La formation continue, voie royale ou chemin creux ? - L'Infirmière Magazine n° 173 du 01/07/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 173 du 01/07/2002

 

Enquête

• La formation continue peut se révéler être un tremplin professionnel • Pour en bénéficier, il faut être motivé et compter sur l'appui de sa hiérarchie • Bien choisie, elle permet de se perfectionner et de remettre en question sa pratique professionnelle.

• Sophie Cachin, infirmière psychiatrique en foyer post-cure, a été diplômée en 1988. Peu de temps après, elle entreprend une formation vidéo, sur trois ans. Le but : apprendre les techniques de l'image pour les appliquer ensuite au travail avec des groupes de malades mentaux. Elle estime qu'elle n'aurait plus la chance aujourd'hui de pouvoir suivre ce genre de formation, les possibilités offertes étant beaucoup plus réduites. « La formation était poussée, tant au niveau technique que sur le plan de l'utilisation thérapeutique. J'ai aussi pu mettre en pratique rapidement à l'issue du cursus. On m'a donné le temps et le matériel. Quand j'ai changé de poste, j'ai voulu mettre à nouveau mon savoir-faire en pratique et là se posait un problème de matériel... Depuis, j'ai complètement laissé tomber : cela m'intéresse encore, mais je manque d'énergie... » Récemment, Sophie a entrepris une formation de langue des signes. Au bout d'une année, elle a dû s'interrompre car son établissement, l'hôpital Sainte-Anne (Paris) ayant créé un pôle pour les malades sourds et muets, a donné des priorités au personnel dédié à ce service. Sophie, elle, n'avait pas envie de quitter le sien.

Peu de temps.

Cet exemple illustre le peu de temps consacré dans les services à une réflexion sur l'organisation de la formation continue. « À l'heure actuelle, on ne parle pas de politique de formation, commente Frédérique, cadre infirmier en secteur psychiatrique. On vous fait choisir dans un catalogue sans analyse des besoins, sans réflexion sur le retour dans le service... Tant que ce départ n'est pas travaillé, au niveau individuel et du groupe, la formation continue n'est pas digne de ce nom ! » Dans le service de Frédérique, une vraie politique de formation continue s'est mise en place après un travail de deux ans, grâce à la volonté du cadre infirmier supérieur. Ce dernier estime qu'il n'y a pas d'évolution possible dans un service sans formation. Une partie du temps de Frédérique est consacrée à l'organisation des formations. « Tout le monde a la possibilité d'en demander. On essaie plutôt de stimuler ceux qui n'en demandent pas du tout et de restreindre ceux qui en demandent beaucoup. Et aussi d'expliquer aux 80 personnes du service la différence entre une formation professionnelle et continue, pourquoi on y part, ce qu'on va en faire... De même, il est important de ménager un espace pour évaluer la formation et voir dans quel domaine les personnes se projetteraient si elles avaient une autre possibilité de fonction. » Améliorer ses connaissances, prendre du recul sur sa pratique, mais aussi faire une pause, rencontrer d'autres infirmières travaillant sur d'autres structures...

« Si on n'avance pas, on s'enlise, estime Claude Barbaray, 50 ans, Iade à l'hôpital Foch, surveillante générale et infirmière depuis 28 ans. Les infirmières connaissent les possibilités d'évolution mais ne sont pas toujours prêtes à un investissement personnel. Cela dépend beaucoup de leur niveau scolaire avant le diplôme. Celles qui ont des bacs généraux de bon niveau sont plus aguerries et ont moins peur de ce qui les attend en reprenant un cursus... Cela se ressent moins dans les formations techniques comme celles d'anesthésistes, et encore... »

