L'urgence médicopsychologique - L'Infirmière Magazine n° 171 du 01/05/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 171 du 01/05/2002

 

Dossier

Les victimes de catastrophe sont désormais prises en charge par des services d'urgence médicopsychologique • Les infirmières les écoutent, évaluent leurs traumas et les orientent • Mais des dysfonctionnements nuisent à la qualité des actions et à la protection des intervenants.

• 11 septembre 2001 : deux avions-suicides percutent les Twin Towers à New York. Dix jours plus tard, l'explosion dans l'usine chimique AZF fait l'effet d'une bombe sur Toulouse. Le bilan humain est lourd, le bilan psychologique aussi : 30 personnes sont tuées, 2 300 sont blessées physiquement. Et 200 000 personnes sont sous le choc. « Les gens ont cru à l'apocalypse, que les attentats reprenaient et que tout le monde allait mourir. Ils ont eu un sentiment d'effroi, on peut même parler de "traumatisme de guerre", dans un climat de répétition des attentats, observe Ronan Orio, psychiatre coordinateur de la cellule d'urgence médicopsychologique (CUMP) de Nantes, venu sur place examiner une quarantaine de victimes psychiques pour évaluer l'ampleur des renforts à apporter. Pour le crash du Concorde, la catastrophe occupait la taille d'un terrain de football alors que pour Toulouse, la catastrophe s'étendait à l'échelle d'une ville. »

Traumatisés par la sonnette

« Si l'explosion s'était produite avant les attentats de New York, elle n'aurait pas eu le même impact sur les victimes psychiques car le 11 septembre avait déjà fragilisé beaucoup de gens en créant un sentiment diffus de danger, d'insécurité. Nous n'avions pas connu de précédents d'une telle ampleur. Nous avons mis en place une coopération interrégionale entre les CUMP du grand Sud, soit 16 départements, renforcés par la venue de Nantes, Lyon et Marseille », explique le docteur Roger Franc, psychiatre coordinateur de la CUMP de Toulouse. « On a parlé trop vite dans les médias de la mobilisation des secours psychologiques, dans les premières heures suivant l'explosion, alors que les secours pour les blessés physiques étaient dans un premier temps une priorité », regrette-t-il.

L'hôpital Marchant, dont il dépend, a été doublement frappé puisque cet hôpital psychiatrique se trouve à une largeur de route de l'usine, et a été gravement touché par l'explosion. « La destruction de l'hôpital Marchant, où travaillait le plus grand nombre des intervenants habituels de la CUMP, a porté un rude coup au soutien psychologique. C'est un peu comme si, pour les soins d'urgence, le Samu avait explosé », constate le docteur Roger Franc. La CUMP n'est réellement activée que 24 heures après l'explosion alors que la municipalité a lancé un appel aux psychiatres et psychologues de bonne volonté à se rendre sur le terrain pour offrir leur soutien. 450 répondront à l'appel. Huit cellules de crise, composées des services sociaux, des assurances, de médecins, de psychologues, etc., sous l'autorité de la mairie, sont mises en place. Les personnels des CUMP de Toulouse et celles venues en renfort seront contraintes d'agir dans ce cadre.

Gisèle Haure, infirmière aux urgences psychiatriques du centre hospitalier des Pyrénées, inscrite depuis trois ans comme volontaire dans la CUMP de Pau, en a fait partie. Dépêchée pendant trois jours à Toulouse, elle a écouté une centaine de victimes psychiques. « Lorsqu'on arrivait chez les gens, les enfants criaient parce qu'ils étaient traumatisés par la sonnette qui leur rappelait l'explosion. Une grand-mère disait qu'elle avait "les jambes coupées depuis l'explosion". Des enfants jusqu'aux personnes âgées, tout le monde était touché et beaucoup étaient soulagés après notre passage. »

« L'entretien leur donne la possibilité de se reconstruire et de reconstruire leur vie après le traumatisme. Avant d'aller sur le terrain, nous étudions toutes les possibilités, les enjeux, les risques et on essaie d'imaginer les souffrances. On les aide à revenir à la réalité. Beaucoup font des parallèles avec des guerres qu'ils ont vécues ou avec des situations d'attentat », explique Isabelle Duranel, psychiatre aux urgences de l'Hôtel-Dieu à Nantes, venues également en renfort.

