Le Québec, terre promise ou marché de dupes - L'Infirmière Magazine n° 171 du 01/05/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 171 du 01/05/2002

 

Enquête

• Le Québec pallie sa pénurie de soignantes en recrutant des infirmières françaises • Les candidates à l'exil doivent faire preuve de flexibilité et d'adaptabilité • Les conditions de travail sont difficiles, mais la qualité de vie fait de ce pays une destination de choix.

• Le Québec fait rêver plus d'une infirmière française. D'aucuns le décrivent comme un eldorado pour les soignantes, l'antithèse de la France où revalorisation salariale et reconnaissance professionnelle traînent des pieds, au grand désespoir de la profession. Alors qu'en est-il ? Faut-il y émigrer ? Et dans quelles conditions ? Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Personnel flexible.

Première condition pour toutes les candidates à l'exil : savoir s'adapter et s'intégrer. Aussi, une bonne préparation psychologique peut s'avérer nécessaire pour supporter l'éloignement de sa famille et de son entourage. Outre ces désagréments, d'autres surprises vous attendent. Au premier chef, la gestion du personnel paramédical, bien différente de la nôtre. Exemple : malgré la pénurie d'infirmières, les postes fixes ne sont pas légion, comme a pu le constater Mikaël Chabot, infirmier français au Québec : « Ma première surprise fut de voir que j'étais affecté à l'équipe volante. Je ne comprenais pas très bien, on avait pris note de mon expérience aux urgences, et je pensais que j'avais été recruté pour combler un poste vacant, mais non ! » Toutefois, il précise : « L'équipe volante peut être considérée comme un service puisqu'on peut prétendre à un poste dans celle-ci. » En fait de postes fixes, on peut espérer, dans le meilleur des cas, un remplacement. Plus généralement, il faut appeler quotidiennement la coordonnatrice pour connaître son affectation pour la journée. Car l'équipe volante est hypertrophiée, et l'équipe fixe du service réduite au strict minimum.

Les journées sont de huit heures (8-16 ; 16-0 et 0-8 heures), et il faut être disponible sur au moins deux quarts de travail. L'infirmière chef commune aux trois équipes gère le planning, le service, mais n'est pas auprès du patient. À chaque quart de travail, une AIC (assistante infirmière chef) est présente. Considérée comme le chef de file de l'équipe, elle répartit les tâches entre les infirmières. Elle connaît bien les patients et en a souvent en charge. Très proche du personnel, elle est perçue comme une référente en soins et non comme une supérieure. Il s'agit en somme de la « personne ressource » pour l'équipe. Quant à la fonction d'aide-soignante, elle est assurée par les préposés aux bénéficiaires. Trop peu nombreux, ils ont une charge de travail importante. Contrairement à la France, le service n'est pas sous la coupe d'un médecin mais il est géré par une équipe médicale. Un exemple : le service de chirurgie, où l'on peut trouver côte à côte un patient d'ORL et une patiente de gynécologie. Autre précision : les chirurgiens ne possèdent pas de lits. Le secteur public n'est pas concurrencé par le secteur privé.

Association corporative.

Le rôle infirmier est sensiblement le même qu'en France. Toutefois, on note une différence : il s'effectue dans une politique de soin globale, avec un dossier de soins commun à l'équipe médicale et paramédicale. En revanche, la charge de travail est tout à fait différente, de par la rédaction de dossiers et la prise en charge du patient, avec une moyenne de six patients à charge. Quant au rôle éducatif de l'infirmière, il implique activement le patient et sa famille lors de l'hospitalisation, afin de le rendre apte à prendre sa santé en main.

