Infirmières sans frontières - L'Infirmière Magazine n° 172 du 01/06/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 172 du 01/06/2002

 

Enquête

Travailler dans l'humanitaire requiert patience, humilité et curiosité • La charge de travail est souvent lourde, les responsabilités importantes et les conditions de travail pénibles • Après une mission, l'infirmière doit prévoir sa réinsertion professionnelle.

• Au-delà de la volonté, quelles sont les qualités incontournables d'une infirmière dans l'humanitaire ? Pour Bonnie Tickridge, infirmière de formation et aujourd'hui responsable de recrutement chez MSF, l'autonomie, une grande ouverture d'esprit, une capacité d'encadrement des équipes, un bon sens de l'organisation, et un véritable engagement dans la cause humanitaire sont essentiels.

Valérie Pouget, infirmière depuis 1987 et fort impliquée dans l'humanitaire, précise que les critères stricts de sélection sont justifiés. Il faut être préparé avant de partir sur le terrain, car « l'humanitaire, c'est une profession ». Elle ajoute qu'il faut savoir rester humble sur le terrain car « on n'est pas là pour sauver le monde ». Une bonne maîtrise de son métier et quelques années d'expérience sont indispensables car les missions se déroulent souvent dans l'urgence, les conditions d'exercice sont précaires comparées à celles des pays développés et les responsabilités peuvent être énormes. Face à ces responsabilités, il faut savoir rester modeste, les pieds sur terre. Patience, curiosité et diplomatie sont aussi des qualités nécessaires. La neutralité, essence même des ONG ou autres associations humanitaires, est de rigueur. Savoir vivre en communauté et travailler en équipe sont aussi des points indispensables, selon Florence Sinier (partie un an en mission de post-urgence au Burundi avec ACF). La maîtrise d'une ou deux langues étrangères est un plus nécessaire.

Quelles missions ?

Médecins du monde distingue trois grands types de missions.

Les missions d'urgence durent entre un et trois mois. Elles concernent les pays et les populations en état de crise. Les causes sont diverses : conflits armés, catastrophes naturelles, épidémies, famines...

Il s'agit d'engager une aide immédiate auprès des populations locales. Entre 24 heures et trois jours après l'arrivée des équipes, des moyens humains, logistiques et financiers sont mis en place (aide médico-chirurgicale, médicaments, traitements de l'eau, vaccinations, etc.)

Les missions de réhabilitation sont souvent le prolongement de ces missions d'urgence. L'objectif est d'accompagner les personnes victimes de traumatismes psychiques et de restaurer les structures sanitaires pour qu'un service de santé minimum soit garanti aux populations (chirurgie réparatrice, soins médicaux, vaccinations, formation du personnel local, traitement de l'eau, etc.)

Enfin, les missions dites de développement sont axées sur le long terme (trois ans en général). Elles permettent d'apporter des solutions durables aux conséquences de la misère sur la santé. Fondés sur des partenariats avec les structures sanitaires du pays, leurs objectifs sont la prévention, l'éducation sanitaire de la population, la réhabilitation de structures hospitalières, la formation du personnel médical local.

Ouverture d'esprit.

Selon William Fourché, infirmier anesthésiste (cf. encadré), partir en mission, c'est faire un voyage dans l'espace et dans le temps. C'est avant tout la rencontre d'une nouvelle culture et le partage d'une autre vision du monde avec des gens très différents. Cet infirmier ne regrette pas d'avoir mis sa carrière française entre parenthèses pour devenir un anesthésiste globe-trotter avec MSF : « J'ai l'impression d'exercer mon métier dans toute son entité : anesthésie, réanimation, urgence et je ne vous parle pas de l'entière liberté de décision et son corollaire, le poids énorme des responsabilités... il ne manque rien, même pas le dépaysement ! »

Les mots de Bonnie Tickridge sont aussi forts : « Sur le terrain, on a vraiment l'impression d'aller à l'essentiel, d'avoir plus d'authenticité dans nos relations aux patients et aux autres soignants. Les volontaires sont souvent des personnes entières, hors du commun. » Pour Valérie Pouget, l'humanitaire est une passion nourrie depuis l'enfance. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle a décidé de devenir infirmière. De même, Vincent Koffmann (infirmier depuis 1993) et Florence Sinier mettent l'humanitaire en prioritaire depuis l'adolescence pour sa dimension humaine. Bref, le goût de l'humanitaire ne s'acquiert pas sur un coup de tête, c'est une démarche mûrie et réfléchie.

