Il est né le nouveau décret... - L'Infirmière Magazine n° 167 du 01/01/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 167 du 01/01/2002

 

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La nouvelle version du « décret de compétence » devrait paraître au Journal officiel courant janvier. Si le contenu du texte ne fait pas l'unanimité, tout le monde s'accorde à dire que le record de la lenteur administrative a été battu...

Incroyable, mais vrai ! Le « nouveau décret de compétence » devrait sortir dans le courant du mois de janvier 2002. « Arlésienne », « serpent de mer », quel que soit son surnom, la refonte du décret relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'infirmier a su se faire désirer. Il aura donc fallu la bagatelle de trois ans (rappelons-nous, la révision a été engagée en octobre 1998...), et le travail persévérant des divers associations et syndicats infirmiers pour aboutir à un texte constitué de 16 articles (contre 11 articles pour le décret n° 93-345 du 15 mars 1993). Examiné par la Commission infirmière du CSPPM (Conseil supérieur des professions paramédicales) le 23 février 2001, il est plus complet que son aîné. Les cinq premiers articles sont généralistes. Ils passent en revue les missions et le rôle propre des infirmières actuellement. Les articles 6, 7, 8 et 9 listent les actes infirmiers.

Enfin, les articles 10, 11 et 12 décrivent plus spécifiquement le rôle infirmier pour les spécialités d'anesthésiste diplômée d'État, de puéricultrice diplômée d'État, et d'infirmière de bloc opératoire diplômée d'État. L'article 13 concerne le rôle infirmier en l'absence du médecin, l'article 14 passe en revue la formation et l'hygiène. Enfin, les deux derniers articles (articles 15 et 16) sont administratifs.

Cela valait-il la peine d'attendre aussi longtemps ? Pour Thierry Faucon, président du Snia (Syndicat national des infirmiers anesthésistes), l'article 10 tel qu'il est énoncé aujourd'hui est le résultat d'une longue lutte.

« Méthode scandaleuse ». Le travail de toilettage du texte a permis de spécifier le double rôle de soignant et de « technicien anesthésiste » de l'Iade. Enfin, un alinéa sur son rôle en salle de surveillance post-interventionnelle (PSSI) a été ajouté ainsi que la mention de « priorité dans les transports sanitaires ». « L'article 10 me semble plus réaliste, plus complet, plus ouvert que celui du décret de 1993 », conclut Thierry Faucon. Bilan plutôt positif ? « On n'a jamais mis autant de temps à sortir un décret ! La méthode de travail est scandaleuse : nous avions tantôt des interlocuteurs au CSPPM, tantôt plus personne. Les dossiers sont traités avec une lenteur bureaucratique. Il est de toute façon inconcevable de mettre plus de trois ans à réviser un décret. Nous devrions être à la deuxième réévaluation du décret aujourd'hui. »

Pour Marc Livet, président de l'Ascism (Association des cadres et infirmiers en santé mentale), la refonte du décret n'est pas adaptée à l'exercice de la profession infirmière. « En effet, 90 % du nouveau décret est centré sur le milieu hospitalier, donc non représentatif de l'ensemble des professions infirmières (libérales, scolaires, infirmières « du travail »). Le travail de consultation infirmière n'est pas pris en compte. Sur le plan de la psychiatrie, le décret est dérisoire. À la demande de la DGS, cinq établissements spécialisés en psychiatrie ont travaillé sur la refonte du décret depuis plus d'un an pour aboutir à une synthèse de 30 pages remise au ministère de la Santé. Bilan : à peine cinq lignes nous concernent dans le nouveau décret. Exemple : 80 % de notre travail, en psychiatrie, se fait en ambulatoire et l'ambulatoire n'est pas mentionné. Tout le travail de suivi du patient, d'accompagnement thérapeutique est passé sous silence. Ce décret n'est pas représentatif de la variété du travail infirmier dans notre domaine. Tous ces oublis prouvent que l'infirmier en psychiatrie n'est toujours pas reconnu dans le domaine de la santé, ni même au sein de la profession infirmière. » Mécontentement du côté de l'Ascism, qui n'oublie pas de préciser : « Il ne faudrait pas oublier que nous sommes la spécialisation infirmière la plus nombreuse (55 000) et que la psychiatrie est une spécialité qui va prendre de plus en plus d'importance. »

Du côté des infirmières de bloc opératoire, Chantal Levasseur, présidente de l'Unaibode, trouve la refonte du décret satisfaisante. « L'article 12 constitue pour nous une grande avancée. En effet, notre travail n'était reconnu qu'en présence d'un chirurgien, ce qui ne représentait qu'environ 30 % de notre tâche. L'article 12 met en avant nos responsabilités dans la gestion de l'environnement et la sécurité (au niveau du matériel) du bloc opératoire. De plus, nous avons aussi obtenu la mention de notre exercice "en bloc opératoire et secteurs associés". C'est une avancée car nous n'étions reconnus que dans le cadre du bloc opératoire alors que nous exerçons aussi en endoscopie par exemple. »

