« Donner aux soignants des connaissances juridiques » - L'Infirmière Magazine n° 170 du 01/04/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 170 du 01/04/2002

 

Gilles Devers

Questions à

Grâce à l'initiative de Gilles Devers, avocat au barreau de Lyon et ancien infirmier, 22 soignants issus de l'Ifross(1) ont obtenu un diplôme universitaire « droit, expertise et soin ». Ce qui leur offre la possibilité d'être tout à la fois experts judiciaires et soignants.

En quoi consiste ce DU « droit, expertise et soin » ?

Ce DU est la concrétisation de 21 jours d'enseignement (sept modules de trois jours répartis de février à novembre à raison d'un module par mois environ). La formation se compose de deux grandes parties. La première dispense les notions générales du droit : ses principes généraux, l'organisation judiciaire, la notion de procès, la jurisprudence, le rôle du justiciable, la procédure civile, administrative et pénale. La deuxième partie développe la notion d'expertise, le statut de l'expert, ses rapports avec le juge, son rôle dans la procédure judiciaire, les déroulements des expertises civile, administrative et pénale. Cet enseignement est validé par quatre interrogations écrites et par un mémoire de fin d'études. Ce diplôme est équivalent à la maîtrise professionnelle. Il permet de suivre ensuite un DEA droit éthique de la santé, et un DESS droit et évaluation des systèmes de santé.

À quoi cela sert-il ?

Les objectifs de ce DU sont simples. Le premier, c'est de donner la capacité à des soignants d'être inscrits sur les listes d'experts judiciaires de la cour d'appel. Le second, c'est de donner aux soignants des connaissances juridiques, leur permettre de repérer sur le terrain juridique les grandes règles de fonctionnement, les grandes options.

Qu'est-ce qu'un expert judiciaire ?

Un expert judiciaire assiste le juge sur les problèmes techniques d'une affaire, d'un litige. Le juge connaît le droit, mais il peut avoir recours à un éclairage spécifique, il charge des techniciens qualifiés d'une mission d'information. Ces experts sont inscrits sur des listes établies par la cour d'appel.

Pourquoi un expert judiciaire infirmier ?

Pour le moment, dès que la pratique thérapeutique est en cause, seuls des médecins sont désignés comme experts ! Ce qui n'est pas représentatif des deux aspects de la pratique thérapeutique, c'est-à-dire la pratique médicale d'une part et soignante d'autre part... Ce constat est gênant pour deux raisons. Il est très restrictif de ne prendre en compte que la partie médicale et il est utile que les infirmières témoignent elles-mêmes de leur savoir-faire technique, humain et déontologique.

Dans quel cas peut intervenir un expert infirmier ?

Prenons un exemple en psychiatrie, une affaire de tentative de suicide due à un défaut de surveillance. Dans ce cas, deux éléments sont à analyser : la prise en charge médicale, psychiatrique, et l'organisation de la surveillance infirmière. Pour ce dernier aspect, il me semble que l'infirmière est plus à même d'expertiser que le médecin psychiatre. Autre exemple, après une opération chirurgicale, un patient met en cause un problème d'anesthésie, une cause ignorée de « réendormissement ». Là aussi, il y a deux aspects à expertiser : l'aspect purement médical concernant les produits utilisés pour l'anesthésie, leurs conséquences, leurs dosages, et un aspect spécifiquement infirmier qui concerne l'organisation de la sortie du bloc et de la relève des équipes soignantes. Dans ces deux exemples, il semble important que le juge bénéficie du savoir soignant. Ce DU est un excellent moyen pour les infirmières et les infirmiers de s'investir dans la reconnaissance de leur compétence. De plus, ces experts sont aussi de nouveaux acteurs dans la défense de la profession. Si dans le cadre d'une affaire, une infirmière est amenée à comparaître devant le juge, elle peut demander à son avocat de se faire assister par un expert infirmier. Je précise que le diplôme ne donne pas l'inscription automatique à une liste d'experts judiciaires. Ce sont les cours d'appel qui décident. Mais ce diplôme constitue une garantie solide pour les magistrats.

Une garantie d'autant plus solide que le mémoire de fin d'études peut témoigner de l'aptitude de l'infirmière à devenir expert.

Ce DU ne s'adresse qu'à des cadres infirmiers ?

Non. Il s'adresse aux infirmières, à toutes celles qui ont envie de comprendre le monde judiciaire. D'ailleurs, ce DU s'adresse aussi aux infirmières libérales, et à toutes les autres professions paramédicales. Le DU a aussi un autre intérêt. Les connaissances qu'apporte cette formation constituent un bagage juridique très intéressant pour les associations, les syndicats, voire les structures de soins. En effet, toute organisation a intérêt à avoir des responsables à peu près au clair avec les données juridiques. Ne serait-ce que pour éviter toutes dépenses d'énergie inutiles... Et puis pour avoir des relais décisifs dans le secteur de la justice.

Cette formation peut-elle donner du poids aux représentants de la profession auprès des institutions ?

Oui. En premier lieu, je pense au conseil paramédical qui sera mis en place pour les libérales. Les décrets créant les conseils régionaux vont paraître bientôt et cette mise en place va provoquer un véritable appel d'air dans la profession, de gens qui vont s'investir et qui auront intérêt à s'intéresser à ce domaine.

La création de ce conseil instaure-t-elle un décalage flagrant avec le CSPPM et son fonctionnement ?

Oui, d'un côté nous aurons le secteur libéral qui bénéficiera d'une structure assimilable à un ordre, dotée de la personnalité morale, de commissions administratives et disciplinaire, et de l'autre pour les 350 000 infirmières, non libérales, nous aurons le CSPPM, structure un peu intuitive et peu représentative. Le CSPPM doit être réformé(2). À ce titre, je suggère deux pistes en partant de l'acquis. Le CSPPM pourrait être doté de la personnalité morale. Cela permettrait la maîtrise de l'organisation du CSPPM par ses membres et l'obtention d'un petit budget. Ensuite, le CSPPM pourrait être régionalisé, d'une part parce que le domaine de la santé se structure de plus en plus autour de la région, d'autre part parce que cela donnerait plus de place au monde infirmier, ce qui aurait alors une véritable signification auprès du ministère.

1- Institut de formation et de recherche sur les organisations sanitaires et sociales (Ifross), 18, rue de Chevreul, 69007 Lyon, tél : 04 78 78 75 81.

2- Cf. « Le Collège infirmier ». Gilles Devers. Médica éditions. 2000.