Prévenir les AES - L'Infirmière Magazine n° 172 du 01/06/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 172 du 01/06/2002

 

Vigilance

Conduites à tenir

Pour prévenir les accidents d'exposition au sang (AES), l'évaluation de l'efficacité de dispositifs sécurisés est une étape indispensable. Le test de la seringue de sécurité Fraxiparine® permet, à travers cet exemple, d'élaborer une méthode.

Définition

Toute exposition percutanée par piqûre ou coupure ou tout contact cutané sur peau lésée (plaie, eczéma...) ou muqueuse (oeil, bouche...) avec du sang ou un liquide biologique souillé par du sang constitue un accident exposant au sang (AES).

Incidence

Avec la progression de l'épidémie du sida et la survenue de cas documentés d'infections professionnelles par les virus des hépatites B et C et le VIH à la suite d'un AES(1), les soignants ont pris conscience du risque de contamination en cas d'AES.

Les études épidémiologiques conduites depuis plus de dix ans en milieu de soins ont permis :

- d'évaluer l'incidence des AES et le risque associé de transmission d'agents pathogènes ;

- d'identifier les personnels et situations à risques ;

- de mesurer l'impact des politiques de prévention.

Les données récentes(2), (3) montrent que les accidents d'exposition au sang demeurent fréquents en milieu de soins. Les deux tiers des AES se produisent après le geste. Les AES par piqûres représentent près de 80 % des AES déclarés et plus d'un tiers d'entre eux auraient pu être évités, notamment par une élimination immédiate des objets piquants ou tranchants dans un collecteur et le non-recapuchonnage des aiguilles. De plus, les infirmières sont les personnels de soins médicaux les plus concernés par les risques de contamination.

Prévention

Pour faire face à ce danger, une politique de prévention des AES a vu le jour :

- définition de précautions universelles à respecter en milieu de soins, intégrées depuis dans les précautions standard(4) ;

- élimination immédiate des piquants/tranchants dans un collecteur spécifique placé à portée de main (50 cm) ;

- port de gants si risque de contact avec du sang et lors de l'utilisation de matériels piquants/tranchants ;

- développement de dispositifs de sécurité permettant de diminuer le risque résiduel d'AES non évitables par l'application des précautions standard(5).

L'efficacité des moyens de prévention peut être évaluée en mesurant l'incidence des AES avant et après leur mise en place(2) mais aussi en interrogeant directement les utilisateurs. Ainsi, depuis une dizaine d'années, le Geres (Groupe d'étude sur le risque d'exposition au sang) a développé un système d'évaluation des dispositifs de sécurité fondé sur des questionnaires remplis par le personnel soignant.

Méthodologie

L'objectif de ces évaluations est de mesurer l'acceptabilité et la perception du dispositif de sécurité par les personnels soignants utilisateurs. Ce type d'évaluation s'attache donc à étudier, dans une double perspective d'amélioration de la sécurité des soignants et de maintien de la qualité des soins aux patients, les critères de :

- facilité de manipulation ;

- impact du matériel sur la procédure (modification ou absence de modification du geste de base) ;

- facilité de mise en sécurité ;

- fiabilité du système de sécurité ;

- survenue d'éventuels incidents au cours du test ;

- confort du patient.

Évaluation

L'évaluation se fait classiquement en comparant le matériel déjà utilisé (matériel standard ou matériel de sécurité) à un nouveau matériel (avec un nouveau système de sécurité). Des infirmières volontaires, utilisant les deux types de dispositifs en pratique quotidienne, sont sélectionnées. Elles doivent remplir trois questionnaires individuels de recueil de données :

- un questionnaire initial comportant des items sur les éventuels cas d'AES dont elles ont été victimes auparavant, l'utilisation au quotidien de moyens de prévention et les connaissances des dispositifs testés ;

- un questionnaire en cours de test rempli après chaque utilisation d'un des deux dispositifs (facilité de réalisation du geste médical et de la mise en place du système de sécurité) ;

- un questionnaire de fin de test, bilan de l'évaluation des deux dispositifs testés.

La durée de l'essai et le nombre d'infirmières à inclure dépendent de la fréquence de réalisation des gestes. Chaque infirmière doit utiliser consécutivement au moins 20 dispositifs à tester.

Dans chaque service, un coordinateur en charge du suivi de l'évaluation (le cadre supérieur ou un cadre de soin) est identifié. Une réunion préliminaire avec le coordinateur et les infirmières volontaires est organisée avant le démarrage de l'essai dans chacun des services retenus afin d'assurer :

- une information sur l'essai (présentation du protocole, des modalités d'évaluation et des questionnaires de recueil des données, modalités de suivi de l'évaluation) ;

- la remise des documents relatifs à l'essai (protocole et questionnaires de recueil des données).

Les données sont ensuite analysées (logiciel Epi-Info) et restituées.

