À l'écoute de la jeunesse en détresse - L'Infirmière Magazine n° 174 du 01/09/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 174 du 01/09/2002

 

Enquête

- Mineurs en danger et jeunes délinquants sont confiés chaque année à la PJJ - Les infirmières participent à la politique sanitaire de cette structure, en symbiose avec les autres professionnels - La PJJ du Nord connaît l'une des plus fortes activités hexagonales.

Minoritaires, les 60 infirmiers et infirmières de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) n'en constituent pas moins un pôle indispensable au sein d'une administration centrée sur l'action éducative et l'insertion des jeunes qui lui sont confiés. Ils n'étaient que 35 en 1999. Actuellement, 74 postes infirmiers sont budgétés par la PJJ qui poursuit donc sa campagne de recrutement. On est donc encore loin de l'objectif « un infirmier par département » que s'est fixé la PJJ. Mais la définition récente de ses objectifs en matière de santé expliquent que la politique sanitaire de la PJJ en soit encore à un stade de développement. Tandis que l'accueil des jeunes en danger et des mineurs délinquants a été complètement révisé en faveur des foyers (au détriment des internats) et du développement de l'aide éducative en milieu ouvert (dans les familles), « la santé a toujours été une préoccupation », souligne Laurent Goislard, infirmier au pôle santé de la direction de la PJJ. Mais le cadrage officiel de la politique sanitaire de la PJJ dans son nouveau paysage institutionnel est récent puisqu'il date d'octobre 1999. Le médecin inspecteur de santé publique fraîchement recruté par la PJJ, le Dr Jean-Yves Fatras, a proposé alors un cadre d'intervention en santé. Il prévoit la participation de la PJJ aux politiques publiques de santé, l'intégration de la santé au travail éducatif et le développement du travail clinique, le tout se déclinant aux niveaux régional et départemental.

Action éducative

Dans ce cadre, les infirmières « ont un rôle d'interface entre les services éducatifs et les dispositifs et stratégies de santé déployés sur les territoires », précise Laurent Goislard. Elles représentent ainsi l'institution et les problématiques de ses jeunes dans les programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins (Praps), les PRS santé des jeunes, les actions de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) et tous les réseaux locaux, départementaux ou régionaux de santé et de prévention. Les infirmières sont aussi des personnes-ressources au sein de l'institution sur la dimension santé. Par conséquent, « la dimension d'intervention individuelle de l'infirmière à la PJJ existe mais elle reste réduite », indique l'infirmier du pôle santé. Au regard des directives officielles, précise-t-il, « les infirmières ne sont pas là pour prendre en charge toute la santé du jeune mais pour participer à un exercice pluridisciplinaire, avec l'ensemble des autres professionnels, éducateurs, directeurs, veilleurs de nuit, cuisiniers, etc. » Sur le terrain, la situation varie fortement d'un département à l'autre. Avec près de 6 000 mesures(1) confiées à la PJJ (sur environ 97 700 en France), la PJJ du Nord connaît l'une des plus fortes activités départementales. Ce qui n'est pas très étonnant pour le département le plus jeune de France et qui ne compte pas moins de 2,5 millions d'habitants. Cela explique notamment que quatre infirmiers y travaillent : Marie-Paule Denry, Nadine Dehoucke, Marie-Claire Lamérant et Gérard Mortelette sont issus de l'aide sociale à l'enfance, de la santé pénitentiaire ou des milieux du soins, à l'hôpital ou en maison de retraite.

