Quand les infirmières se prennent pour John Wayne... - L'Infirmière Magazine n° 168 du 01/02/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 168 du 01/02/2002

 

BURN-OUT

Actualités

Face au manque de personnel et de moyens, beaucoup d'infirmières sont touchées par l'épuisement professionnel, selon les travaux communiqués par la Sfisi en janvier dernier. On parle de « syndrome John Wayne », forme de dépersonnalisation qui amène la soignante à refuser toute implication relationnelle.

En France, 18 à 45 % des infirmières subiraient un état d'épuisement professionnel important. C'est en tout cas le constat alarmant qui ressort des 21es journées de la Société française des infirmiers en soins intensifs qui se déroulaient les 17 et 18 janvier au Cnit de Paris-La Défense.

Impuissance et frustration

« Aujourd'hui, confrontés à une charge émotionnelle constante et à des dysfonctionnements institutionnels fréquents, les personnels de santé s'exposent plus que toute autre corporation au phénomène d'épuisement professionnel », prévient Fabrice Lakdja, anesthésiste à l'Institut Bergonie de Bordeaux. En effet, au fil des années, le soignant s'engage dans une lutte intérieure où il se consume à petit feu. Face aux réalités quotidiennes, les idéaux professionnels s'effondrent peu à peu. Pour maintenir son niveau d'efficacité, le soignant doit se dépasser et aller chercher encore plus loin les ressources nécessaires. Un phénomène d'accoutumance se crée. La crise, elle, s'enracine toujours plus profondément. Le soignant cède irrémédiablement au « burn-out». Aujourd'hui, 25 % des infirmières des hôpitaux généraux, tous services confondus, souffrent de leur travail et 50 % d'entre elles ont eu l'envie récente de quitter leur poste.

Premier observateur du phénomène en 1974, le psychologue américain Herbert Freudenberger définit le « burn-out » comme « le sentiment profond de flancher, s'épuiser à force de solliciter de façon excessive son énergie, ses forces ou ses ressources ». En 1996, à partir d'entretiens semi-directifs et d'analyses statistiques, le clinicien Jean-Pierre Neveu identifie les caractéristiques du « burn-out infirmier ».

Chez l'infirmière, l'épuisement professionnel se manifeste par « une impression d'inutilité, d'impuissance et de désarroi face à une fatalité surpuissante ». Confrontée à l'image idéalisée de sa profession, elle développe un sentiment d'incompétence et de frustration. Parmi les plus exposées, les infirmières débutantes. Très tôt, face aux réalités professionnelles, elles prennent conscience de leur incapacité à influer sur le cours des choses et ne retiennent plus que leurs échecs.

Le « burn-out » se développe insidieusement en suivant une logique relationnelle implacable. Première de ses manifestations concrètes, l'épuisement émotionnel. Retranché au-delà de ses limites psychiques et physiques, le soignant se sent « essoré », « vidé » par les relations qu'il entretient avec ses patients ou ses collègues. Sans raison, les explosions de colère succèdent aux crises de larmes. Le seuil de saturation est définitivement atteint. Pour se protéger, le soignant se réfugie alors dans la froideur, le cynisme. Par une absence totale d'émotions, il se détache peu à peu de son environnement jusqu'à déshumaniser sa relation à l'autre.

« Syndrome John Wayne »

Cette « dépersonnalisation », deuxième manifestation du syndrome, amène l'infirmière à refuser toute implication relationnelle ou émotionnelle. Systématiquement, elle fuit le contact de l'autre, limitant ses échanges à l'accomplissement de ses tâches. Premiers boucs émissaires de ses difficultés, les patients. Petit à petit, elle se désintéresse d'eux et réduit leur existence à une pathologie ou à un numéro de chambre.

D'autres comportements de fuite illustrent le « burn-out infirmier » : la discussion sur le pas de la porte, le refus des communications téléphoniques, les comportements stéréotypés, etc. La littérature américaine assimile ce comportement au « John Wayne syndrom ». En effet, à l'instar du célèbre acteur de western, l'infirmière, impassible, affiche un sang-froid extrême et semble capable d'affronter toutes les souffrances humaines. Néanmoins, cette situation témoigne d'un malaise psychologique latent qui la conduira tôt ou tard à la dépression. Dans les services, le burn-out se manifeste par l'absentéisme, les demandes de mutations ou encore par un délaissement progressif des soins au profit des tâches administratives. Un phénomène excessivement contagieux qui provoque parfois dans les services de véritables hémorragies d'effectifs. Les signes cliniques du burn-out varient. Certains souffrent de symptômes somatiques et comportementaux : troubles du sommeil, gastro-intestinaux, dermatologiques et sexuels, ou encore de rhumes et de maux de têtes chroniques. D'autres présentent une fatigue, une irritabilité, une sensibilité à la frustration. Ces manifestations avertissent d'une surcharge physique et émotionnelle. Surmené, l'individu peut alors adopter des comportements dangereux pour lui-même et autrui (usage abusif d'alcool, de psychotropes...).

Encore trop souvent sous-estimé, le burn-out ne bénéficie pas aujourd'hui de soins réellement adaptés. Les rares initiatives préventives et thérapeutiques s'organisent autour de deux approches. La première privilégie le développement personnel afin de redonner le sens de l'engagement et du défi aux soignants touchés. Ainsi, lors de réunions sous la direction de psychologues, les infirmières « burnoutées » partagent et confrontent leurs expériences. Par ce dialogue, elles construisent peu à peu des référents leur permettant de mieux gérer les situations jusqu'alors problématiques.

La seconde approche, bien plus ardue à instaurer, sous-entend « une redéfinition organisationnelle et des objectifs plus réalistes ». Elle passe aussi par des programmes de formation, de tutorat et par un suivi des projets professionnels. En effet, au coeur de ce phénomène aussi contagieux que douloureux, se dessinent des enjeux institutionnels. Ainsi, le burn-out ne serait que l'expression du manque de reconnaissance de la fonction particulière du soignant. Un mal-être dont les récentes manifestations du secteur se sont fait l'écho.

Sondage en réanimation

Un questionnaire distribué à 1 700 infirmières lors du congrès 2001 de la Sfisi, a permis d'appréhender l'impact du burn- out dans les services de réanimation. La moyenne d'âge de l'échantillon interrogé s'élevait à 32 ans et l'ancienneté à presque dix ans. Parmi les résultats les plus intéressants, 15 % des sondées souhaitaient quitter leur profession dans les mois suivant l'étude. 31 % envisageaient de demander leur mutation vers un autre service ou établissement hospitalier. Des chiffres qui reflètent la tendance de l'ensemble des infirmières, tous services confondus.