Débuts pénibles.

Les débuts en missions peuvent être pénibles car tout est à faire et les moyens sont restreints. William Fourché, lors de sa première mission en Birmanie, chez les Karen, parle du rythme affolant des premières semaines. Les semaines de sept jours et la charge de travail quotidienne rendent les débuts de missions souvent éprouvants. Les conditions d'exercice rudimentaires ne doivent pas constituer une entrave, l'imagination et la créativité permettent de remplacer le matériel de pointe. « On adapte nos pratiques à des techniques très simples (comme le pouls, la tension ou la respiration). On revient aux conditions vécues il y a une vingtaine d'années », souligne William Fourché.

La première mission, même bien préparée, est souvent un « choc » par tous les aspects inconnus qu'elle véhicule : choc de culture, de climat, de pays, de population et de conditions de vie. Valérie Pouget fut surprise par la lourdeur des responsabilités qu'on lui a confiées lors de sa première mission en Thaïlande. Cela justifie les deux ans d'expérience professionnelle minimale demandés par les ONG qui permettent d'être opérationnel sur place. Vincent Koffmann, superviseur d'une centaine de centres de traitements lors d'une mission au Malawi, a pu également le constater.

L'infirmière en missions de réhabilitation ou de développement est avant tout coordinatrice. Elle gère les approvisionnements, les relations avec les autorités et les partenaires locaux. La polyvalence est donc une qualité essentielle.

Difficile réinsertion.

Lors des missions d'urgence, souvent liées à un état de guerre, les conditions de sécurité ne sont pas assurées. Valérie Pouget ne peut oublier une mission au Burundi en juillet 1994... Un expatrié s'est fait abattre à ses pieds et la maison dans laquelle se trouvait l'équipe de MSF fut assiégée. Elle garde aussi un souvenir pénible des ravages causés par l'épidémie de paludisme lors de sa mission en Thaïlande. « Les enfants mouraient dans mes bras, et je ne pouvais rien faire, faute de pouvoir pratiquer des transfusions. »

Selon William Fourché, « voir mourir un enfant par semaine, c'est difficile, un par jour, c'est dur, mais quand c'est 20 à 30 petites tombes quotidiennes... » Bonnie Tickridge évoque la difficulté de cerner son propre rôle lors de sa première mission : « On a un rôle de superviseur très différent de ce que l'on connaît en France et on a du mal à savoir ce que l'on doit faire. »

Par ailleurs, il est difficile d'être confronté à certaines formes de corruption, ou d'actions dérangeantes sur le plan éthique.

Le retour des missions est parfois difficile, voire brutal. Après une mission d'urgence, les souvenirs relatifs à des pays en guerre ou ravagés par la guerre sont marquants. Après deux ou trois ans d'expatriation en mission de réhabilitation ou de développement, le déracinement est total et la réinsertion au pays difficile. Le travail d'adaptation se fait donc dans le sens du départ, mais aussi dans celui du retour.

Le sentiment de retourner à l'anonymat, de ne plus être reconnu ni d'être aussi indispensable qu'en mission est assimilé à un travail de « deuil ». Ces expériences sont difficiles à partager avec ceux qui sont restés en France et ne connaissent pas la grande famille de l'humanitaire. De plus, les expatriés bénéficient souvent d'un statut social et de responsabilités bien supérieurs à ceux du pays d'origine, de sorte que le train-train quotidien peut paraître fade et déprimant... Il est donc indispensable de préparer son retour afin de ne pas être déstabilisé.