Un immense champ d'action. Cependant, les Ibode n'ont pas eu gain de cause sur la question de l'exclusivité de l'exercice de la profession : il est mentionné que l'Ibode exerce « en priorité » les activités qui lui incombent. Ce point devrait être accepté par la DGS dès que les effectifs des Ibode seront assez nombreux pour assumer cette exclusivité, peut-être d'ici cinq ans.

Du côté des infirmières de l'Éducation nationale, il semble que le texte ne soit pas pleinement satisfaisant. Le Syndicat national des infirmier(e)s conseiller(e)s de santé (Snics) avait énuméré au ministère(1) deux craintes : « Le fait qu'il ne soit pas clairement écrit que cette profession peut, sous sa propre responsabilité, conseiller, faire usage ou administrer des médicaments non soumis à prescription médicale et répondant aux besoins ponctuels des personnes, n'offre pas réellement un encadrement légal des pratiques. » Et d'autre part, la lettre soulignait « qu'il serait dommageable et abusif d'étendre les compétences des infirmières puéricultrices à tous les secteurs, le contenu de leur formation n'étant pas approprié au secteur de l'Éducation nationale mais axé sur les prématurés, les nourrissons, les jeunes enfants et notamment sur les maladies et les traitements médicaux ».

Et voilà l'article 11 du décret consacré aux puéricultrices diplômées d'État remis en cause... Toute la complexité de ce texte est bien de prendre en compte l'immense étendue du champ d'action de la profession, dont la blouse s'étend du milieu hospitalier au milieu libéral, des crèches aux maisons de retraite, de l'entreprise au secteur psychiatrique ! Mais si on reconnaît cette difficulté pour la rédaction, on peut néanmoins dire que le ministère a abusé du proverbe « tout vient à point à qui sait attendre »...

1- Voir L'Infirmière magazine n° 159, avril 2001, pp 8-9.

Témoignage

« La voie de la reconnaissance ne passe pas par le décret »

Anne Perraut Soliveres est cadre supérieur infirmier de nuit au centre hospitalier de Bligny (Essonne). Elle est aussi chercheuse en sciences de l'éducation. Sa thèse intitulée Infirmières, le savoir de la nuit, qui a remporté le prix Le Monde université a été récemment publiée aux Puf. L'auteur analyse la spécificité du travail de nuit, et montre par ce biais toute la complexité des missions de la profession, confrontée à une grande diversité de situations. « La voie de la reconnaissance ne passe pas par le décret. Il ne permet pas de retrouver tout le sens de notre métier, toutes nos valeurs. Le métier de l'infirmière n'a rien à envier dans sa noblesse à celui du médecin. S'agissant du pouvoir de prescrire, la majorité des infirmières le laisse bien volontiers au médecin. Cependant, les médications appartenant au confort, (antalgiques, somnifères ou autres), pourraient être délivrées par l'infirmière dans un cadre à définir avec ses partenaires. Il en est de même pour de nombreux soins, hygiène, pansements, traitements d'escarres... Autre notion que ne relève pas le décret : celle que recouvre le mot amour. Mot qui englobe une multitude de sens que connaissent bien tous ceux qui ont affaire aux populations souffrantes... »

3 QUESTIONS À

Marie-Antoinette Dupré,infirmière de santé au travail

Quel article vous concerne plus spécifiquement ?

Dans le décret de 1993, c'était l'article n° 8 qui nous concernait. Pour la refonte, ce même article est repris par l'article n° 13. Pour nous, il n'y a pas de grands changements.

Comment se répercute cet article dans votre pratique quotidienne ?

Nous faisons un compte rendu pour chaque acte que nous pratiquons. Nous avons un cahier dans lequel nous notifions tout ce que nous observons. Cette « prose » est indispensable au suivi efficace des patients par le médecin, qui n'est présent que deux jours par semaine.

L'article 13 suit l'évolution de votre pratique ?

Non. Ce n'est pas son contenu que je remets en cause, mais il est inapplicable depuis la mise en place des 35 heures. Tout ce travail administratif prend un temps considérable, en plus des heures passées auprès du personnel de l'entreprise. Sans embauche d'infirmières, nous sommes tiraillées entre l'application des 35 heures et le respect de l'article 13. En fait, quotidiennement, nous ne quantifions pas les heures de travail, car pour nous, le patient passe avant tout.

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