« Faire reculer la première consommation de drogues » - L'Infirmière Magazine n° 167 du 01/01/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 167 du 01/01/2002

 

Martine Pradoura-Duflot(1)

Questions à

Le 11 décembre dernier à Paris, le centre hospitalier Sainte-Anne organisait la journée « Tabac, haschich, alcool à l'adolescence ». À cette occasion, le Dr Martine Pradoura-Duflot nous a livré sa perception de l'addiction en milieu scolaire, et les mesures prises par l'Éducation nationale pour lutter contre la dépendance aux drogues.

Quel constat portent les établissements scolaires sur la consommation des élèves ?

Le phénomène peut toucher les enfants dès l'âge de dix ans. Le rajeunissement des consommateurs est ainsi un facteur récent. Aussi aujourd'hui, il est nécessaire de commencer la prévention dès le primaire. C'est à nous d'être capable de déceler chez l'enfant le contexte qui va favoriser la première consommation. Dans un collège ou lycée, le discours, le dialogue sera différent et parfois plus difficile. Par exemple, dans certaines familles, on constate que les parents eux-mêmes consomment. Alors, comment faire comprendre aux jeunes la dangerosité de leurs pratiques ?

Comment les établissements scolaires réagissent-ils ?

La perception des consommations de substances psychoactives a beaucoup évolué dans les établissements scolaires. Longtemps, ils ont sous-estimé, voire ignoré ou souvent caché ces consommations. « Ce ne sont que quelques-uns », « Il ne faut pas en parler, sinon vous allez les inciter à en prendre »... Des réactions très similaires à celles qui ont suivi la demande des médecins pour une éducation des élèves à la sexualité et notamment aux méthodes de contraception...

Quelles sont les raisons de cette banalisation de la consommation ?

La banalisation de ces consommations, en particulier pour le cannabis, le tabac et l'alcool, se rapproche d'une véritable nouvelle pratique sociale propre à cette génération. La signification est différente selon les niveaux de consommation. On ne peut pas comparer quelqu'un qui fait une consommation occasionnelle dans un cadre souvent festif, à une personne excessive qui fume une douzaine de « pétards » dans la même journée. La consommation des usagers occasionnels est de l'ordre du rite et de pratiques culturelles. C'est un symbole d'appartenance au groupe. Aujourd'hui, les jeunes recherchent avant tout du plaisir, de la détente et de l'évasion. Bref, ils souhaitent décompresser. Et la plupart du temps, ils se refusent à reconnaître le caractère dangereux de ces pratiques.

Quelles sont les conséquences les plus souvent observées ?

Pour ce qui est des conséquences sur la santé, les jeunes nous renvoient à nos pratiques d'adultes sur le tabac et l'alcool. Ils dérivent facilement par la suite vers des problèmes d'absentéisme, d'échec scolaire, de violence ou même de trafic.

Mais le phénomène le plus préoccupant, c'est ce mélange de haschich, tabac, alcool et parfois drogues dures. Pour les gros consommateurs, ces pratiques sont essentiellement dues à un mal-être et peuvent malheureusement les mettre en contact avec d'autres délinquances.

Face à ce phénomène, quel est le rôle de l'infirmière scolaire ?

Dans l'établissement, l'infirmière scolaire s'inscrit dans le quotidien des élèves. Cela lui permet effectivement d'établir des liens privilégiés avec eux. Elle est aussi amenée, tout comme le médecin scolaire, à conduire une action de dépistage. L'infirmière scolaire repère le terrain propice à la consommation de drogues. Par exemple, par le dialogue, elle est à même de déceler le mal-être chez l'adolescent et de constater s'il manifeste des symptômes qui laissent soupçonner une consommation abusive de substances illicites. Si tel est le cas, elle en informe alors le médecin scolaire, qui se déplace une fois par semaine dans chaque établissement. Le médecin établit son diagnostic puis évalue la gravité du problème, les éventuelles conséquences pathologiques. Si l'élève est mineur, il peut en informer les parents et le directeur d'établissement afin, après concertation, de l'orienter vers des structures associatives ou vers une prise en charge médicale ou psychologique. Si l'élève est majeur, le médecin a évidemment besoin de son consentement. Il est donc nécessaire que le personnel soignant des établissements, médecins et infirmières, se munisse des outils d'évaluation que nous lui remettons.

Votre politique de prévention a-t-elle évolué ?

La politique de l'Éducation nationale s'est véritablement modifiée au fil du temps. Des années quatre-vingts jusqu'à récemment, on a surtout privilégié les approches ponctuelles. Il s'agissait de faire appel aux témoignages d'anciens toxicomanes, à ceux des représentants de centres de désintoxication. Cela n'a pas fonctionné. Les élèves ne se sont pas du tout reconnus dans leurs témoignages.

Et aujourd'hui ?

Désormais, notre démarche doit être plus cohérente. Elle doit prendre en compte l'ensemble des produits licites ou non et s'appuyer sur une culture commune validée scientifiquement. Notre politique de santé, définie sous l'égide de la Mildt (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie), s'oriente vers une prévention dès l'école primaire et vers une politique d'accompagnement du jeune en prévention secondaire. C'est un partenariat en réseau avec les intersecteurs de psychiatrie et les associations. Dans chaque département, un chef de projet « toxicomanie » est chargé d'élaborer un programme départemental de prévention. L'Éducation nationale participe à ce groupe pour une cohérence des actions en milieu scolaire et extrascolaire et pour que la prévention soit intégrée dans la vie quotidienne des établissements scolaires.

Quels sont les objectifs de ce programme ?

Notre volonté est d'empêcher, ou sinon au mieux de faire reculer la première consommation de drogues et cela dès l'école primaire. Au secondaire, notre action a pour but de prévenir le passage d'une consommation occasionnelle à une consommation excessive. Dans une démarche plus globale, nous souhaitons aider les jeunes à comprendre et à s'approprier l'information. Et cela afin de prévenir l'échec scolaire, la montée de la violence, etc. Bien sûr, nous souhaitons l'implication de tous les personnels. C'est-à-dire les équipes soignantes et pédagogiques. C'est une politique de prévention ambitieuse.

1- Médecin conseiller auprès du directeur de l'Académie de Paris et responsable départementale du service médical en faveur des élèves.