Troubles anxiophobiques

Que se passe-t-il lors d'une agression psychique ? « Le traumatisme psychique est provoqué par un événement survenant de façon imprévisible et brutale, soumettant l'individu à une brusque agression psychique (et parfois physique) très intense, et sur laquelle il ne peut exercer aucun contrôle », souligne le psychiatre Patrice Louville. Les concepts du psychotraumatisme pour les civils ont été décrits par Louis Crocq, psychiatre militaire, spécialiste de psychiatrie de catastrophe et de psychiatrie de l'avant(1). Le processus se déroule en trois temps. Immédiatement après le choc et de façon éphémère, les troubles se manifestent par un stress adapté (15 % des cas), un stress dépassé (15 %) ou un stress d'actions automatiques (70 %). Ces réactions de stress de nature biologique, physiologique et psychologique et leurs symptômes sont ainsi énumérés : « Symptômes physiologiques tels que tachycardie, hypertension, sueur, pâleur, spasmes viscéraux ; symptômes psychiques, tels que surprise, impression d'irréalité ou peur ; et symptômes moteurs tels que tremblements, lenteur, précipitation ou imprécision des gestes et bégaiement. » Jusqu'à dix jours après la catastrophe, le blessé psychique peut entrer dans la phase de latence dite post-immédiate, où les symptômes précédents disparaissent et surviennent à nouveau lorsqu'une image ou un bruit, par exemple, rappellent la catastrophe à la victime. Des symptômes propres à cette phase peuvent apparaître, comme des « manifestations de reviviscence, des troubles anxiophobiques et des troubles du sommeil ». Ils peuvent anticiper l'installation d'un syndrome psychotraumatique. Au-delà d'un mois, les symptômes persistants sont désignés par le terme générique de syndrome psychotraumatique. Les symptômes peuvent alors devenir durables ou chroniques. Ils se manifestent sous forme de reviviscences de l'événement pendant la journée et le sommeil, d'anxiété, d'altération de la personnalité, etc.

La catastrophe de Toulouse fait incontestablement figure d'exception dans le paysage de l'urgence médicopsychologique en France. Les CUMP travaillent le plus souvent sur des terrains de catastrophes plus restreints, à la suite d'attentats à caractère relativement limités, d'accidents graves de la circulation, de suicides en public ou d'agressions diverses (hold-up, prise d'otage, séquestration, etc.). La mise en alerte immédiate des autorités pour intervenir massivement auprès des blessés psychiques indique cependant la volonté de prendre en compte cette demande sociale nouvelle et la nécessité de pouvoir y répondre avec des professionnels de l'urgence médicopsychologique. Les conséquences de ces blessures psychiques - pour les opposer aux blessures physiques - ne sont en effet pas quantitativement négligeables, même s'il reste difficile d'établir des chiffres fiables. Entre 15 et 20 % des victimes de catastrophe (20 à 40 % selon d'autres estimations) développeraient des séquelles chroniques comme la névrose traumatique (ou syndrome psychotraumatique). De manière plus générale, 5 à 10 % de la population française (3 à 5 % selon d'autres sources) serait atteinte de ce syndrome.

« Verbaliser » avant tout

Des conséquences lourdes imprègnent la vie sociale, familiale et professionnelle des victimes, de plus en plus demandeuses d'une aide psychologique lors d'une catastrophe. Les conséquences de la détresse psychologique peuvent également se mesurer en termes financiers pour la victime elle-même, si le psychotraumatisme l'empêche de réagir à court terme. « Cliniquement, si les personnes peuvent verbaliser, les symptômes disparaissent et elles ont au moins la possibilité de remplir les papiers pour leur employeur ou pour entamer une action judiciaire. À plus long terme, personne ne peut rien garantir sur leur état psychologique », témoigne Ronan Orio. Les praticiens de l'urgence médicopsychologique mettent également en garde contre les infiltrations sectaires qui se nourrissent de la fragilité psychique et psychologique des victimes, susceptibles de tomber dans une dépression plus ou moins forte (voir encadré ci-dessous). Il faut aussi prendre en compte les effets à longs terme du psychotraumatisme. Une catastrophe ultérieure peut « réveiller » un psychotraumatisme chez une ancienne victime. « Des anciens combattants de la guerre d'Algérie, des accidentés de la circulation, qui n'ont rien à voir avec l'explosion mais qui sont fragilisés par les événements récents viennent nous voir. Les pathologies sont un peu différentes : dans le stress aigu, les défenses psychiques n'ont pas pu se mettre en place, donc nous pouvons faire le point plus rapidement. Le soulagement est davantage visible en comparaison du stress après coup, dans le cas d'une cicatrisation mal faite », note Thierry Della, psychiatre référent de la CUMP de Pau, qui a renforcé les équipes de Toulouse.

