Entre la vie et la mort - L'Infirmière Magazine n° 171 du 01/05/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 171 du 01/05/2002

 

RÉANIMATION

Actualités

Entamer une discussion dans un bistrot autour de la vie dans un service de réanimation. C'est ce que proposait l'espace éthique(1) de l'Hôpital européen Georges-Pompidou le mois dernier dans un café du XVe arrondissement. L'occasion d'un débat informel et très animé sur un univers à part.

Drôle de rencontre au comptoir de L'As de trèfle, un café du XVe arrondissement parisien. Ce 9 avril, l'espace éthique de l'Hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP) organisait là une conférence-débat sur le thème de la vie en service de réanimation : « Vivre en réanimation, à quel prix ? » La « réa », un univers à part. Un monde où les patients arrivent entre la vie et la mort et où ils réapprennent souvent à ouvrir les yeux, à bouger un bras ou une jambe. Un espace où, par définition, on redonne la vie. Entre parfums de café et concert de petites cuillères, Joseph Gazengel, neurologue et auteur du livre Vivre en réanimation, ouvre le débat. Il évoque l'histoire d'un homme médicalement mort pendant quatre minutes et qui, dans une lettre, raconte son voyage intérieur. La discussion est lancée. Témoignages et réactions vont se succéder pendant plus de deux heures sur tous les sujets inhérents à la réanimation.

Démystifier l'environnement

Pour Olivier Estruc, infirmier en réanimation à l'HEGP, « dans ce type de service, l'infirmier vit quotidiennement des épreuves auxquelles il doit faire face. Nous sommes, en tant que soignant, le troisième acteur entre le patient et la famille. Nous devons les aider à démystifier l'environnement apparemment hostile où ils se trouvent. Il faut gérer la complexité de ce cadre mais surtout se confronter à la mort. Nous avons une réflexion quotidienne à son sujet. » Pour un médecin au Samu, « ici on côtoie cette grande solidarité humaine qui apparaît quand apparaît la mort ». Et pour faire face, le personnel soignant choisit ou non de « se blinder », opte pour l'acceptation ou l'aveuglement. Car il est là pour soulager le malade. Des malades perdus sans aucun repère spatiotemporel, désorientés au milieu d'un service très actif où l'animation ne semble jamais finir et où les agressions sonores et visuelles sont multiples. Le sujet, « verticalisé », se réfugie parfois dans l'absence. D'où les questions quant à la communication avec le patient qui arrive tout juste en réanimation.

« Toujours plus »

Pour un neurologue, ancien chef de service de réanimation présent à la conférence, « il est très important de "positiver" tous les mots prononcés par le personnel soignant. Par exemple, par mégarde, quelqu'un qui prononcerait un léger "cet appareil est foutu, ça ne marche pas" risquerait d'altérer fortement le moral du malade. » « Même si la personne allongée devant nous ne répond plus à une question, même si elle ne bouge plus depuis des semaines, nous ne devons jamais perdre la notion de respect », ajoute Olivier Estruc.

Autre thème abordé : la mauvaise image attachée à la « réa ». Franchir ses portes fait peur. Un médecin présent au débat confirme même que lorsque l'un de ses patients séjourne quelque temps en «réa», il éprouve de vraies difficultés à venir le visiter. Normalement très à l'aise dans d'autres services, il hésite ici à s'asseoir sur son lit, à lui prendre la main. Il avoue même écourter délibérément ses visites.

Pour la famille et les proches, la «réa» est terrifiante. Une réaction qui s'explique en partie par « l'instrumentalisation » à outrance des lieux. Dans chaque chambre, le patient est cerné de machines, de bip bip, de tubes, de sondes et très peu d'espace est consacré aux détails personnalisés. Rien de très réconfortant en somme.

Pour les familles, il reste difficile d'instaurer une certaine intimité car tout y est ouvert en permanence : les portes et les fenêtres vitrées donnent sur le coeur du service. « C'est vrai que nous avons très peu de retour sur un séjour en réa, ceux qui sont passés ici ont très vite besoin d'oublier. Leurs conditions d'admission, souvent violentes, dépendent bien sûr de la suite du séjour », raconte Morgane Le Gal, infirmière au service de réanimation de l'HEGP. D'où la difficulté d'établir une évaluation.

Où placer le concept de qualité de vie dans ce cadre ? Les équipes de soignants sont rompues à la prise de décision très rapide et aux réponses immédiates. « En réanimation, à la différence d'autres services hospitaliers, tout est "un peu plus" qu'ailleurs. Les enjeux sont un peu plus importants, les liens un peu plus forts, la souffrance un peu plus grande », observe une soignante. Mais pour tous ceux qui y travaillent, le discours est unanime : il y a un vrai plaisir à y exercer.

Ouverture 24 heures/24

Pourtant, en réanimation aussi, les problèmes existent. À commencer par le confort infirmier. Ici, l'effort physique subi par les équipes est intense. Les conditions de travail, peut-être plus qu'ailleurs, sont difficiles. Et pour cela, il se révèle primordial pour le personnel de disposer d'un local de repos (ce qui n'est pas toujours le cas). Pour Jean-Yves Fagon, chef de service en réanimation à l'HEGP, « il faut une vraie qualité dans les détails, pensez donc aux kilomètres qu'une infirmière fait quotidiennement dans notre service ! » Même réflexion sur les plateaux repas ni suffisants, ni assez équilibrés et sur une éventuelle salle de réunion qui n'existe pas.

Autre débat sur le grill : la question de l'ouverture 24 heures/24 du service aux visites. Pour l'instant, la plupart des services de réanimation en France ne sont ouverts que quelques heures par jour. « Nous avons un retard considérable par rapport à la Belgique, par exemple où la plupart de ces services sont ouverts en permanence », souligne une personne dans la salle. Mais les choses évoluent. À Paris, l'hôpital Saint-Joseph a ouvert au début de l'année dernière son service de «réa» 24 heures/24 pour recevoir les proches. Et ce n'est pas un cas isolé dans l'Hexagone. « Nous avons beaucoup parlé et la décision d'équipe fut d'ouvrir le service. Certains étaient réticents. Mais on a réussi à l'imposer. Notre ligne de conduite est de se dire que soignants, patients, familles travaillent main dans la main », raconte une des infirmières de l'hôpital Saint- Joseph.

20 heures à L'As de trèfle et la conférence s'achève. Un des intervenants lance le mot de la fin : « Il faut mettre en place des groupes de travail, établir une meilleure communication avec les familles et améliorer la prise en charge du patient en réanimation. » Conclusion idéale pour ces deux heures de débat. Prochaine conférence de l'espace éthique : le 11 juin, même heure, même endroit.

1 - Espace éthique de l'HEGP Renseignements : 01 56 09 20 66.