Fraxiparine®

Fraxiparine® est une seringue standard pour l'administration sous-cutanée (SC) d'héparine de bas poids moléculaire (HBPM). Les injections d'HBPM sont très fréquemment réalisées en milieu hospitalier. Les accidents liés à ce geste à risque faible de transmission du VIH, n'ont pas été ciblés prioritairement par les actions de prévention engagées dans la dernière décennie. Ainsi, il existe peu de matériel de sécurité pour la réalisation des injections SC. Pourtant, l'enquête Geres sur le risque d'AES chez des infirmières des services de médecine et de réanimation(2) a montré une forte prévalence des AES lors d'injections SC (15 % AES par piqûre). Or les précautions standard (port de gants et collecteur à portée de main) sont peu suivies pour ce geste perçu comme « banal » malgré un risque lié au VHC non négligeable en cas d'AES. Il apparaît donc nécessaire de développer et généraliser des dispositifs de sécurité pour ce geste.

Dans ce contexte, il était particulièrement intéressant d'évaluer l'acceptabilité de Fraxiparine®, première seringue préremplie à disposer d'un système de sécurité permettant la protection de l'aiguille en fin de geste, pour l'administration SC d'HBPM.

Cette étude s'est déroulée de décembre 2000 à mai 2001 dans le groupe hospitalier Bichat-Claude-Bernard à Paris. Ce site a été retenu car les deux types de dispositifs (seringue protégée et seringue non protégée) étaient déjà utilisés. 22 infirmières volontaires appartenant à neuf services différents ont participé en remplissant les trois questionnaires individuels de recueil des données. L'analyse des réponses au questionnaire initial a montré que plus du quart des infirmières participant à l'étude avait déjà subi un AES lors de la réalisation d'injection SC. De plus, les données recueillies montrent que les précautions standard sont encore peu suivies pour ce geste (tableau 1).

En ce qui concerne les critères ergonomie/confort patient de la seringue Fraxiparine®, ils ont été jugés comparables à ceux de la seringue standard non protégée. Les infirmières ont fait une très bonne appréciation de l'efficacité de la protection mais une moins bonne de la facilité et de la durée de mise en sécurité (tableaux 2-3).

En fin de test, la majorité des infirmières souhaitait disposer d'une seringue de sécurité pour réaliser des injections SC (tableau 4).

Si les précautions standard sont un élément de base de la prévention des AES, les matériels de sécurité représentent un moyen complémentaire de prévention souhaité par les infirmières. L'acceptabilité du dispositif Fraxiparine® est apparue bonne et l'efficacité de la protection apportée a été appréciée.

Discussion

Comme nous avons pu le constater à travers l'évaluation de Fraxiparine®, ce type d'étude permet de faire un point sur l'utilité d'un matériel de sécurité et de vérifier le bon usage d'un tel dispositif. Ainsi, la seringue Fraxiparine® représente un progrès et permet de prévenir le risque d'AES après l'injection. Cependant, l'activation du système de sécurité se fait à deux mains, ce qui peut également être cause d'AES et impose un geste contraignant qui n'est donc pas systématiquement réalisé. Il est donc souhaitable d'introduire et de généraliser pour ce geste des dispositifs de nouvelle génération, comme par exemple des seringues avec système de sécurité à activation passive, dans la continuité du geste, déclenchant la protection automatique de l'aiguille en fin d'injection. Par ailleurs, il est nécessaire de former les utilisateurs lors de l'introduction d'un matériel de ce type si l'on désire qu'il soit réellement efficace. Une évaluation précoce d'un nouveau dispositif pourrait permettre de délivrer une formation appropriée à l'aide de CD-ROM, films, prototypes... Enfin, une pareille évaluation apparaît comme un bon moyen d'impliquer les utilisateurs dans le choix des dispositifs, ce qui est là encore indispensable pour une bonne utilisation du produit.

Bilan

Cette étude a confirmé que les injections sous-cutanées sont perçues comme un geste « banal » au cours duquel les précautions d'usage ne sont pas toujours suivies alors que le risque d'AES durant un tel geste est loin d'être négligeable (plus de 25 % des infirmières de l'étude se sont déjà piquées en réalisant ce geste). Il est donc intéressant de développer des matériels de sécurité afin de diminuer ce risque et en particulier des seringues avec un système de sécurité se déclenchant de manière passive. Cependant, quel que soit le système, il est indispensable de former les utilisateurs si l'on veut que son efficacité soit maximale.

1- Lot F. et al. Infections professionnelles par le VIH et le VHC en France chez le personnel de santé. BEA 1999 ; 2 : 167-170. 2- V. Chaudier-Delage. En direct de la 12e Journée annuelle du Geres. Paris - 29 mars 2001. Résultats de l'enquête Geres sur le risque AES des infirmières des services de médecine et réanimation. Hygiènes 2001. 3- A. Tarantola, F. Golliot, P. Astagneau, G. Brücker, E. Bouvet. Pour les correspondants du réseau AES C-Clin Paris-Nord. Résultats de la surveillance 1995-1998 des AES sur le réseau C-Clin Paris-Nord. Le Bulletin du C-Clin Paris-Nord 2001. 4- Circulaire DGS/DH - N° 98/249 du 20 avril 1998 relative à la prévention de la transmission d'agents infectieux véhiculés par le sang ou les liquides biologiques lors des soins dans les établissements de santé. 5- Guide Geres des matériels de sécurité. Édition 1999-2000. Publication du ministère de l'Emploi et de la Solidarité.

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