Détecter la névrose traumatique

Selon la procédure officielle, les CUMP sont déclenchées par les Samu. Dans la majorité des cas, une première équipe constituée d'un psychiatre, d'un psychologue et d'une infirmière se rend sur place, est informée de la situation par les pompiers, qui lui précisent où elle peut installer le poste d'urgence médicopsychologique (PUMP), généralement à proximité du poste médical avancé (PMA). Une seconde équipe reste au Samu pour renforcer la première et pour organiser les évacuations vers les hôpitaux, si nécessaire. « Le psychiatre parle avec le médecin régulateur des pompiers et fait le lien entre le PUMP et le PMA. Le rôle des infirmières est de "déblayer" le terrain : nous sommes les petites mains. Nous évaluons la nature des blessures psychiques, orientons les victimes et organisons leur sortie du terrain de la catastrophe. Notre intervention consiste essentiellement à écouter, à donner, sur prescription du psychiatre, des contentions chimiques et parfois à organiser des placements d'office », explique Caroline Bouchet-Carteret, infirmière chargée de la coordination de la cellule du Centre (à Moulins), volontaire depuis 1996.

Le traitement de base utilisé par l'urgence médicopsychologique consiste en un « déchocage psychologique » ou « defusing », après avoir donné des médications pour calmer les stress aigus. Dans les jours ou semaines qui suivent, un débriefing psychologique est réalisé dans les services hospitaliers avec des groupes impliqués au même degré dans la catastrophe. Les équipes de sauveteurs sont aussi concernées. Ce débriefing permet de faire verbaliser à nouveau le ressenti de l'événement pour chacun, d'y mettre un point final en lui donnant du sens et de détecter les prémices d'une névrose traumatique (voir encadré page suivante). « Tout rescapé est un sujet qui revient de l'enfer. Il vient de subir une expérience d'incompréhension, provisoirement "indicible". L'événement a fait effraction en lui, entrant par les yeux, les oreilles et tous les pores de sa peau. Il a bouleversé son psychisme. Pour la victime, le besoin de parler au premier sauveteur rencontré ne répond pas à un besoin de donner de l'information, mais au besoin de mettre en mots, pour soi-même cette expérience de confusion, ce qui est un premier essai pour la réduire, la maîtriser, et lui donner un sens », observe Louis Crocq. « Notre rôle est de structurer les pensées, d'expliquer aux victimes les blessures psychiques qu'elles peuvent avoir, ce qu'elles signifient. Nous leur disons que leurs réactions sont normales et nous essayons de leur faire surmonter leur sentiment d'échec, de disséquer les choses pour que le sentiment de culpabilité diminue. En revanche, nous ne cherchons pas à dédramatiser car cela équivaudrait à banaliser les choses alors que le drame est là : les personnes ont vu mourir d'autres personnes », explique Caroline Bouchet-Carteret.

Rapidité d'analyse

« Nous n'avons pas tous la même réaction face au traumatisme. Ceux qui ne disent rien sont souvent dans le déni, la colère, la prostration, la menace et ce sont ceux qui ont le plus besoin de notre aide », témoigne Déhina Fischer, infirmière de secteur psychiatrique à l'hôpital de Rouffach depuis 27 ans et volontaire à la CUMP du Haut-Rhin. Un des objectifs poursuivis est aussi d'informer les victimes sur les symptômes qu'elles risquent de développer pour leur permettre de faire le lien plus tard avec la catastrophe et de savoir que des structures, comme des consultations spécialisées dans le traitement du psychotraumatisme, existent pour les aider à surmonter leurs difficultés.

