« Notre idée est simple : l'égalité des droits face à la maladie. » - L'Infirmière Magazine n° 171 du 01/05/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 171 du 01/05/2002

 

Reda Sadki

Questions à

Migrants contre le sida(1) est tout à la fois un collectif et une émission de radio qui informe et donne la parole aux séropositifs issus de l'immigration et de la banlieue. Reda Sadki, animateur, tire depuis 1995 la sonnette d'alarme face à l'inégalité des droits devant l'épidémie du sida.

Qu'est-ce que Migrants contre le sida ?

C'est un collectif et surtout une émission de radio (depuis 1997) qui s'adresse directement aux séropositifs les plus précaires, issus de l'immigration et/ou vivant en banlieue. Notre public, c'est un peu les oubliés de la maladie, loin du milieu parisien qui focalise l'attention des médias et qui mobilise l'essentiel des moyens de la lutte contre le sida. Notre ambition est de fournir à ce public la meilleure information possible sur le médical et le juridique. Chaque fois que nous répondons à un auditeur, nous faisons appel aux plus compétents : pour parler de la grossesse et du VIH, par exemple, c'est Laurent Mandelbrot. Pour la coinfection VIH/VHC, c'est Hervé Zylberberg. Jean-François Delfraissy, Christine Katlama, Bernard Hirschel sont parmi les figures de proue de la recherche VIH : nous les avons reçus à l'émission. Pour le juridique, nous travaillons avec Patrick Mony, responsable du Guide de la protection sociale des étrangers en France, une référence en la matière. La discussion s'engage sans verbiage excessif car nos auditeurs sont exigeants ! La qualité de l'information passe avant tout le reste, parce que ce dont ont besoin les « séropos », ce sont des réponses aux questions qu'ils se posent dans leur vie quotidienne, pour survivre à la maladie.

Les autres associations ne prenaient pas en compte les malades issus de l'immigration ?

Si, certaines l'ont fait. Mais aujourd'hui, le problème est que toutes les associations, qui se sont battues en première ligne contre l'épidémie et pour l'accès au traitement pendant les années 80 et début 90, sont en perte de vitesse !

Or premièrement, la maladie n'est pas vaincue, l'épidémie n'est pas enrayée, et deuxièmement les communautés arabe et africaine, installées en France, qui paient un très lourd tribut au sida depuis le début de la pandémie, ont été projetées en première ligne ! Ces dernières années, le gouffre des inégalités entre les malades, selon leurs origines, s'est creusé de façon dramatique. Le rapport Delfraissy, de 1999, constatait déjà l'arrivée récente dans les services de patients immigrés vus pour la première fois souvent au stade sida non traité ! Selon l'Institut de veille sanitaire, la proportion des malades étrangers parmi l'ensemble des cas de sida a presque doublé : elle est passée de 14 % à 27 % en 2000 (BEH, 12 juin 2001).

L'enquête faite auprès des centres parisiens CDAG (Consultations de dépistage anonyme et gratuit) entre 1998 et 2000 confirme cette tendance...

Oui. Elle a été évoquée lors de la relance du plan VIH sida 2002-2004 par Kouchner. Ce qui est scandaleux, c'est que dans son plan, rien de concret n'est proposé. Il n'y a que des gadgets... De toute façon, depuis le début de notre combat, les institutions sont immobiles. À chaque fois, la réponse officielle est : pas de stigmatisation ! Résultat : c'est la démission des institutions. La santé publique est sourde, muette et aveugle ! Sourde, car elle n'entend pas la voix des populations touchées par la maladie, muette parce qu'il a fallu attendre 1999 pour qu'un premier rapport sur le sida chez les immigrés et leurs enfants existe, et aveugle parce que les institutions font un déni des chiffres obtenus !

Les malades se trouvent face à une double exclusion, due à la fois à leurs origines et à la maladie. Pour faire face : les réseaux d'entraide, la solidarité entre malades, entre familles, avec les rescapés de l'épidémie, avec les soignants, avec les personnes qui se sentent concernées... Notre idée est simple : l'égalité des droits face à la maladie. Et cette idée concerne aussi bien les immigrés que les Français, les malades que les bien portants !

Quel message souhaitez-vous faire passer aux infirmières ?

Le premier, c'est de nous faire connaître et de participer. Que les soignants fassent passer l'information suivante : Migrants contre le sida existe. Les programmes des émissions, et les émissions elles-mêmes, sont disponibles sur Internet (http://www.survivreausida.org). Notre public n'y a majoritairement aucun accès, donc nous dépendons des soignants et des autres intermédiaires (associations, syndicats, etc.) pour reprendre le programme de l'émission, l'imprimer, le photocopier, l'afficher, le diffuser auprès des concernés. L'émission est à la pointe du débat sur la santé publique : on y discute en permanence des enjeux de la santé (par exemple, sur l'insécurité à l'hôpital, la drogue, la sexualité, etc.) toujours du point de vue des premiers concernés (les « usagers » comme nous appellent les soignants). Tous et toutes, Français ou immigrés, soignants ou malades, y sont les bienvenus pour alimenter et faire vivre ce débat. Le deuxième point important, c'est qu'il ne faut pas s'arrêter aux préjugés culturels. Toutes ces notions de déni de la maladie, de syndrome méditerranéen, etc., sont un frein. On utilise la culture pour ne pas parler des droits. Et ce sont souvent des réductions culturalistes grossières. Les gens ne sont pas bêtes. Ils savent ce qu'ils peuvent attendre d'un hôpital moderne. Et puis la culture, ça change, ça évolue. D'ailleurs, notre travail démontre leur prise de responsabilité, leur quête d'information. Le problème, c'est le parcours du combattant à l'hôpital ! Le troisième message, c'est l'engagement politique, la démarche pour faire avancer la prise en charge. Lorsque je vois, à l'hôpital de Gonesse, qu'un seul médecin s'occupe des consultations sida alors qu'il a une file active de 350 patients, majoritairement d'origine africaine, cela me révolte car s'ils étaient blancs et français, personne n'accepterait une telle situation ! Ce n'est pas possible d'accepter ça. Les soignants ne peuvent pas faire leur travail par manque de moyens humains et matériels. Pour faire changer cette situation, il est nécessaire qu'ils s'engagent dans le débat politique, qu'ils exigent avec nous la mise en place d'une véritable stratégie sida du prochain ministre de la Santé qui ne se contente pas de gérer l'épidémie en France, et qui ne démissionne pas de ses responsabilités vis-à-vis de nos frères et nos soeurs malades dans nos pays d'origine.

1- Migrants contre le sida, tél. : 01 43 79 88 32. Tous les mardis de 17 à 18 heures, et rediffusée les mercredis de 11 à 12 heures, sur Fréquence Paris plurielle (FPP), 106.3 FM. Le collectif organise une manifestation samedi 25 mai, à Paris, 15 heures, aux Halles, Fontaine des innocents, en soutien aux familles africaines et arabes solidaires pour survivre au sida.