Distilbène®, levez-vous ! - L'Infirmière Magazine n° 172 du 01/06/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 172 du 01/06/2002

 

JUSTICE

Actualités

Anne Levadou, ex-infirmière, se bat depuis 1992 contre le Distilbène®, médicament cancérogène prescrit aux femmes enceintes. Portrait d'une militante à qui l'actualité donne raison.

Le 24 mai, le tribunal de grande instance de Nanterre a jugé le laboratoire UCB Pharma, qui commercialisait le Distilbène®, responsable des cancers de l'utérus et du vagin dont sont atteintes deux femmes. Exposées in utero à cette hormone de synthèse, elles avaient porté plainte en 1991 contre ce laboratoire. Administré aux femmes enceintes entre 1948 et 1977, le DES (diéthylstilboestrol, commercialisé sous le nom de Distilbène®) était indiqué pour prévenir les risques de fausses couches. Il a aussi été prescrit à des femmes diabétiques insulinodépendantes ou ayant des antécédents de toxémie ou de stérilité. Les gynécologues-obstétriciens français l'ont massivement prescrit entre 1968 et 1973.

Informer avant tout.

Pourtant, dès 1953, il était établi, outre-Atlantique, que ce médicament était inefficace dans la prévention des avortements spontanés. En 1971, une étude américaine montrait déjà les effets cancérogènes de ce médicament sur les filles des femmes traitées au DES durant leur grossesse. Mais en France, il faudra attendre 1977 pour que le diéthylstilboestrol soit officiellement contre-indiqué chez la femme enceinte. « Et malgré cela, insiste Anne Levadou, présidente et fondatrice de l'association Réseau DES France(1), nous savons que des médecins ont continué de le prescrire dans les années 80. »

Le Réseau DES France a été créé en 1992 par cette ancienne infirmière hospitalière, concernée au premier chef puisqu'on lui a prescrit du DES durant sa grossesse. Sa fille, victime d'un cancer, figure d'ailleurs parmi les toutes premières à porter plainte, bien que son dossier soit encore en cours d'examen, comme une vingtaine d'autres. Anne Levadou consacre aujourd'hui toute son énergie à informer le corps médical des conséquences d'une exposition au DES. « Actuellement, les diagnostics de cancers sont faits tardivement, regrette-t-elle, trop souvent lorsque la tumeur en est au stade 2 ou 3. » À ce jour, quelque 58 cas ont été diagnostiqués en France. On en attend jusqu'à 80 à l'horizon 2010. Mais le combat de l'association consiste aussi à aider et soutenir les autres victimes du DES, celles qui subissent les conséquences de cette exposition in utero sur leur fertilité.

« Si ces femmes, qui souhaitent aujourd'hui avoir un enfant, étaient averties des risques qui planent sur leur grossesse, elles éviteraient de nombreux accidents, fausses couches ou naissances prématurées », assure Anne Levadou. Le réseau DES France permet aussi de créer des liens de solidarité entre toutes ces jeunes femmes en mal de grossesse. Des mères de victimes ont aussi rejoint le réseau. « Beaucoup d'équipes françaises se sont penchées sur le suivi de ces grossesses et ont établi leurs propres protocoles », confie Anne Levadou. L'association les a réunies en conseil scientifique pour qu'elles établissent un consensus. Souvent, l'alitement suffit à prévenir l'ouverture prématurée du col de l'utérus.

Le conseil scientifique a rédigé des fiches techniques que le réseau diffuse lors de congrès de gynécologie-obstétrique ou envoie directement aux professionnels qui le contactent. « Il est difficile de faire admettre aux médecins qu'ils se sont trompés », note Anne Levadou. Au sein du réseau DES France, elle peut compter sur l'exemple qu'offre Anne Cabau : cette gynécologue a prescrit ce médicament. Et elle est à l'origine de la première enquête médicale(2) en France qui a révélé l'existence de malformations génitales chez les fillettes de mères exposées au DES. « C'est ce comportement que nous voulons susciter », déclare Anne Levadou.

1- Réseau DES France : 01 40 21 95 13. 2- Les enfants du Distilbène®, une monumentale erreur médicale, Le Monde du 16 février 1983.

Conséquences de l'exposition in utero

On évalue à 160 000 le nombre d'enfants concernés par une exposition in utero au DES. Chez les garçons, les conséquences sont encore assez peu documentées : on constate cependant des anomalies testiculaires, des cryptorchidies, des anomalies de position du méat urinaire (également présentes chez la troisième génération), voire des modifications possibles de la spermatogenèse. Chez les filles, on recense des adénocarcinomes à cellule claire du vagin, et surtout stérilité et hypofertilité dues à un utérus et/ou des trompes mal formés, et différentes anomalies anatomiques du col également responsables de naissances très prématurées.