Des qualités humaines et personnelles sont exigées des infirmières de l'urgence médicopsychologique. « Pour être capable de repérer les sujets vulnérables, les infirmières doivent être proches des malades, des victimes pour ne pas être surprises par leurs propres réactions. Dans les premiers temps, la présence humaine est en effet très importante pour réintégrer les victimes dans la communauté des vivants, alors que certaines disent : "Je ne me sens plus humain" », indique Souad Hariki, psychologue clinicienne, coordinatrice de la CUMP du Haut-Rhin. D'autres qualités sont demandées comme la rigueur, le sens de l'organisation, du travail en équipe, une capacité d'analyse rapide dans des situations où les infirmières ne voient, dans un premier temps, les victimes que quelques minutes. En France, la prise en compte par l'État de la nécessité d'organiser l'urgence médicopsychologique sur Paris et sa région, avant de l'étendre à l'ensemble du territoire, ne date que du milieu des années 1990. Le 25 juillet 1995, l'attentat dans le RER Saint-Michel déclenche la mise en place du processus qui aboutira deux ans plus tard à la création du réseau des cellules d'urgence médicopsychologique (voir encadré page suivante). Neuf morts, une centaine de blessés physiques et des centaines de victimes psychiques, témoins de l'explosion, provoquent une réaction au sommet de l'État. Xavier Emmanuelli, secrétaire d'État chargé de l'action humanitaire, est mandaté pour former une première cellule d'urgence médicopsychologique qui doit intervenir sur les lieux de l'attentat. De 1995 à 1997, date de la circulaire qui crée le réseau, la cellule parisienne, constituée de 12 infirmières, 15 psychiatres et 30 psychologues, travaille sur l'ensemble de la France. De cette cellule pilote, le professeur Crocq dresse un bilan et propose, dans un rapport, d'étendre le concept à tout le territoire.

Infirmières coordinatrices

Les zones d'intervention des cellules régionales sont calquées sur les zones de défense civile. Les cellules de chaque interrégion sont constituées de trois personnels permanents au minimum, les autres intervenants étant volontaires, ainsi que la totalité des personnels des cellules départementales. Les textes n'établissent pas les infirmières comme personnels permanents des cellules interrégionales, alors qu'elles constituent aujourd'hui l'essentiel des bataillons des listes de volontaires. La plupart des infirmières volontaires sont recrutées parmi les personnels de santé mentale, des services d'urgence des hôpitaux généraux et surtout des hôpitaux de secteur psychiatrique. Pour Nathalie Borgne, cadre infirmier à la CUMP de Paris, la nécessité de nommer et de former, avec des stages dans des Smur, des infirmières coordinatrices dans chaque cellule est une revendication essentielle pour permettre de mieux gérer la logistique et l'aspect opérationnel (malle de médicaments, ordre de mission, etc.) des interventions.

Aujourd'hui, le réseau des CUMP gère 700 interventions par an. En 2000, la cellule de Paris, composée de 16 personnes (six infirmières, quatre psychiatres en lien avec leurs homologues militaires et sept psychologues), a participé à 70 interventions, dont 56 ont nécessité un déplacement sur le terrain (la majorité était des « événements à fort retentissement psychologique », selon la terminologie employée), pour un millier de personnes aidées. Ces opérations sont à comparer avec celles réalisées par le Samu. Sur les 688 000 appels reçus par le 15, le Samu de Paris a constitué 112 000 dossiers, dont 3 000 de typologie psychiatrique, qui ont conduit à l'envoi de 18 372 Smur.

Une formation spécifique

L'évolution du contexte social et institutionnel a encouragé, de manière très récente, à faire travailler sur les mêmes terrains de catastrophe, les secouristes de l'urgence médicopsychologique aux côtés des secouristes plus classiques qui interviennent auprès des blessés physiques. La dimension psychique fait désormais partie de la gestion « médiatique » de la catastrophe, car dans les esprits, la souffrance psychique n'est plus considérée comme détenant des vertus rédemptrices pour la victime, suite à une faute prétendument commise. Si l'utilité sociale des cellules d'urgence médicopsychologique n'est pas contestée, un certain nombre de questions concernant leur organisation, leur fonctionnement et la formation de ses personnels restent en suspens. Les pathologies développées lors des catastrophes relèvent d'une prise en charge spécifique et doivent être traitées comme telles par du personnel formé, au risque d'aggraver les symptômes ultérieurs des victimes et parfois de déstabiliser les intervenants secouristes eux-mêmes. « Même si le personnel de santé mentale est formé au soin, il lui faut une formation spécifique sur le stress et le trauma. Dans le contexte de catastrophe ou d'urgence, en dehors des murs, ce n'est pas encore acquis pour tous. Si les intervenants de l'urgence médicopsychologique ne sont pas spécifiquement formés, ils peuvent eux-mêmes subir une décompensation secondaire et fixer le traumatisme sur la personne qu'ils pensent aider », avertit Nathalie Borgne. « Sans formation, sans assurance, en se labellisant spécialiste, beaucoup pensent qu'ils peuvent pratiquer l'urgence médicopsychologique. Il faut être très prudent. Un tableau clinique ne peut être établi que par des gens de terrain », insiste Ronan Orio.