L'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec est une corporation professionnelle dont le rôle est d'assurer la protection du public par un contrôle de l'exercice et de l'accès à l'exercice de la profession. L'ordre donne l'autorisation d'exercer. Les infirmières payent une cotisation annuelle obligatoire d'environ 250 $ (soit 183 € environ). L'autorisation spéciale délivrée par l'ordre n'est valable que deux ans. À l'expiration de ce délai, les infirmières doivent repasser impérativement l'examen de l'ordre. Un contrôle des connaissances jugé un peu excessif par certaines professionnelles... Mais, comme le rappelle la présidente de l'OIIQ, Gyslaine Desrosiers, « on ne peut quand même pas changer la loi pour 20 infirmières qui ne veulent pas passer un examen ! »

Actuellement, l'OIIQ ne donne plus d'autorisation spéciale, mais délivre des permis temporaires avec restriction. Ces restrictions concernent le lieu (on ne peut exercer que dans un seul hôpital), la durée (d'un an, renouvelable une fois à condition de s'inscrire à l'examen de l'OIIQ), l'expérience (un minimum de deux ans est obligatoire), les services (ils sont limités à la chirurgie, la médecine, et à des services où le postulant possède une certaine expérience).

Le fonctionnement hospitalier québécois est différent de l'organisation hospitalière française. Il n'existe pas de chevauchement d'équipe. Les transmissions se font par écrit. Les équipes arrivent avec dix minutes d'avance pour avoir un rapport oral. Pratiquement tout le personnel arrive en tenue, quel que soit son moyen de locomotion. Il en est de même lors des repas : on peut aller au restaurant à l'extérieur en tenue professionnelle. Les pauses repas, d'une heure, sont fixes. La syndicalisation est obligatoire et l'adhésion au syndicat choisi est prélevée sur le salaire (environ 33,50 € par mois).

Stage d'intégration.

Le stage destiné à assurer l'intégration des infirmières étrangères est indispensable pour comprendre le système hospitalier et son fonctionnement. Mikaël Chabot en a fait l'expérience : « La première semaine fut consacrée à un enseignement théorique dédié à la pratique infirmière au Québec, la gestion de l'ordonnance médicale, les notes au dossier... Elle a été suivie de quatre semaines de jumelage avec une infirmière dans deux secteurs d'activité (médecine et chirurgie), afin d'obtenir l'attestation d'autorisation spéciale. » L'évaluation des techniques infirmières se fait grâce à un « carnet de route » mis à jour quotidiennement. Principal handicap que rencontrent les infirmières françaises : l'adaptation à la nomenclature pharmacologique québécoise, qui peut paraître récalcitrante. Ainsi le Vidal est renommé CPS, et il en va de même pour le matériel médical. D'autres spécificités québécoises peuvent heurter l'infirmière française, comme les chambres mixtes, à quatre patients, et, hors hôpital, le système fiscal. En effet, l'impôt est payable uniquement en prélèvement direct sur le salaire. Chaque année, on doit faire une déclaration obligatoire pour le réajustement.

Quant aux jours de repos, ils ne sont pas octroyés aux professionnels qui entrent dans leur fonction. En fait, c'est l'ancienneté qui détermine la durée et la date des congés, ainsi que les prises de postes. Pour compenser l'absence de jours fériés, une compensation financière est versée sur le salaire qui est attribué tous les quinze jours. Les congés annuels sont de 1,65 jour par mois travaillé. Le temps partiel, lui, est très pratiqué dans la Belle Province.

Survivre au Québec.

Afin de régler les premières dépenses de nécessité, une somme de 1 000 $ sera nécessaire(1). Avantage : la caution locative est inexistante. Désavantage : les avances sur salaire le sont aussi... Les frais administratifs sont remboursés au bout d'un an de présence, exception faite de l'aller simple du billet d'avion remboursé à l'arrivée. Aucune prime d'arrivée, de bienvenue ou de déménagement n'existe...

En somme, les conditions de travail ne sont pas le principal motif d'une émigration au Québec. En revanche, la qualité de vie et l'accueil chaleureux réservé par les Québécois pourraient charmer nombre d'infirmières françaises candidates à l'émigration...

1- Pour plus d'informations, contactez idequebec@voila.fr. Cette adresse est celle des deux infirmiers auteurs de l'article. Par ailleurs, les auteurs tiennent à préciser qu'ils se trouvent à Québec, où la situation est différente de Montréal (pénurie plus grande donc postes plus faciles d'accès), et à remercier les équipes d'urgences de l'HSFA et du CHUL, qui les ont chaleureusement accueillis.

Qui émigre au Québec ?