Un élément clé, selon Valérie Pouget, « est d'avoir un poste qui vous attend dès votre retour », permettant de s'immerger dans la vie active. Le retour à l'hôpital peut être dur, il est cependant indispensable. Bonnie Tickridge partage cette opinion : il est fondamental de retourner à l'hôpital entre deux missions ou de faire de l'intérim pour ne pas perdre pied. L'humanitaire est une passion... Et il n'est pas rare d'entendre : « Une fois que l'on a mis le doigt dedans, c'est l'engrenage. C'est tellement passionnant que l'on a toujours envie de repartir », comme l'explique Valérie Pouget.

Les organisations humanitaires

Les principales organisations non gouvernementales françaises(1) sont MSF (Médecins sans frontières), MDM (Médecins du monde), ACF (Action contre la faim). Avec environ 2 000 volontaires (toutes professions confondues) en mission chaque année, dont 29 % d'infirmières, MSF est l'une des ONG les plus actives, suivie de Médecins du monde (365 volontaires en 1998), et d'Action contre la faim (512 volontaires en 2001 dont 17,8 % d'infirmières). Il convient d'ajouter le CICR (Comité international de la Croix-Rouge), dont le personnel soignant envoyé sous contrat (médecins, infirmières, chirurgiens, anesthésistes) s'élevait à 264 personnes en 2001. Les chiffres de la Croix-Rouge française ne nous ont pas été communiqués. Pour partir en mission, les ONG sélectionnent des personnes ayant au moins deux ans d'expérience professionnelle en France. Elles sont souvent jeunes (36 ans en moyenne chez MSF) et sans attache.

1- Pour plus d'informations :

→ Médecins sans frontières, service de recrutement, 8, rue Saint-Sabin, 75 544 Paris cedex 11. Tél. : 01 40 21 29 29.

Site Internet : http://www.medecinssansfrontieres.com.

→Médecins du monde dispose de délégations régionales presque partout en France. Médecins du monde, service de recrutement, 62, rue Marcadet, 75018 Paris. Tél. : 01 44 92 15 15. Site Internet : http://www.medecinsdumonde.org.

→Action contre la faim, service de recrutement, 4, rue Niepce, 75014 Paris. Tél. : 01 43 35 88 88. Site Internet : http://www.acf-fr.org.

Parcours d'humanitaire

Exerçant depuis 1981, William Fourché ponctue sa vie d'infirmier anesthésiste de missions humanitaires aux quatre coins de la planète.

En 1984, il accomplit une mission d'urgence de trois mois en Birmanie dans les camps des réfugiés karen, à la frontière birmano-thaïlandaise (MDM). La première semaine, il assure environ 80 consultations par jour (beaucoup de cas de paludisme et de bronchites chroniques). En 1990, il est envoyé en mission exploratoire pendant deux semaines dans l'ex-Zaïre (actuellement République démocratique du Congo) auprès de trois villages dans la région du Bandundu (ASI). Après avoir obtenu son diplôme d'Iade en 1991, il repart en mission d'urgence de quatre semaines au Kurdistan irakien (MDM) en 1994. Il pratique alors des anesthésies pour chirurgie d'urgence et générale à l'hôpital de Rania. En 1995, il séjourne quatre semaines en Bosnie-Herzégovine (MDM), où il fait de l'anesthésie pour chirurgie orthopédique réparatrice au sein de l'hôpital de Travnik. Il retourne dans ce pays un an plus tard pour une mission d'urgence de quatre semaines avec MDM. Il pratique de nouveau l'anesthésie pour chirurgie orthopédique au sein de l'hôpital de Zénica. En 1999, il change d'horizon et se rend en mission de réhabilitation de trois mois au Kosovo (MDM), à l'hôpital de Pristina.

En juillet prochain, il sera de nouveau sur la route pour une mission de développement de trois mois au Bengladesh (aide médicale et développement). En outre, il pratiquera l'anesthésie pour un programme de chirurgie infantile. Passionné d'informatique, il a créé un site dédié à l'humanitaire(1).

1- http://perso.wanadoo.fr/william.f/