Une ressource pour les éducateurs

Ils sont arrivés à la PJJ à l'issue d'une réflexion personnelle sur leurs aspirations professionnelles. Chacun d'eux sillonne toute la semaine la zone géographique qu'il a en charge et tous se retrouvent une fois par semaine pour faire le point. « Nous sommes arrivés sur notre poste avec la mission de nous occuper des jeunes placés dans les structures et de travailler avec les équipes éducatives », résume Marie-Paule. Des jeunes très fragiles. Au gré de leur présence dans les structures, ils les rencontrent, qu'ils soient hébergés en foyer, accueillis en centre de jour ou bénéficiaires d'une mesure d'aide éducative en milieu ouvert (AEMO). L'arrivée des infirmières dans les structures de la PJJ « a créé un besoin, se souvient Nadine Dehoucke. Nous étions très attendus. Mais c'est à double tranchant : tout ce qui était médical était confié à l'infirmière. » S'il n'est pas question pour eux de prendre en charge tous les problèmes médicaux des jeunes de la PJJ, ils se font fort de conserver un contact avec les adolescents. Tout d'abord lors de leur arrivée dans l'institution : quand il arrive, le jeune est reçu par le directeur et ensuite, de plus en plus, par l'infirmière en charge de la structure. Mais elle reçoit aussi des jeunes à leur demande ou à celle des éducateurs qui lui signalent, lors des réunions d'équipe, si l'un ou l'autre présente des problèmes. De même pour les jeunes suivis en AEMO. Comme l'a confirmé l'enquête Inserm de Marie Choquet (1998) sur « Les adolescents de la PJJ et leur santé », les jeunes confiés à la PJJ (à 78 % des garçons) consomment plus que les autres de l'alcool, du tabac et des drogues. Ils sont également davantage concernés par la violence, qu'ils en soient victimes ou auteurs. Les jeunes de la PJJ sont aussi plus actifs sexuellement que la moyenne des adolescents. Enfin, ils souffrent plus fréquemment que les autres de troubles dépressifs, et ils font plus souvent des tentatives de suicide. « Mais avant tout, rappelle Marie-Paule Denry, ils ont des capacités à être et à devenir. » Ils n'ont pas non plus toujours conscience de leurs problèmes de santé et refusent souvent de se faire soigner : « Je suis pas malade », disent-ils souvent avant de se confier volontiers aux infirmières. Ils savent que ces professionnelles ne sont pas directement impliquées dans leur histoire avec la justice et qu'elles protégeront leur « jardin secret » autant que possible... Parfois, l'infirmière doit effectuer un long travail de persuasion pour inciter un jeune à aller consulter un spécialiste (ophtalmologiste, gynécologue ou dentiste) et même les accompagner pour les rassurer... « Mais les placements en centre de placement immédiat ne durent que trois mois, nous sommes obligés de faire très vite », souligne Gérard Mortelette.

Rester sur le terrain

Les infirmières travaillent par ailleurs en étroite collaboration avec les équipes éducatives : « Nous participons pratiquement à presque toutes les réunions hebdomadaires (des structures), note Marie-Claire Lamérant. Nous sommes très souvent sollicitées. » Elles ont ainsi leur mot de soignant à dire sur la position à tenir vis-à-vis d'une jeune fille enceinte qui veut mener sa grossesse à terme, ou plus simplement sur le refus d'un gamin d'aller en classe, sous prétexte qu'il se « sent mal ». Face aux problèmes d'hygiène ou d'alimentation, elles encouragent aussi les éducateurs (les veilleurs de nuit, les cuisiniers ou les ouvriers) dans leur rôle de promotion de la santé auprès des jeunes.

La santé publique occupe aussi une grande place dans la pratique des infirmières de la PJJ. « Nous menons tous un travail de partenariat, ne serait-ce que pour le suivi médical des jeunes, souligne Marie-Claire Lamérant. Il n'est pas toujours facile de faire comprendre les problématiques santé des jeunes placés à la PJJ. » Les rendez-vous manqués chez le médecin sont nombreux... L'équipe infirmière travaille aussi avec les services de prévention santé du conseil général et s'y rend avec des jeunes. Chaque fois qu'ils le peuvent, les soignants participent aussi aux travaux du PRS santé des jeunes, à ceux de sa déclinaison locale ainsi qu'au plan territorial de santé sur les conduites de consommation à risques. Histoire de mieux faire connaître les adolescents de la PJJ et les ressources sanitaires qui peuvent être utiles aux jeunes et aux équipes éducatives. Ils animent également une commission santé départementale avec leur conseillère technique.

Engagés dans toutes ces démarches, les infirmiers du Nord craignent cependant que la politique sanitaire de la PJJ au plan national ne les éloigne peu à peu du contact direct avec les jeunes au profit d'un engagement plus axé sur la santé publique. « Il ne faut pas se déconnecter du terrain », proteste Gérard Mortelette. « Sinon, quelle valeur aura notre parole ? Comment peut-on intégrer la santé au travail éducatif à partir d'un bureau ? », interroge Marie-Paule Denry, qui souligne l'absence de formation des infirmières aux problématiques de santé publique. Et de plaider pour une répartition des rôles entre une infirmière dédiée à ces sujets et d'autres sur le terrain...

1- Il s'agit des mesures décidées par le juge des enfants à la suite d'actes de délinquance ou parce que le jeune est confronté à un danger dans son milieu. Leur mise en oeuvre est confiée à la PJJ (ici, le secteur public). Un même jeune peut faire l'objet de plusieurs mesures.

