L'infirmière Libérale Magazine n° 294 du 01/07/2013

 

SANTÉ PUBLIQUE

Actualité

TRAITEMENT → Le baclofène pourra très prochainement être prescrit, en toute légalité, à des personnes souffrant d’une dépendance à l’alcool. Cette indication ouvre un espoir sans précédent dans la lutte contre l’alcoolisme et une nouvelle opportunité d’ETP pour les Idels.

Il s’agit d’une immense victoire pour les malades ! », déclare le Pr Olivier Ameisen. Découvreur des propriétés que pouvait avoir le baclofène dans le sevrage et le traitement de l’alcoolo-dépendance, le cardiologue, ancien alcoolique « libre et guéri » depuis plusieurs années, se bat sans relâche pour que cette molécule prescrite ordinairement pour le traitement des spasmes musculaires soit délivrée aux patients alcooliques qui souhaitent cesser de boire ou réduire substantiellement leur consommation d’alcool. Un pas déterminant semble avoir été franchi le 3 juin dernier, à la grande satisfaction des associations de patients comme Aubes ou Baclofène ou d’associations de professionnels comme le Resab.

La RTU

À l’occasion d’un colloque “Alcool : plus de 100 morts par jour, ça suffit !”, présidé par le Pr Didier Sicard, président d’honneur du Conseil national d’éthique, le Pr Dominique Maraninchi, directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), a en effet annoncé que le baclofène pourrait dans les toutes prochaines semaines bénéficier d’une Recommandation d’utilisation temporaire (RTU). Créé en 2011 par la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, ce dispositif permet, durant trois ans, d’encadrer des prescriptions non conformes à l’Autorisation de mise sur le marché (AMM). Deux conditions sont retenues pour ouvrir une RTU : qu’il existe un besoin thérapeutique non couvert, à savoir aucune alternative thérapeutique appropriée disposant d’une AMM ou d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) de cohorte dans l’indication concernée, et que le rapport bénéfice/risque du médicament soit présumé favorable.

L’enjeu humain et sanitaire est colossal. Chaque année, l’alcool tue 49 000 personnes en France. Parmi elles, 40 % décèdent avant l’âge de 65 ans, dont 22 % entre 15 et 34 ans, selon une étude publiée début 2013 par le service de biostatistique et d’épidémiologie de l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif (94). Les décès attribuables à l’alcool sont principalement des cancers (15 000 décès), des maladies cardiovasculaires (12 000 décès) et des pathologies digestives (8 000 décès). Et c’est bien sûr sans compter le dégât social que l’alcoolisme génère, brisant famille, relation, carrière… Depuis que le Dr Ameisen* avait rendu public sa découverte et publié en 2008 son récit personnel Le Dernier Verre, dans lequel il expliquait comment il avait cessé de boire en s’auto-administrant du baclofène à haute dose, des milliers de malades demandaient que leur soit prescrit ce médicament et de nombreux médecins avaient accédé à leur demande, plus ou moins sous le manteau. Plus de 50 000 personnes alcooliques seraient sous baclofène aujourd’hui, dont près de 22 000 nouveaux patients pour la seule année 2012. La majorité des prescriptions étant désormais faites par des médecins généralistes.

Résultats efficaces

« Il fallait que les pouvoirs publics réagissent », se félicite le Pr Bernard Granger de l’hôpital Cochin (AP-HP), qui a coordonné le colloque. « Ne pas prescrire du baclofène à un patient alcoolo-dépendant aujourd’hui peut être considéré comme une perte de chance », poursuit-il. Il est vrai qu’aucune thérapeutique ne peut rivaliser avec les résultats qu’enregistre ce médicament vieux de 40 ans. Ainsi, comme l’ont rapporté le Pr Philippe Jaury, addictologue, et le Dr Renaud de Beaurepaire, psychiatre à l’hôpital Paul-Guiraud à Villejuif, dans différentes études observationnelles, en quelques semaines de traitement, un malade sur deux est abstinent ou a une consommation d’alcool occasionnelle ou très modérée. Et si l’on ajoute ceux qui ont réduit substantiellement leur consommation, même si elle demeure encore élevée au regard des standards, c’est près de 70 % des personnes alcoolo-dépendantes qui voient le bout du tunnel grâce au baclofène. Deux études cliniques sont également en cours (lire encadré). « J’ai obtenu des résultats tout à fait similaires dans mon service, et il faut également insister sur la qualité de la guérison. Les patients se sentent libérés d’un esclavage alors qu’avec les autres méthodes, ils doivent lutter en permanence contre l’envie de boire. Comme nombre de mes collègues, j’ai des témoignages bouleversants de patients dont l’existence a totalement changé. Je n’ai jamais vu cela avec d’autres approches thérapeutiques et d’autres médicaments », confie le Pr Granger. Reste que le baclofène n’est pas non plus un produit miracle. Le patient doit être motivé pour arrêter de boire… Dans leur champ, les Idels pourraient à court terme jouer un rôle important dans la prise en charge des patients sous baclofène, notamment dans le domaine de l’éducation thérapeutique, le traitement étant à vie. Si la France est aujourd’hui pionnière en la matière, gageons que, d’ici peu, d’autres pays suivront, n’en déplaisent notamment aux alcooliers pour qui, jusqu’à maintenant, les alcooliques semblaient une source intarissable et… profitable.

* www.olivierameisen.fr

Deux essais en cours

En 2012, deux études randomisées ont été lancées en France selon la méthode du double aveugle.

→ La première, Bacloville, conduite par le Pr Philippe Jaury, a pour objectif principal de montrer l’efficacité à un an du baclofène comparé au placebo, sur la proportion des patients avec une consommation d’alcool à faible niveau de risque ou nulle, selon les normes de l’Organisation mondiale de la santé.

→ La seconde, Alpadir, menée par le Pr Michel Reynaud, chef du département de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP) à Villejuif, vise à « prouver que le baclofène a la faculté de conduire le malade alcoolique au maintien d’une abstinence totale vis-à-vis de l’alcool ».

→ La posologie retenue par ces études est aussi très différente. Avec Bacloville, les volontaires pourront recevoir jusqu’à 300 mlg par jour de baclofène ; avec Alpadir, la dose sera limitée à 180 mlg/j. Les résultats de ces études devraient être connus l’année prochaine. À terme, ils pourraient conduire à une AMM.