Les plaies aux urgences - L'Infirmière Magazine n° 170 du 01/04/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 170 du 01/04/2002

 

Soins

Conduites a tenir

Les plaies aux urgences concernent chaque année en France un million et demi de patients. Elles sont de trois types : graves, légères ou complexes. L'infirmière doit établir rapidement un premier diagnostic pour orienter la personne vers des soins adaptés.

Plusieurs facteurs sont à prendre en compte pour l'évaluation d'un premier diagnostic d'urgence : la cause de la plaie, sa localisation (tête, visage, mains, membres inférieurs ou supérieurs, tronc...), son aspect et sa profondeur (superficielle avec érosions ou dermabrasion, profonde). Est-elle hémorragique ou sèche ? À quel niveau dermique se situe-t-elle ? Épiderme, derme ou hypoderme. Des structures associées sont-elles touchées ? Fascias, nerfs et vaisseaux, tendons, os...

Trois situations cliniques

On distingue trois types de plaies : celles dont la gravité est évidente, celles dites simples ou sans gravité, et enfin les plaies complexes ou douteuses.

Plaies graves. Elles présentent les facteurs suivants :

- amputation et délabrement pluritissulaire ;

- plaies sur siège majeur (tête, thorax...) ;

- hémorragie importante ;

- dévascularisation (coloration, température) ;

- fracture sous-jacente évidente (fracture ouverte) ;

- doigt d'alliance ou ring finger (arrachement d'un doigt par une bague) ;

- morsure étendue ;

- injection sous pression (pistolet à peinture) ;

- brûlure du troisième degré (électrique) ;

- plaie d'un élément noble (artère, nerf, tendon extenseur ou fléchisseur).

Plaies sans gravité évidente. Elles ont été contractées dans des circonstances anodines par un mécanisme simple. Les lésions sont superficielles, ne dépassant pas le derme. Le nettoyage de la plaie confirme sa bénignité.

Plaies complexes. Elles sont liées à une lésion profonde. L'exploration chirurgicale impliquera une hospitalisation et une anesthésie locorégionale. L'examen clinique permet souvent de décider mais nécessite une connaissance de l'anatomie et des lésions anatomopathologiques. L'interrogatoire du malade révélera des facteurs péjoratifs comme les morsures, un instrument très tranchant ou l'écrasement. L'exploration montre des éléments inquiétants : plaies souillées, plaies contuses, saignement important, plaies en regard d'une articulation, plaies sèches sur siège majeur (thorax, tête...). À la palpation, on recherchera un déficit sensitif, moteur ou vasculaire. Il faut alors se méfier des pièges classiques. En effet, une section artérielle peut ne pas entraîner de dévascularisation (pouls capillaire normal). Une section nerveuse partielle peut ne pas entraîner de déficit sensitif (testing sensitif) et une section partielle peut ne pas entraîner de déficit moteur (testing moteur). L'exploration peut donc être justifiée en cas de doute malgré une ambiance de bénignité.

Conduites à tenir

En urgence, à l'admission du blessé, il faut laver la plaie au sérum physiologique. Pour le visage, la bétadine dermique est souvent employée. En cas de saignement important, on réalisera un pansement compressif en y inscrivant l'heure de confection. Dans la stratégie thérapeutique, on prendra en compte les éventuelles lésions associées ; celles qui présentent un caractère vital seront traitées en priorité. Deux cas de figures peuvent se présenter : il s'agit de faire un tri et d'orienter le patient soit vers un traitement chirurgical, éventuellement dans un centre spécialisé, soit de réaliser le traitement aux urgences, lorsqu'il n'y a aucun doute sur le caractère superficiel de la plaie et devant l'absence formelle d'atteinte d'un élément noble. Seules les plaies superficielles et les égratignures justifient d'un traitement aux urgences par suture cutanée ou uniquement par soins locaux. La prescription d'un antibiotique n'est pas systématique. Elle est réalisée en cas de souillure importante de la plaie ou après extraction d'un corps étranger tel qu'une écharde.

Les morsures animales font redouter une infection précoce. Ces lésions ne doivent pas être suturées. Outre les soins locaux, on prescrit systématiquement une antibiothérapie couvrant les germes de la flore buccale sans oublier la pasteurelle lorsqu'il s'agit d'une morsure animale. Dans ce cas, il faut utiliser une cycline pendant une dizaine de jours. Le patient est revu 48 heures maximum après son traumatisme. En l'absence d'évolution favorable, un débridement chirurgical est proposé. Bien que rare, il faut penser à la prévention de la rage. Elle dépendra essentiellement du lieu géographique de l'accident et de l'animal en cause.

Exploration chirurgicale des plaies

Lorsque l'examen clinique révèle une anomalie telle qu'un déficit de flexion, d'extension ou une hypoesthésie, il n'est pas nécessaire d'explorer la plaie aux urgences mais il faut orienter d'emblée le blessé en milieu spécialisé pour exploration chirurgicale. Si l'examen clinique est normal, une exploration sous anesthésie locale peut être réalisée aux urgences, aidée par un garrot de prise de tension gonflé légèrement au-dessus de la pression artérielle maximale. Le but essentiel de cette exploration est d'apprécier la profondeur de la lésion notamment pour les plaies de la face palmaire. La visualisation d'un tendon doit conduire systématiquement à une exploration chirurgicale dans une salle d'opération, même s'il paraît intègre.

Devant une amputation traumatique d'un doigt, du pavillon ou de tout autre perte de substance, un transfert dans un milieu spécialisé est nécessaire. Au niveau du segment proximal, on effectuera un pansement compressif. Il ne faut pas mettre un garrot, ni ligaturer les vaisseaux, ni utiliser une pince hémostatique. Le segment amputé doit être conditionné pour sa réimplantation ultérieure. Il est nettoyé avec du sérum physiologique ou de l'eau stérile.

