Les violences familiales, un mal pandémique - L'Infirmière Magazine n° 172 du 01/06/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 172 du 01/06/2002

 

SOCIÉTÉ

Actualités

Les violences conjugales et les violences parents/enfants n'épargnent aucun milieu social. À l'occasion d'une conférence sur le sujet au début du mois, le Pr Roger Henrion et son équipe ont pu établir un état des lieux de ces violences familiales, l'une des principales causes de mortalité chez les femmes.

La famille n'est pas seulement un havre de paix... Les violences familiales, sujet tabou, représentent un réel défi pour l'avenir de la société, d'autant plus que le contexte familial est le lieu de construction de la personnalité et de révélation de son véritable « soi ». Une conférence tenue le 4 juin à l'Académie nationale de médecine, présidée par le Pr Roger Henrion, était l'occasion de faire le point sur les violences conjugales et les violences parents/enfants ou enfants/parents. Les publications sur la question en médecine ou en santé publique étant encore extrêmement rares en Europe, les conclusions du travail du groupe d'experts proviennent en partie de « l'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France » (Enveff) effectuée de mars à juillet 2000, pilotée par le secrétaire d'État aux droits des femmes. Réalisée par téléphone sur un échantillon représentatif de 7 000 femmes âgées de 20 à 59 ans dont les noms ont été tirés au sort, elle permet d'avoir une idée du phénomène en France.

Typologie

Ce rapport intitulé Les Femmes victimes de violences conjugales, le rôle des professionnels de la santé a été publié par la Documentation française. Force est de constater que ce sujet mobilise la gent féminine puisque 88 % des femmes de l'échantillon ont accepté de répondre à l'interview, score élevé pour un sujet aussi délicat. Par violence conjugale, il faut comprendre « toute intentionnalité de nuire quel qu'en soit l'auteur ». Les témoignages évoquent : 4,3 % d'insultes, 1,8 % de chantage affectif, 24,2 % de pressions psychologiques (dont 7,7 % de harcèlement moral), 2,5 % d'agressions physiques et 0,9 % de viols et autres pratiques sexuelles imposées. Il existe plusieurs types de violence conjugale : les violences physiques laissant des lésions traumatiques (hématomes, ecchymoses, contusions, plaies, brûlures, fractures), les violences psychologiques comme les troubles émotionnels, psychosomatiques, du sommeil, de l'alimentation ou cognitifs. Ces derniers types peuvent s'étaler sur une longue période. Ils sont d'autant plus insidieux qu'ils sont difficilement repérables.

Environ 50 % des femmes victimes de violence conjugale présentent un état dépressif conduisant à la consommation abusive de substances psychoactives comme l'alcool, le tabac et différentes drogues. Enfin, les violences sexuelles entraînent divers troubles gynécologiques graves. La violence conjugale est l'une des principales causes de mortalité chez les femmes, que ce soit par homicide ou suicide ou par complication des violences physiques endurées. En France, on estime (en moyenne) qu'une femme et demi meurt chaque semaine du fait des violences conjugales (chiffres du ministère de l'Intérieur). C'est beaucoup, mais relativement moins que nos voisins britanniques chez qui « un crime domestique » est commis toutes les six secondes, chaque jour (rapport de la police métropolitaine du 25 octobre 2000).

Sur les 12 mois précédant l'enquête, 10 % des femmes ont été victimes de violences : 6,7 % de violences graves et 2,3 % de violences très graves. Avec l'âge, les violences graves ont tendance à diminuer alors que les violences très graves restent identiques. La violence familiale est partout, elle n'épargne aucune classe socioprofessionnelle. On estime à 11,1 % les violences familiales chez les chômeurs, à 7,7 % chez les commerçants et chefs d'entreprise et à 8,7 % chez les cadres et les fonctions intellectuelles. Ces violences se retrouvent dans des couples ou des familles où règne un climat de mésentente. L'alcool est un facteur déclencheur important. Les répercussions des violences conjugales sur la santé des femmes sont importantes et d'ordres différents. Selon l'OMS, ces femmes ont une espérance de vie réduite d'une à quatre années. La violence conjugale est donc un véritable problème de santé publique.

Les enfants en danger

Les professionnels de santé ont un rôle clef dans le repérage de cette violence puis dans sa prise en charge. En effet, la plupart des femmes victimes de violence conjugale préfèrent garder le silence, se sentant en plus grand danger lorsqu'elles en parlent. Mais elles peuvent évoquer ce sujet de manière détournée. Un dépistage systématique (effectué par le médecin qui poserait plusieurs questions) pourrait se révéler utile puisqu'il n'existe ni de profil type, ni de symptôme clinique spécifique. Favoriser le travail interdisciplinaire entre personnel médical, paramédical, et judiciaire est une direction à suivre.

Les femmes ne sont pas seules victimes des violences conjugales. Les enfants sont témoins ou victimes dans 70 à 80 % des cas. Avec l'augmentation du nombre de familles monoparentales, les enfants sont violentés, déchirés psychologiquement, rejetés. La difficulté, une fois encore, est qu'il n'existe pas de profil type d'enfant maltraité ni de parents maltraitant leurs enfants. Le diagnostic est très délicat. Un travail d'équipe interdisciplinaire est nécessaire afin que la décision finale soit la résultante de cette « vue d'ensemble ». Quant à l'inceste, il reste difficile à cerner. Selon les enquêtes de la gendarmerie, il représenterait 25 à 30 % des violences faites aux enfants. Les enfants n'en parlent que rarement et la famille concernée est très repliée sur elle-même. L'auteur est en général le père dont la vie affectivo-sexuelle est pauvre. La mère est plus souvent absente que complice. La négligence du climat de stabilité et de sécurité, essentiel au développement harmonieux de l'enfant, engendre des troubles fonctionnels, des traumatismes psychologiques, des déficits émotionnels difficilement réversibles.

Autodestruction

Les répercussions sont de différents ordres : physiques si l'enfant est victime de lésions traumatiques, psychologiques (troubles du sommeil, cauchemars, troubles de l'alimentation, anxiété, angoisse, dépression, etc.) ou psychosomatiques (troubles de l'audition, du langage, infections respiratoires à répétition). Vers l'adolescence, le comportement est souvent marqué par une opposition constante, du chantage au suicide en passant par un état dépressif. L'adolescent traîne sans projet et sans but. Les résultats scolaires s'en ressentent. Il peut aussi choisir de rentrer dans un mutisme total. Autodestructeur, l'enfant sans repère peut aussi se tourner vers la drogue ou l'alcool. Cependant, la question du poids de la parole de l'enfant est un débat qui reste encore en suspens.