En mars dernier, dans une synthèse sur le réseau et son bilan de fonctionnement, le Comité national de l'urgence médicopsychologique reconnaissait des insuffisances et le fait que d'une manière générale, au-delà de la bonne volonté des acteurs, le réseau ne pouvait fonctionner de manière professionnelle. Le comité pointait la nécessité d'apporter des moyens supplémentaires pour les acteurs de terrain et les administrations hospitalières, qui détachent des personnels. Sur le terrain, si beaucoup ne se privent plus pour mettre en avant les dysfonctionnements du dispositif, d'autres le jugent en crise. Dans le contexte de la réforme des urgences psychiatriques et de celles des hôpitaux généraux, une refonte globale des cellules s'est engagée au niveau ministériel, pour revoir la place des CUMP dans l'organisation des secours, la définition de ses champs d'intervention, la nomination des membres, l'adéquation de la formation ou la mise en oeuvre d'un schéma d'alerte commun.

D'autres critiques sont aussi émises sur l'hétérogénéité du fonctionnement des cellules pour souligner le manque de cohésion au niveau national. Par ailleurs, les directeurs d'hôpitaux se montrent hésitants pour laisser leur personnel partir sur des interventions d'urgence médicopsychologique alors que leur service fonctionne déjà en sous-effectif. Et les médecins référents départementaux, volontaires pour la coordination des cellules, commencent à ressentir une forte pression. « Il faut des permanents au niveau des départements. Dans notre cellule de Pau, témoigne Thierry Della, le psychiatre référent, si on se contentait des interventions collectives, ce serait gérable, mais avec la consultation de psychotraumatisme et ses 15-20 consultations par mois, c'est ingérable ! »

Restreindre les interventions

L'élargissement des procédures de déclenchement des cellules, non seulement par le Samu, comme prévu initialement, mais par les autorités préfectorales sur mesure de précaution, par les usagers eux-mêmes, pour des motifs qui dépassent le cadre de l'urgence médicopsychologique, voire par les cellules elles-mêmes, est aussi souvent invoqué comme une dérive de l'utilisation du réseau. Les CUMP doivent-elles intervenir dans les fermes suite à l'abattage des vaches dans des cas de suspicion de l'ESB ? Sont-elles les bons interlocuteurs pour annoncer le décès d'un élève aux familles ? « Un Samu psychologique, c'est une solution facile. Les gens ont l'impression qu'il faut intervenir dans la minute qui suit. Il faut faire confiance à la capacité de réaction des individus face au malheur et être présents si les victimes demandent un soutien », estime Souad Hariki. « Si après un hold-up, deux personnes pleurent parce qu'elles ont été agressées, on ne va pas déclencher la cellule pour se rendre sur place, ajoute Nathalie Borgne, on envoie simplement une note d'information. Comme c'est une discipline nouvelle, il faut trouver nos limites et savoir dire non à certaines interventions, même si l'idéal du soignant est de toujours intervenir. »

L'amélioration de la qualité des interventions et la protection des personnels des cellules passent aussi par une professionnalisation spécifique, en plus des connaissances et de la pratique des urgences. Les cinq millions de francs donnés au départ pour la formation n'ont pu suffire à former l'ensemble des personnes intervenant au sein des cellules, le reste étant à la charge des plans de formation continue des hôpitaux. « Les Samu ont mis trente ans à se faire, tempère Nathalie Borgne, les CUMP n'ont que quelques années d'existence. »

1- Psychiatrie utilisée pour les combattants.

Des symptômes précoces

Les travaux cliniques menés dans les années 1990 montrent que le risque d'apparition d'un syndrome post-traumatique est de 97 % dans les mois qui suivent l'acte d'agression, 47 % après trois mois et 16 % après un an(1). La prise en charge médicopsychologique précoce permet de prévenir l'installation de séquelles psychiques de type syndrome psychotraumatique, qui commence à se manifester dans les jours suivant la catastrophe.

1- Cf. Les Victimes, violences publiques et crimes privés. Carole Damiani. Bayard. 1997.

