Identité : en avoir ou pas - L'Infirmière Magazine n° 173 du 01/07/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 173 du 01/07/2002

 

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Le 24 mai, se tenait la 57e assemblée générale du Comité d'entente des formations infirmières et cadres, pour la première fois à Lyon. Nouveau décor et édifice ambitieux pour ces bâtisseurs infirmiers : la construction d'une identité professionnelle.

L'identité est une notion à laquelle nous faisons appel constamment et pourtant, il est peu de concept dont les rouages de constitution soient plus complexes. Dans une société où chacun a désormais besoin de se situer individuellement avant de se définir dans la collectivité, il convient de revoir les modes d'identification qui feront des étudiants d'aujourd'hui des professionnels à l'identité suffisamment installée pour permettre la mise en place de processus de soins profitable à tous.

Puzzle.

C'est le thème sur lequel le Cefiec a choisi de faire travailler ses ouailles cette année. Monique Leroux, directrice de l'Ifsi Croix-Rouge de Valence s'attaque la première à ce point crucial devant une salle comble et attentive. Cette identité évoquée par Monique Leroux, garante de la suite de la pratique de l'infirmière, doit se construire de manière variable puisque chacun se bâtit à partir d'éléments disparates, personnels et culturels. Ainsi, Monique Leroux commence par décrire ce qu'elle appelle « le terreau ». Cette expression imagée désigne la culture, l'image de la profession. Témoins, les slogans des premières manifestations (« Ni nonne, ni bonne, ni conne ! ») ont prouvé à quel point l'histoire des infirmières est encore empreinte des siècles passés. « Tout ce patrimoine, qu'on le veuille ou non, est inscrit en nous comme une généalogie. »

Le second point déterminant de la construction de l'identité qu'elle décrit est l'institut de formation. S'y ajoutent le sujet (l'étudiant) et la finalité professionnelle. Il va sans dire que chacun de ces rouages possède sa logique propre, sa complexité, ses incohérences parfois. Quant à l'étudiant, il arrive à l'Ifsi avec sa propre expérience. « Une vie singulière », insiste-t-elle. En tant que directrice d'Ifsi, Monique Leroux doit donc combiner les différents éléments de ce puzzle identitaire pour aider chaque jeune étudiant à en faire un tout cohérent, et donner ainsi naissance à sa propre identité professionnelle.

C'est grâce au chemin parcouru durant les trois ans de formation en alternance et à la rencontre consciente de ces forces apparemment disparates que l'étudiante deviendra une infirmière. Néanmoins, cette identité nouvellement acquise ne doit surtout pas rester figée. « C'est un mouvement », conclut notre directrice. Ce qui sera donc initié durant les années de formation n'est alors finalement que le point de départ d'une réflexion, d'une dynamique qui doit habiter l'infirmière tout au long de sa vie professionnelle ; un mouvement qui sera le précurseur indispensable du respect de l'identité propre du patient.

Un privilège.

C'est, malgré sa pratique universitaire, sous un angle très pratique que Pierre Dominicé, professeur de sciences de l'éducation à l'université de Genève, est intervenu par la suite sur ce même thème. Pour lui, le seul fait que l'on puisse parler de l'identité des infirmières est un « privilège ». Des années de recherche et d'expérimentation lui ont en effet montré que l'existence même de cette notion atteste d'une exigence professionnelle au-dessus de la moyenne ; une sorte de tradition d'excellence. S'il admet volontiers que les conditions de travail actuelles réduisent notablement l'appréhension des valeurs de cette activité professionnelle pas comme les autres, il n'en insiste pas moins sur ses caractéristiques qui en font un métier à part. « Dans un univers professionnel caractérisé souvent par l'anonymat, la rentabilité et la rivalité, la possibilité de s'interroger sur l'identité professionnelle demeure un privilège qu'il importe de préserver. » La théorie de Pierre Dominicé, certes teintée de romantisme, ne peut que faire écho. D'ailleurs, il ne s'arrête pas à cette constatation, loin s'en faut.

Quête permanente.