TÉMOIGNAGE

« Notre présence n'est pas un luxe »

Après deux ans en gériatrie, Marie-Paule Denry, infirmière, est intégrée à la PJJ du Nord. Enthousiasmée par l'aspect relationnel de sa fonction, elle défend avant tout le travail sur le terrain.

« Après mes études, j'ai trouvé un poste au centre anticancéreux Oscar-Lambret de Lille, puis dans une maison de retraite et dans une clinique, en salle de réveil, pendant très peu de temps. Après avoir travaillé deux ans en gériatrie au centre hospitalier de Roubaix, j'ai passé le concours de la PJJ et j'ai été reçue première ! J'étais ravie de travailler avec des jeunes, de pouvoir développer la prévention et l'écoute dont j'étais frustrée à l'hôpital. J'étais seule sur le département, on me laissait une grande liberté d'action et j'avais beaucoup d'idées !

Et puis les jeunes sont très attachants. C'est vrai, certains sont violents ou l'ont été. Il faut savoir prendre du recul et en même temps toujours garder à l'esprit que ces enfants, en danger ou délinquants, ont d'abord été des victimes. Ces jeunes ont leur vécu mais aussi un avenir et n'ont pas toujours conscience de leurs capacités. C'est cela qu'on construit avec les équipes éducatives. Mais depuis deux ans, on nous demande de nous détacher du terrain, de représenter la PJJ dans les instances de la santé. Je ne suis pas contre mais je n'ai pas l'impression de ne l'avoir jamais fait. C'est vrai, on ne peut pas tout faire mais c'est difficile pour les jeunes, par exemple, de prendre un rendez-vous chez le médecin, d'y aller seuls et de suivre un traitement. Notre présence auprès d'eux, ce n'est pas un luxe. »

La PJJ recrute

Tolérance, écoute, patience, solidité, curiosité, disponibilité, autonomie et optimisme : les infirmiers du Nord résument ainsi les qualités qu'exige leur poste. La Protection judiciaire de la jeunesse recrute cette année des infirmières par détachement(1). Les candidates doivent se préparer à travailler d'une manière assez isolée (elles sont souvent seules pour leur département) et auprès d'adolescents en difficulté, ce qui peut être déroutant. Lorsqu'elles sont admises, les infirmières suivent une formation spécifique comprenant une série de stages dans des structures en rapport avec les jeunes accueillis : prison, tribunal, centre de soins pour toxicomanes, etc.

Celles qui exercent aujourd'hui à la PJJ possèdent souvent déjà une certaine expérience. Elles ont entre 30 et 45 ans.

1- Contacter les conseillers techniques des directions régionales de la PJJ ou la direction de la PJJ. Bureau des méthodes de l'action éducative (K1), Laurent Goislard, 251, rue Saint-Honoré, 75001 Paris.

Vrai/Faux

-> Les infirmières rencontrent tous les jeunes confiés à la PJJ

FAUX - Selon les départements, elles s'efforcent de rencontrer les mineurs lorsqu'ils sont confiés à des centres d'hébergement ou d'accueil de jour pour faire le point sur leur santé. Mais elles ne peuvent pas rencontrer tous les jeunes, très nombreux, faisant l'objet d'une mesure d'aide éducative en milieu ouvert.

-> Les infirmières ne disposent pas du même statut que celles du secteur hospitalier

VRAI - Agents de catégorie B +, les infirmières de la PJJ ne bénéficient pas du même statut que leurs collègues hospitalières. La valeur de leur point indice est inférieure et il leur faut travailler sept ans au sein de l'institution avant de pouvoir s'inscrire au tableau d'avancement de la classe supérieure. La validation des services antérieurs est également moins favorable.

-> Les jeunes de la PJJ sont surtout des mineurs délinquants

FAUX - Les juges des enfants confient à la PJJ des mineurs en danger, et des jeunes délinquants. Les premiers sont essentiellement pris en charge par le secteur associatif habilité par la PJJ (environ 105 500 mesures au 31 décembre 1999). Les infirmières de la PJJ ne les rencontrent donc pas. Les seconds (88 640 mesures en 2000) sont pris en charge par le secteur public de la PJJ (hébergement, accueil de jour, AEMO ou auprès des tribunaux).

-> Toutes les infirmières de la PJJ ont une expérience en santé publique

FAUX - Mais la fibre « santé publique » est un atout pour les candidates. Une fois titulaires, les infirmières peuvent participer à des formations dans ce domaine.