Parcours exemplaire que celui de Claude Barbaray : peu de temps après son diplôme, elle a suivi une formation d'infirmière anesthésiste. Elle a ensuite réussi le concours de l'école des cadres puis rempilé pour une maîtrise de gestion à Paris-Dauphine. « J'ai toujours eu de bonnes relations avec mes supérieurs hiérarchiques et la direction des ressources humaines. Dès que j'avais un projet, j'en faisais part à mes employeurs, lesquels avaient le temps d'anticiper. Mais il a toujours fallu deux ou trois ans pour l'obtenir. » L'exemple de Claude Barbaray témoigne d'une bonne préparation du départ et du retour dans le service. La formation de cadre a fait suite à une proposition de poste vacant dans le service. Claude Barbaray l'a accepté à condition d'être formée. « J'avais trop d'exemples de gens nommés à l'ancienneté et pour lesquels la transition n'était pas réussie... Je voulais prendre du recul, acquérir des méthodes, et comme c'était un service où j'avais travaillé comme infirmière, je me disais que, pour y avoir une légitimité, il fallait que je m'en donne les moyens. » Chaque retour de formation a été accompagné de postes différents. « À la fin de ma MST gestion, on m'a chargée de mission à la DRH pour la gestion des 35 heures dans tout l'établissement. J'avais - et j'ai toujours - un mi-temps à la DRH et un mi-temps sur les soins. J'ai un rôle d'encadrement et de gestion de projet. Un parcours assez atypique pour une infirmière. La meilleure preuve en est la méconnaissance de leur évolution dans les conventions collectives. J'ai suivi une formation très complète mais n'ai pas du tout été augmentée... »

Retour difficile.

Retour moins heureux parfois, notamment pour les non-cadres. Marie-Monique Sisqué est infirmière depuis 1980, et depuis 20 ans en cancérologie à l'hôpital Saint-Antoine (Paris). Elle a suivi des formations sida, un cursus de deux ans sur l'enrichissement de soins infirmiers et obtenu en 1997 le diplôme universitaire (DU) douleur. Elle est actuellement à mi-cycle du DU soins palliatifs. Ces formations denses demandent un travail personnel important. Elle en est sortie très satisfaite et ses interrogations levées. « J'ai entrepris le DU parce que la prise en charge de la douleur était mal faite et que ça me posait problème de ne pas bien savoir la traiter. J'ai pu ensuite répondre plus facilement aux attentes des malades, faire partager ces acquis à l'ensemble du personnel et mettre en place des outils communs. »

Mais le retour ne s'est pas pour autant opéré en douceur. « Je devenais la première référente douleur dans le service, après une année de cours et une année passée au centre antidouleur. En revenant, j'ai perçu une sorte de jalousie chez mes pairs, comme si elles n'acceptaient pas de "recevoir de leçons". J'étais presque obligée de me justifier tant les sous-entendus pesaient. "Les cours sont ouverts à tous, vous aussi, vous pouvez les suivre ! Ce n'est pas un diplôme qu'on m'a donné facilement !" Peut-être est-ce dû au fait que rares sont les infirmières qui entreprennent des formations diplômantes. La plupart en suivent de plus courtes, donc la reconnaissance est moins grande... Je n'étais pas davantage soutenue par la surveillante générale qui laissait faire les choses. En revanche, j'avais la reconnaissance complète du chef de service. J'ai subi sans trop rien dire, puis le personnel s'est renouvelé. »

Perspective.

La pression s'est relâchée notamment quand Catherine Bernard, infirmière dans le même service, est revenue avec le même diplôme. Son retour à elle n'a pas été si douloureux. « Bien sûr, parfois, j'entends quelques réflexions : "Toi avec ta douleur et ton palliatif, tu commences à nous fatiguer !" Les organisations de service prennent parfois le pas sur ces considérations, mais dans d'autres services, où médecins et professeurs ne sont pas sensibles au sujet, c'est carrément difficile. »

Les sept référentes douleur de l'hôpital se réunissent de temps à autre dans l'année et échangent sur leurs expériences, conscientes cependant des limites de l'application de leur savoir-faire.

