’est-ce pas quelque chose que les hôpitaux gèrent habituellement en interne ?
Oui, mais ils n’ont en général la possibilité de travailler qu’à court terme. Nous assurons un mois de prise en charge, avec l’idée de pérenniser ces relais par la suite. Il y a encore trop d’usagers qui se retrouvent en désarroi quand ils rentrent chez eux, parce que la sortie n’a pas été préparée et qu’ils pensaient pouvoir se débrouiller seuls.
Ce genre de dispositif est-il fréquent ?
Ce dispositif est autorisé par l’ARS depuis 2014. En Gironde, il n’y a qu’une autre équipe similaire. C’est trop peu, car le bilan est pour nous très positif.
Propos recueillis par A. R.