L'éthique mise en pratique (soignante) - L'Infirmière Magazine n° 174 du 01/09/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 174 du 01/09/2002

 

Formation

Trop souvent considérée comme le domaine réservé du médecin, l'éthique concerne tout autant l'infirmière. Enseignée à l'université ou lors de sessions dans les établissements, elle contribue au respect des droits fondamentaux des patients.

Souvent confondue avec le droit et la morale, l'éthique n'est ni une science, ni une technique, ni un système de règles institutionnelles. Elle a traversé les époques en intériorisant leurs codes et leurs moeurs ainsi que les fondements de la vie en société, mais s'est progressivement démarquée de ces normes pour devenir « l'objet d'un savoir sur ce que l'on doit faire », savoir pris au sens d'Emmanuel Lévinas, c'est-à-dire capacité à recevoir une révélation... et à se mettre en question.

Morale et pratique médicale.

Depuis l'Antiquité, la pratique médicale a été régie par des règles précises et codifiées. Ainsi, le code d'Hammourabi, le serment d'Hippocrate, la structuration de la déontologie médicale en 1825, illustrent les liens étroits entre la pratique médicale et la décision morale. Les événements de la fin du XIXe siècle et du début du XXe ont accéléré le développement de l'éthique. Ainsi, Henri Dunant fait adopter en 1864 à Genève une convention pour l'amélioration du sort des militaires blessés et le respect de la dignité humaine. Avec la promulgation du code de Nuremberg en 1948, suite aux atrocités nazies, l'éthique s'établit définitivement comme une démarche réflexive dont les postulats sont les limites acceptables aux expériences humaines.

Lors du premier congrès international de morale médicale, organisé en 1955 à Paris par le professeur Robert Debray, les débats concernent déjà les limites éthiques de l'action médicale. La recommandation principale est alors de laisser le médecin déterminer dans sa propre conscience des limites à ses actes, reprenant ainsi le message apostolique de Paul de Tarse : « Tout m'est permis, mais tout ne me convient pas. » Avec la création en France du Comité consultatif national d'éthique, par décret du 23 février 1983, les problèmes moraux posés par la recherche médicale et l'évolution rapide des techniques biomédicales trouvent leur nécessaire instance de réflexion. Les principes éthiques sont alors repensés dans une perspective scientifique.

Science et conscience

Les débats sur la bioéthique, terme désignant l'ensemble des champs de la réflexion portant sur la médecine et la biologie, proposé en 1971 par Van Rensselaer Potter, foisonnent alors et impliquent non seulement les chercheurs ou les médecins mais tous les professionnels de la santé, dont les infirmières, tous soucieux de ne jamais voir la science dépasser la conscience. Ces interrogations sont encore très actuelles : la procréatique, l'expérimentation sur l'homme, les interventions sur le vieillir et le mourir, les manipulations de la personnalité et le clonage, sont autant de domaines où le changement et les perfectionnements technologiques rencontrent le social et l'humain. Ce qui inspire de justes craintes au soignant, effrayé à l'idée de n'être perçu qu'en tant que partenaire scientifique, exécutant des techniques médicales de pointe. L'éthique clinique, proche du quotidien des soins, est plus connue des infirmières. Elle conserve une place au sujet-patient dans ce qui le définit : sa singularité. En 1993, l'élaboration de règles professionnelles pour la pratique infirmière les a confortées dans ce rôle et dans une démarche éthique autonome. Leur lutte quotidienne pour le respect des droits fondamentaux des personnes prises en charge, leur combat contre le refus de l'autre, principe de non-éthique selon Jean Baudrillard, sont souvent compromis par les enjeux économiques qui tentent d'imposer aux soins et aux activités hospitalières la logique du marché. A contrario, certains professionnels se plaignent de voir l'éthique leur échapper en restant réservée aux champs scientifique et médical. Selon Danièle Moreau, enseignante à l'Ifsi de Versailles, qui a suivi la formation en éthique de la santé à l'université de Lille, « les médecins ont un peu le monopole de ces formations. L'avancée de la science les a toujours directement impliqués dans une démarche éthique : fin de vie, douleur... La prise de décision leur revient habituellement, c'est à eux qu'appartient le choix final. C'est peut-être la raison pour laquelle les infirmières ne sont pas assez impliquées dans une démarche éthique, aussi parce qu'elles agissent sur prescription médicale. Pourtant, il faut réfléchir ensemble, au bon moment. La réflexion éthique exige une démocratie, écouter l'autre, le respecter. » Dans cet environnement particulier, les formations à l'éthique se sont développées avec rapidité. Souvent proposées pour des médecins, des chercheurs ou des philosophes, elles se sont progressivement ouvertes à tous les soignants. La démarche, quels que soient les domaines d'intervention, consiste toujours à créer chez le sujet en formation, selon René Girard, « un mouvement intérieur qui le déplace en le conduisant vers l'autre », dans le but de l'aider à assumer sa responsabilité d'humain.

