Tous unis contre la pénurie ! - L'Infirmière Magazine n° 171 du 01/05/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 171 du 01/05/2002

 

EMPLOI

Actualités

Le 5 avril dernier, la première journée du recrutement infirmier, organisée par Initiatives santé à Issy-les-Moulineaux, a fait salle comble. Avec un seul défi à relever pour tous : vaincre la pénurie qui touche la profession.

Vendredi 5 avril, 9 heures, le wagon du métro bruisse déjà de termes rarement usités dans ce genre de lieu : protocoles, bloc, Ifsi, etc. De quoi étonner les usagers habituels de la ligne 12 du métro parisien. Il faut dire qu'aujourd'hui a lieu la première journée du recrutement infirmier au Palais des congrès d'Issy-les-Moulineaux(1). Dès l'entrée, ce qui frappe, c'est le nombre de stands installés là, sur deux niveaux. Il n'y a pas de centimètre perdu. Hôpitaux, services de rapatriement, sociétés d'intérim... ils n'ont pas ménagé leurs efforts pour séduire. Pas de doute, la pénurie est ici palpable. Sourire en bandoulière, les occupants des stands n'ont d'ailleurs pas de mal à trouver des interlocuteurs parmi les participants. Le choix aujourd'hui offert est une chance qui n'échappe à personne. On constate tout de même un petit attroupement supplémentaire devant le stand du CH de Mayotte ; le soleil se vend bien.

« Intégration piscine ».

Sur l'estrade du grand amphithéâtre, la première conférence commence sous forme d'échange. Quatre étudiantes en troisième année de l'Ifsi Louise-Couvé d'Aubervilliers ont été conviées à lancer le débat. Accompagnées de Michelle Bressand (directrice du service central de soins infirmiers) et de Françoise Rosenblatt, à l'initiative de cette journée, elles évoquent leurs expériences de stage, leur vision de l'exercice infirmier, leurs choix, leurs espoirs, et leurs craintes aussi. Le premier sujet abordé est la difficulté de financement des études. Trois ans, certes bien remplis. Entre les heures de cours et les stages pratiques, il reste tout juste le temps de reprendre des forces. « Certainement pas d'intermède suffisant pour un job », note Michelle Bressand, ravie des progrès accomplis par les associations d'étudiants pour améliorer cette situation. « En deux ans, vous avez avancé plus que nous ne l'avions fait en vingt ans ! »(2)

Liberté nouvelle.

« N'oubliez pas que nous sommes vos futures collègues ! » lance l'une des jeunes intervenantes face à une infirmière un peu « vieille garde », sévère à l'égard des stagiaires actuelles, prétendument plus intéressées par leurs horaires que par la qualité des soins. Frémissement dans la salle. Sur l'estrade, les quatre jeunes femmes ne mâchent pas leurs mots : elles aiment leur futur métier mais ne se laisseront pas faire : « Pas question de travailler à la chaîne comme cela se pratique encore dans certains services. » Chacun y va de son commentaire lorsque la question de l'évolution de la formation est posée.

« Le DE nous donne le droit d'exercer, mais il reste un grand chemin à parcourir, commente un infirmier d'Argenteuil, c'est comme le permis de conduire. » Propos confirmés par Michelle Bressand qui se souvient avoir subi en son temps ce qu'elle appelle « l'intégration piscine : on te pousse et tu te débrouilles pour nager ». Elle envisage d'ailleurs de créer dans chaque établissement un poste spécifique dédié à l'encadrement des étudiants.

Si le déficit en professionnels est souvent dramatiquement vécu au sein des services, il constitue néanmoins également une chance considérable pour ces futures soignantes. Le choix qui leur est offert, les efforts que les établissements déploient pour les embaucher et surtout pour les garder, sont autant de garanties d'une mutation positive. La voie du changement s'emprunte désormais au sein même de la pratique quotidienne.

En réponse à une infirmière lassée de l'intransigeance de son directeur qui, dit-elle, la fait travailler à la chaîne sans jamais écouter ses observations, Michelle Bressand lâche : « Il suffit de prendre son sac et partir. Je vous engage à faire le tour des stands. La demande ne manque pas. Profitez-en ! » Constatation certes brutale mais réaliste. La suite de la journée le confirmera.

Travailler ensemble.