Les candidates à l'expatriation sont souvent de jeunes professionnelles, sans attaches, et qui ont environ deux ans minimum d'expérience. Il peut aussi s'agir de couples avec ou sans enfant. Pour ce qui est de l'expérience, le recrutement québécois recherche des soignantes ayant une pratique hospitalière d'environ un an, des personnes ayant déjà travaillé dans des milieux dits spécialisés, comme l'urgence, la pédiatrie, l'oncologie, etc. Au niveau psychologique, il faut avoir une capacité d'adaptation à un nouveau milieu de travail : horaires, services, repos, etc. Détail à ne pas négliger : il faut supporter l'hiver et le froid, (cinq à six mois d'hiver avec de la neige et des températures en dessous de 0 °C).

TÉMOIGNAGE

Quelques mauvaises surprises...

Infirmier de 31 ans, diplômé depuis mai 1998, Mikaël Chabot a exercé en cardiologie, puis aux urgences à Paris, avant de s'envoler au Québec. Il revient sur les raisons qui ont présidé à son émigration.

« J'ai choisi ce métier, car je voulais voyager. De plus, il m'offrait une grande diversité de choix selon les spécialités. C'est lors du Salon infirmier de mai 2000 que je me suis décidé à passer un entretien. En quelques heures, j'avais signé un contrat de travail avec le Centre universitaire de Québec. Les postes sont attribués selon notre ancienneté. Il est important de noter que la pénurie d'infirmières ne se fait sentir qu'à des périodes précises de l'année, tout particulièrement l'été, lors des vacances, et les week-ends. Nous devons être disponibles sur les trois quarts de travail, c'est-à-dire jour, soir, nuit. Nous avons demandé à rencontrer au plus vite la direction des soins pour lui faire part du non-dit qu'il y avait eu lors de notre recrutement en France et insister sur la différence de fonctionnement, afin d'éviter semblable déception aux prochains arrivants. Après deux mois sur l'équipe volante en changeant de service pratiquement tous les jours et disponible sur les trois quarts de travail, j'ai obtenu un remplacement aux urgences. Celui-ci m'a permis de changer de statut. Ainsi, je suis sur deux quarts de travail choisis et je ne fais des remplacements qu'aux urgences et dans un seul autre service. Mais une autre mauvaise surprise m'attendait. Je désirais, après mon année passée à Québec partir à Montréal. Le contrat me liant à l'hôpital se terminait, mais l'OIIQ m'a refusé le changement, sous prétexte que j'avais signé un contrat d'exclusivité avec le CHUQ. Certes, il est bien précisé que l'autorisation spéciale n'est accordée que pour une période d'un an, pour un établissement précis durant sa validité. Mais il n'est mentionné nulle part que l'on ne peut pas la renouveler dans un autre établissement avec un stage professionnel d'intégration. Loin de l'idéalisation que j'avais à mon arrivée, je pense rester une seconde année, certainement pas pour les conditions de travail, mais pour un bénéfice professionnel, pour les conditions de vie et pour mes nouveaux amis. »

Vrai/Faux

-> Les actes sont les mêmes qu'en France.

VRAI - Excepté les gaz du sang qu'on ne peut pas faire. Il existe beaucoup d'ordonnances permanentes et de protocoles de soins.

-> L'hôpital nous fournit les tenues.

FAUX - Pensez à les amener ou vous devrez les acheter sur place. Ce système explique que les tenues soient variées (blanches ou bleues).

-> Vous aurez un poste en arrivant.

FAUX - Vous serez sur l'équipe volante, et vous ferez des remplacements. Vous pouvez solliciter un poste, mais l'attribution se fait selon l'ancienneté.

-> Vous devez vous syndiquer.

VRAI - L'adhésion est volontaire, mais obligatoire pour travailler dans l'hôpital.

Les cotisations sont prélevées directement sur votre salaire. Le syndicat représente un corps de métier, défend les employés et leurs conditions de travail.

-> Vous avez le droit de suivre des études.

VRAI, contrairement à ce qui est écrit sur votre contrat de travail, mais vous devez vous inscrire à temps partiel.