Ainsi, parmi toutes les pistes de réflexion qu'il évoque, l'expérimentation qu'il a eu à organiser avec un groupe d'infirmières sur leur aptitude à raconter leur pratique, à rédiger, à formaliser, en dit long sur certains des blocages qui habitent encore trop souvent cette profession : les infirmières ont dû avoir recours à des lettres plus ou moins informelles pour se lancer et poser leurs compétences sur papier. Or, « ces savoirs soignants ne vont jamais de soi. Il faut les construire pour être en mesure d'y avoir recours », observe Pierre Dominicé. Pour lui comme pour Monique Leroux, l'identité est une quête permanente. Selon une logique qui semble amener l'auditoire du plus pragmatique vers le plus théorique, c'est un chercheur politologue qui succède à Pierre Dominicé sur la scène de cet espace Tête d'or de Lyon. Paul Ariès s'est penché sur les liens unissant la formation et l'avenir de la profession d'infirmière. Dans la même logique de formalisation écrite que son prédécesseur, il a insisté sur l'importance du mémoire de fin d'études qu'il considère comme un excellent instrument de formation.

« Ado-adultes ».

D'autre part, il a abordé la nécessité de « réinsérer l'acte soignant dans son contexte culturel actuel et de lui rendre sa dimension symbolique ». À une époque très marquée par ceux qu'il qualifie « d'ado-adultes », le chercheur préconise la valeur de la transmission du savoir pour permettre de combattre le « régressif ». L'effacement du « moi » par surabondance de « moi » risque en effet de donner l'illusion d'une toute puissance peu favorable à l'exercice profitable d'un métier comme celui d'infirmière. C'est à une autre directrice d'Ifsi que reviendra le devoir de fermer la marche de ce 57e congrès du Cefiec. Marie-Thérèse Weber (directrice de l'Ifsi Esquirol à Lyon) soulignera la nécessité de l'élaboration de la pensée, du passage à l'écriture et de la recherche propre des infirmières. En somme, pour elle, la voie de la reconnaissance de la formation passe d'abord par celle de la profession, même si elle admet être parallèlement favorable à la création d'un troisième cycle en soins.

Manifestement en phase avec les bouleversements de la société et les répercussions qu'ils ont sur la profession, les responsables du Cefiec ont permis le 24 mai dernier à un auditoire nombreux d'approfondir encore un peu les arguments qui sont à la base des grands enjeux actuels. Il leur reste après cela 364 jours pour passer de la théorie à la pratique.

Le Cefiec, c'est quoi ?

→ Créé en 1949, l'ancêtre du Cefiec émanait de la volonté des directrices d'écoles d'infirmières de se regrouper pour constituer un «comité d'entente». Ce n'est que dix ans après que le comité s'ouvre aux enseignants avec l'entrée de deux monitrices au conseil d'administration.

→ En 1969, les directrices et les monitrices sont représentées à égalité.

→ 1992 : ouverture aux centres de formation ISP. C'est aussi l'année de la fusion des diplômes d'infirmière et d'infirmière psychiatrique.

→ En 1994, les écoles deviennent des instituts et le Ceeiec (Comité d'entente des écoles d'infirmières et des écoles de cadres) devient Cefiec (Comité d'entente des formations infirmières et cadres).

→ Actuellement, regroupant les formateurs, mais aussi les formateurs de formateurs, le Cefiec est représentatif de la quasi-totalité des Ifsi et écoles de cadres infirmiers de France. La seule exception est constituée par les Ifsi de l'AP-HP mais le Cefiec travaille néanmoins en collaboration étroite avec leur représentant.

→ Depuis deux ans, le Cefiec a lancé un groupe de réflexion sur la première année commune des professions de santé.

→ Chaque année, le Cefiec publie des annales des concours d'admission et diplômes d'État.

3 Questions à Martine Perrasse, présidente du Cefiec

Quel est l'événement qui a le plus occupé les esprits lors de cette 57e assemblée générale ?

Il s'agit sans conteste de la restructuration des études d'infirmières avec la création d'une première année d'études commune aux professions de santé qui réunirait les futurs professionnels médicaux et paramédicaux.

Êtes-vous favorable à cette réorganisation ?

Elle permettrait de créer une culture commune aux professions de santé. L'ensemble des intervenants se connaissant mieux seraient plus à même de créer des synergies de soin efficaces par la suite.

Ne craignez-vous pas que les infirmières y perdent un peu de leur culture propre ?

Il ne s'agit surtout pas de remettre en cause l'identité des infirmières qui continueront à faire des études clairement identifiées et à recevoir une formation prodiguée par leurs pairs.

Changer la première année, c'est aussi restructurer le reste...

L'étude que nous avons menée nous amène à conclure qu'une adaptation aux rythmes universitaires est souhaitable. La réflexion actuelle est en effet porteuse de bouleversements profonds pour tous.

De quels moyens disposez-vous pour intervenir dans ces choix fondamentaux ?

En tant que présidente du Cefiec, je fais partie de la commission pédagogique nationale de la première année des études de santé.