Les antiseptiques agressifs sont à éviter. Le doigt est mis dans des compresses stériles et humides puis emballé dans un sachet stérile. L'ensemble est mis dans un deuxième emballage avec de la glace. Il est interdit de mettre le segment amputé au contact direct de la glace afin d'éviter les gelures.

Les plaies par injection accidentelle de produits toxiques ont un caractère de grande urgence et elles sont souvent méconnues. En effet, dans plus d'un cas sur trois, elles peuvent conduire à l'amputation partielle ou totale du membre touché. La plaie est en général punctiforme et de siège pulpaire. L'agent vulnérant peut être un pistolet à injection d'huile ou de la peinture sous forte pression.

Une radiographie peut visualiser le produit injecté, s'il est radio-opaque tel que les peintures au plomb. Ces lésions nécessitent en urgence un large parage avec mise à plat chirurgicale.

Prévention du tétanos

Cette toxi-infection grave, due à une exotoxine neurotrope synthétisée par Clostridium tetani, un bacille anaérobie sporulé tellurique, pourrait être en théorie totalement évitée. Pourtant, le tétanos n'est pas éradiqué en France et l'on compte encore une quarantaine de cas par an.

Agent causal. Clostridium tetani est un bacille Gram positif sporulé, anaérobie strict, situé dans le sol où il persiste indéfiniment grâce à sa spore. Le germe est également présent dans les déjections et le tube digestif des chevaux, des bovidés et de l'homme, ainsi que dans les poussières et les eaux. Il pénètre dans l'organisme à la faveur de lésions ou d'actes réalisés avec une asepsie insuffisante. Son pouvoir pathogène est lié à une toxine, la tétanospasmine, libérée par autolyse de la bactérie. La bactérie elle-même reste localisée au niveau du point de pénétration, il n'y a pas de diffusion septicémique. La toxine est très immunogène et entraîne la formation d'anticorps antitoxines, neutralisants et précipitants. La réponse immunitaire est accrue grâce à des adjuvants (alun). La toxine peut être détoxifiée et transformée en anatoxine, qui conserve intact son pouvoir immunogène. La maladie elle-même n'est pas immunisante, le temps de contact avec la toxine étant trop bref pour induire la synthèse d'anticorps spécifiques. La seule prévention efficace consiste donc en la vaccination individuelle, étendue à toute la population.

Programme vaccinal. Selon les données de l'OMS, en France, 97 % de la population est couverte par une vaccination complète (trois injections). La vaccination antitétanique, qui donne une protection voisine de 100 %, repose sur l'anatoxine purifiée concentrée et absorbée sur un adjuvant minéral. Les deux principaux vaccins disponibles en France confèrent une immunité certaine en deux injections espacées d'au moins un mois avec un rappel à un an. Toute injection ultérieure (même plusieurs dizaines d'années plus tard) entraîne une réponse de type secondaire. Le vaccin est administré par voie intramusculaire ou en sous-cutanée. Il ne connaît aucune contre-indication.

Immunothérapie. La maladie résultant donc d'une contamination accidentelle, le plus souvent exogène par blessure ou plaie traumatique, il faut, lors de l'interrogatoire du patient, vérifier ses vaccinations et relever les circonstances à risques. Ce sont les blessures graves, souillées avec corps étrangers (accident agricole, accident de la route, plaie de guerre, etc.).

Pourtant, une plaie minime (piqûre d'épine ou écharde) peut être aussi dangereuse. Sont considérées comme population à risques les femmes âgées porteuses de plaies chroniques.

L'immunisation passive par des immunoglobulines humaines antitétaniques doit être effectuée dès la prise en charge. Elle diminue la durée d'évolution et la gravité de la maladie. Une dose de 500 UI par voie intramusculaire semble équivalente aux doses plus élevées. L'immunisation active (vaccination) doit être débutée en même temps : administration intramusculaire d'une dose vaccinale d'anatoxine tétanique ou de vaccin combiné diphtérie-tétanos, à injecter dans un autre site que la dose d'immunoglobuline humaine tétanique.

Prévention. Le tétanos est une maladie évitable dans l'immense majorité des cas. Une série de trois injections d'anatoxine, réalisées à un mois d'intervalle, confère une immunité quasi complète pendant au moins cinq ans. Des injections de rappel sont nécessaires tous les dix ans. Certains patients ayant un déficit de l'immunité humorale peuvent ne pas répondre à la vaccination et doivent donc bénéficier d'une immunothérapie passive devant toute plaie suspecte, quelle que soit la date du dernier rappel. Les patients porteurs du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) conservent leur immunité antitétanique si la vaccination complète a été réalisée avant l'infection par le VIH. La carence en vitamine A diminue la réponse à la vaccination.

Règle de prudence

Pour certaines parties du corps comme la main, c'est la fonction qui prime, alors que pour le visage, ce seront les incidences esthétiques qui peuvent être importantes. De la qualité du traitement initial dépendra le résultat fonctionnel ou esthétique. Devant tout doute sur une lésion profonde, d'un tendon ou du paquet vasculo-nerveux, une exploration chirurgicale s'impose. L'interrogatoire soigné du patient comprendra la prise en note des circonstances précises de l'accident ainsi que l'état de ses vaccinations. L'examen clinique bien conduit est impératif. Sa normalité ne peut exclure les lésions tendineuses partielles. En cas d'hésitation, il s'impose d'appliquer la règle de prudence : toute plaie profonde en regard d'un trajet anatomique ou d'une articulation nécessite une exploration chirurgicale au bloc opératoire.

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