« Je n'ai pas abordé cette formation en m'imaginant que j'allais révolutionner mon service, note Catherine Bernard. Confortée par les expériences de mes collègues, je savais que c'était un travail de longue haleine. Avec deux ans de recul, j'en suis encore au point de répondre ponctuellement aux questions de mes collègues sur une difficulté de rotation des antalgiques par exemple. »

Mais dans sa pratique, la formation lui a permis de remettre les choses en perspective. « Avant, en matière de douleur et soins palliatifs, je me référais à l'avis des médecins alors que ces thèmes n'étaient pas abordés dans leur cursus. Surtout, quand ce sont des "premiers semestres" qui débarquent et assistent à leurs premiers décès...

Lors du DU, nous pratiquions des jeux de rôles, en nous plaçant par exemple dans la peau d'un médecin chargé de l'annonce d'une mauvaise nouvelle à une famille. En le faisant, je me suis sentie dans mes petits souliers... Cela permet de relativiser, de comprendre que le rôle de l'autre - du médecin - n'est pas évident. De la même façon, nous avons joué des moments où nous sommes débordées alors que les familles arrivent... Cela nous a beaucoup aidés et nous a remis les idées en place. »

Les formations actions

Dynamisantes pour les équipes, les actions de soins spécifiques sont décidées après une évaluation des besoins. « Il s'agit d'évaluer les liens entre le personnel et le soin, note Frédérique, cadre infirmier en santé mentale. Dans notre service, on a identifié un manque concernant l'entretien infirmier. Certains, fraîchement diplômés, n'ont aucune formation en la matière. Dès leur arrivée, on leur demande des entretiens d'accueil quand ils n'ont même pas la notion qu'il existe cinq ou six entretiens différents... D'autres les pratiquent depuis des années par expérience mais manquent de connaissances théoriques... » Problème : on ne peut pas chaque année libérer 40 personnes pour une formation. Il faut demander à la direction un accord pour une formation action. « Ce qui correspond d'ailleurs bien à ce thème, car on ne peut prétendre partir en formation cinq jours, apprendre les différents entretiens et savoir les faire... La pratique est nécessaire. »

Tout le personnel du service s'y rend par petits groupes, régulièrement sur toute une année.

TÉMOIGNAGE

« Un vrai ressourcement »

Marie-Joseph Asnoun est cadre infirmier, responsable d'une unité gérontologique au CH général de Lagny-Marne-la-Vallée depuis 1990. En 1996, elle obtient un DU de gérontologie à Bobigny, auquel elle a consacré trois jours par mois sur une année.

« Je souhaitais approfondir et réactualiser mon savoir. Mais c'est sur le terrain et non lors de ce DU que j'ai appris le plus. Les cours dispensés m'ont permis de vérifier que, dans notre service, on travaillait dans le bon sens. Mais sur certaines problématiques, je suis un peu "restée sur ma faim", notamment en ce qui concerne la prise en charge des personnes âgées démentes. Le DU parle beaucoup des pathologies des personnes âgées, des traitements adaptés... mais sur la démence, rien de précis. » Depuis trois ans, le service de formation permanente de l'hôpital organise des formations pour le personnel sur la démence des personnes âgées. « C'était un tel besoin qu'à force de la répéter, la demande a été entendue. » La formation s'étale sur cinq jours, tous personnels confondus. Elle est dispensée par un organisme externe. Il s'agit d'un apport théorique, de suivi de discussions sur l'expérience et le vécu des soignants. « Cela permet aux soignants d'exprimer leurs ressentis, un vrai ressourcement. Quand ils reviennent, même s'ils sont repris par la routine, des choses imperceptibles mais importantes, se mettent en place. Ne plus tutoyer les personnes, ne plus s'énerver quand on vous pose dix fois la même question, se rendre compte de ce qu'étaient les personnes avant peut offrir aux soignants un savoir-faire adapté. » Reste que les effectifs étant de quatre pour quarante patients, difficile d'appliquer ensuite ce que l'on apprend en formation !