Trois axes de réflexion.

Les formations à l'éthique peuvent être classées selon trois grands axes de réflexion : la bioéthique ou éthique de la recherche (maladies génétiques transmissibles, embryons surnuméraires) ; l'éthique clinique, proche de l'éthique du sujet (personnes âgées, adolescents, sans-domicile fixe, personnes en détention) ; l'éthique de la santé et des pratiques médicales (dépistage VIH, soins palliatifs). Régulièrement construites autour d'un module d'introduction générale à l'éthique, elles précisent leurs champs de formation au cours des enseignements. La plupart permettent l'obtention d'un diplôme universitaire en fin de cursus. Des journées d'éthique offrent une alternative à ces formations. Organisées par les établissements hospitaliers ou des centres de réflexion à l'éthique, elles permettent de se sensibiliser aux problèmes posés par un axe de recherche. L'AP-HP, dans le cadre d'un partenariat entre l'espace éthique et l'Institut de formation des cadres de La Pitié- Salpêtrière, propose ainsi, chaque année, depuis 1996, les mardis de l'éthique. Philosophes, médecins et soignants peuvent s'y former et débattre des thèmes actuels.

Les journées nationales d'éthique permettent également de s'interroger sur les décisions morales face à l'avancée de la science. Comme le note Danièle Moreau, « la formation à l'éthique de la santé offre des pistes de réflexion qui permettent de faire des liens avec des dimensions philosophiques ou juridiques, développant ainsi une capacité à formaliser sa pratique infirmière, à la conceptualiser réellement à travers une réflexion, en ne se contentant pas de la raconter. Ce n'est pas une gymnastique facile. »

TÉMOIGNAGE

« Un regard plus nuancé... »

Michèle de Saint-Léger est cadre supérieur infirmier, formatrice à l'IFCS de La Pitié-Salpêtrière (Paris) et ergonome.

« J'ai fait partie de la première promotion en 95-96, du DESS d'éthique médicale et hospitalière. Nous étions un groupe de 20 participants (formateurs, directeurs d'hôpitaux...). Je n'avais jamais suivi de cours d'éthique, j'étais déjà ergonome, j'avais suivi cette formation en 77-78 à l'université Pierre-et-Marie-Curie. Cela m'avait donné une technique pour observer la vie au travail mais cette formation à l'éthique m'a appris une autre façon de regarder. Les professionnels étaient de très grande qualité, on faisait de la philosophie appliquée, on analysait des cas précis... Je porte maintenant un autre regard sur les autres, plus nuancé.

Cette formation m'a permis d'éclairer mon expérience professionnelle, de repenser aux situations difficiles vécues avec les patients, notamment en pédiatrie à Bretonneau. J'ai eu le plaisir de les découvrir autrement. Je conseillerais ces formations à tous les soignants, elles permettent de réfléchir avec plus de nuance à leur pratique. Après avoir suivi cette formation, je me suis demandé comment je faisais avant de l'avoir suivie ! »

Formations(1)

-> Diplôme universitaire éthique et pratiques médicales (Paris)

Professeur Hervé

Tél. : 01 40 61 56 52

-> DU éthique appliquée à la santé et aux soins

-> DESS éthique médicale et hospitalière (Paris)

Emmanuel Hirsch

Tél. : 01 44 84 17 57

-> Diplôme interuniversitaire d'éthique médicale Nancy-Strasbourg (Vandoeuvre-lès-Nancy)

Professeur Pierson

Tél. : 03 83 15 46 15

-> Diplôme d'université d'éthique médicale (Marseille)

Professeur Mattei

Tél. : 04 91 38 79 67

-> Diplôme universitaire éthique et pratiques médicales (Montpellier)

Professeur Fourcade

Tél. : 04 67 60 10 00

-> Éthique de la santé, droits de l'homme et morale (Paris)

Tél. : 01 49 28 26 39

-> Éthique et médecine en milieu carcéral (Paris)

Tél. : 01 44 27 58 50

-> Philosophie et éthique médicale (Lyon)

Professeur Czyba

Tél. : 04 67 60 10 47

-> Diplôme d'éthique (Paris)

Professeur Ferreri

Tél. : 01 40 46 17 18

-> Éthique publique, éthique-bioéthique (Paris)

Bernard Matray

Tél. : 01 44 39 75 00

-> Les mardis de l'éthique, IFCS La Pitié-Salpêtrière (Paris)

Michèle de Saint-Léger

Tél. : 01 42 16 08 00

-> Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (Paris)

Tél. : 01 44 42 48 52

1- Liste non exhaustive.