Le rôle spécifique de l'infirmière est ensuite abordé lorsqu'une personne de l'assistance s'inquiète de voir les aides-soignantes autorisées à distribuer les médicaments sous le contrôle de l'infirmière. « C'est l'arbre qui cache la forêt », répond Michelle Bressand. Pour elle, l'inquiétude réelle se situe dans le fait que de plus en plus d'infirmières sont contraintes à exécuter des actes médicaux. « Et le passage aux 35 heures des médecins n'améliorera rien. C'est le grand virage à prendre correctement dans les trois ou quatre années à venir. Pour résoudre ce problème comme les autres, il est temps de mettre en place une véritable concertation entre les infirmières et les médecins. Il y a encore une véritable méconnaissance de notre formation dans le corps médical. Les solutions existent ; il ne tient qu'à nous de les trouver. » Et Georgette Perrin (directrice du service de soins infirmiers) d'ajouter de la salle : « Notre profession doit s'auto-alimenter en reconnaissance. Après tout, l'infirmière est la première professionnelle citée par les patients. Ne ternissons pas notre image de marque ! »

Stratégie anti-pénurie.

Après cette matinée riche d'expériences partagées, et le passage remarqué d'André Santini, ancien ministre et maire d'Issy-les-Moulineaux, c'est la pause déjeuner. Au vu de la foule qui se presse encore autour des stands, on devine que bon nombre de participants ont décidé de sauter l'interlude pour passer directement à l'après-midi, plus particulièrement consacré aux moyens pratiques mis en oeuvre par les établissements pour recruter et fidéliser le personnel infirmier. Roselyne Vasseur et Claudie Camus, respectivement directrice des soins infirmiers et DRH de l'Institut Curie (Paris) nous exposent leur plan d'action.

Le célèbre institut a élaboré une stratégie anti-pénurie dont le fondement est la prise en compte du parcours global des professionnels. Instauration d'une prime de recrutement, prime de parrainage pour les postes de nuit, valorisation du parcours antérieur, intégration personnalisée, mise en place d'une journée d'accueil transversale, n'en sont que quelques exemples. Un parcours de réflexion également suivi par Claude Dagorn, directeur du centre hospitalier André-Grégoire à Montreuil. Chez lui, le problème est d'autant plus critique que l'activité de son établissement a fortement augmenté ces deux dernières années. On retrouve ici le même genre de mesures d'incitation que celles de l'Institut Curie, augmentées néanmoins de mesures en adéquation avec la taille de l'établissement et son statut public. C'est ainsi que les potentielles recrues se verront proposer un mode de garde pour leurs enfants, un accompagnement de leur recherche de logement dont les attributions seront traitées prioritairement sur la commune, un cadre souple d'organisation du temps de travail entre autres.

Europe et compétences.

La pénurie sévit partout au sein de la Communauté européenne, sauf en Espagne. Jacqueline Serreau, cadre infirmier supérieur à la direction des affaires internationales AP-HP, et le docteur Madeleine Estryn-Behar, médecin du travail AP-HP, le confirment. On parle d'encourager les échanges de personnels et donc, de compétences, entre les différents pays afin d'enrichir la pratique de chacun. Vers 16 heures, un peu en retard en raison de la profusion de questions posées toute la journée aux divers intervenants, c'est la compétence qui est abordée. Georgette Perrin et le docteur Patrick Daoud (chef de service de réanimation infantile à l'hôpital André-Grégoire de Montreuil) commentent le nouveau décret de compétence puis s'intéressent aux moyens pratiques mis en place pour intégrer les nouveaux personnels dans un service à haute technicité. Tous deux laisseront leur place à deux infirmiers sapeurs-pompiers des Alpes- Maritimes qui exposeront les réalités de ce métier nouvellement reconnu, puis à Mmes Badorc et Pedro, cadres infirmiers à l'hôpital Sainte-Anne (Paris) pour creuser la question du référent et de l'éthique professionnelle. Tout au long de cette journée bien remplie, les infirmières ne se sont pas contentées des forums de l'amphithéâtre pour échanger leurs expériences.

Rencontres.

À chaque étage, le Palais des congrès se fait l'écho de nouvelles rencontres. Ainsi, au détour d'un couloir, Sophie, dont le coeur balance entre l'éventualité de se lancer dans des études d'infirmière ou d'aide-soignante, trouve une oreille bienveillante en la personne de Sandrine, surveillante à Meudon. Le maître mot de cette première journée du recrutement infirmier a donc été la rencontre. Une vraie rencontre ; entre les recruteurs et les professionnels, les débutants et les plus expérimentés, entre toutes sortes de manières d'exercer aussi. On en retiendra également l'indéniable évolution du métier, qui donne maintenant aux infirmières l'opportunité de se faire entendre au sein même des établissements où elles exercent. « Le métier sera demain ce que nous en ferons aujourd'hui », conclut Françoise Rosenblatt. Comme dit l'adage : ce qui est rare est cher...

1- Organisée par Initiatives santé, en partenariat avec L'Infirmière magazine.