Le Samu mondial

Pour renforcer les équipes de sauveteurs dans le cadre de missions humanitaires d'urgence, Bernard Kouchner a institué en 1993, sous la responsabilité des ministères de la Santé, des Affaires étrangères et de l'Action humanitaire, un Samu mondial. À la demande du gouvernement, des équipes composées de personnels des Samu sont envoyées à l'étranger pour soutenir les équipes somatiques et psychiatriques.

Le Samu mondial a été activé au Salvador, Honduras, Kosovo, en Turquie, Palestine et Guyane. Les missions durent en moyenne une quinzaine de jours.

Une enquête auprès des victimes

L'association SOS attentats a réalisé en 1998, avec le soutien d'un comité scientifique international, une étude épidémiologique sur les conséquences sanitaires des attentats (Escat). Les enquêtes ont été menées auprès des victimes de 1995 et 1996. Outre les séquelles physiques et sensorielles (notamment auditives), les résultats font apparaître des « conséquences psychologiques sévères » chez les personnes interrogées. 63 % d'entre elles souffrent de détresse psychologique, la moitié de symptômes dépressifs et un peu moins du tiers d'un état de stress post-traumatique. Deux à trois ans après l'attentat, plus du tiers des victimes déclarent consommer des médicaments psychotropes.

Si 60 % d'entre elles ont trouvé un soutien auprès de personnes proches ou d'amis après le choc, la moitié ont fait appel à des médecins ou des psychologues. « La prise en charge des victimes a nettement été améliorée mais les initiatives thérapeutiques, si elles sont nombreuses, restent peu coordonnées et peu structurées dans la durée », soulignent les initiateurs de l'étude.

Le poids des mots après le choc

Dans la pratique francophone, le débriefing psychologique est une technique, mise au point par les médecins militaires, pour provoquer, chez les victimes de traumatismes et chez les sauveteurs éprouvés, une « décharge émotionnelle » à visée cathartique, qui permet de « mettre des mots là où il n'y a que néant », comme le décrit le professeur Lebigot, avec un objectif préventif, celui de réduire les séquelles post-traumatiques. Le débriefing est réalisé entre deux et dix jours après l'événement, avec des groupes d'une petite dizaine de personnes ayant vécu la catastrophe au même degré d'implication, sur des séances de deux heures, par deux intervenants, en général un psychiatre ou un psychologue et une infirmière. La formulation de l'événement tel que chacun l'a vécu et des sentiments éprouvés permet de faire prendre conscience de la normalité des réactions au stress et de leur donner du sens. « Les résultats immédiats [du débriefing] peuvent être spectaculaires sur les effets du stress, mais à long terme ils sont insuffisants pour prévenir toute manifestation psychopathologique, fait remarquer Liliane Daligand, psychiatre et présidente de la Société française de victimologie. Le débriefing n'est pas un traitement et il est nécessaire de proposer une véritable prise en charge ultérieure. »(1)

1- La Revue française de psychiatrie et de psychologie médicale, n° 10, septembre 1997.

Que fait l'infirmière ?

Les fonctions de l'infirmière dans l'urgence médicopsychologique sont multiples(1) : organisation pratique de l'intervention (gestion du matériel, de l'équipement, installation du poste d'urgence médicopsychologique...), soins (prise en charge, début de diagnostic par les observations recueillies auprès des patients, soins...), transmission d'informations et liaison entre équipes médicales, de secouristes, d'ambulanciers, de sécurité civile.

1- L'infirmier dans l'urgence médicopsychologique, Santé mentale n° 39, juin 1999.

Le réseau des CUMP

Le réseau des cellules d'urgence médicopsychologique (CUMP) a été officiellement créé par la circulaire du 2 mai 1997. Sept cellules permanentes (Marseille, Toulouse, Nantes, Lille, Lyon, Nancy et Paris) assurent la coordination de 93 cellules départementales. Les premières sont composées d'un psychiatre, d'un psychologue et d'une secrétaire, détachés à mi-temps (seule celle de Paris a une infirmière permanente). Les autres sont animées par un psychiatre référent chargé de constituer une liste de personnels de santé volontaires, mobilisables en cas d'intervention. Un comité national de l'urgence médicopsychologique fait le lien entre le réseau et le cabinet, tandis qu'une coordination nationale des CUMP définit la politique de soins à mener.