L'Europe sonde le mal infirmier - L'Infirmière Magazine n° 174 du 01/09/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 174 du 01/09/2002

 

Événement

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Début octobre, des soignants de huit pays de l'Union européenne seront invités à décrire, dans un questionnaire, leurs conditions de travail. L'occasion de produire une étude qualitative et quantitative de la profession. Et de savoir enfin pourquoi tant d'infirmières la quittent si vite...

« Envisagez-vous de finir votre carrière professionnelle dans ce métier ? » La question pourrait ressembler à une mauvaise plaisanterie après une journée, ou une nuit, de travail, durant laquelle se sont accumulés les problèmes techniques ou organisationnels, les prises de bec, la souffrance des patients... Et pourtant, 13 167 soignants français (cadres, IDE, aides-soignantes, ASH...) seront invités en octobre prochain à y répondre. Cette question fait partie des 121 posées dans le cadre de l'étude européenne Next (Nurses' Early Exit Study) ou Presst (Promouvoir en Europe santé et satisfaction des soignants au travail). Ce questionnaire est envoyé au domicile des soignants. Il constitue la première étape de l'étude, puisqu'une deuxième collecte d'informations est prévue un an après avec les mêmes soignants. L'étude Next s'applique aussi à sept autres pays de l'Union européenne : la Suède, l'Allemagne, la Belgique, la Finlande, l'Italie, les Pays-Bas, et le Royaume-Uni.

Pour la France, les 13 167 soignants appartiennent à 57 établissements sélectionnés selon des critères de taille, de secteur, de spécialités. Ainsi, l'échantillon contient des CHU, des cliniques, des hôpitaux locaux, des maisons de retraite, des centres d'accueil pour handicapés, des hôpitaux psychiatriques... Les objectifs de ce programme établi par des chercheurs européens (à l'initiative de la Suède et de l'Allemagne), et financé par la Direction de la recherche de la Commission européenne, sont précis.

Les raisons du malaise.

Premièrement, « identifier les causes de départ prématuré des personnels paramédicaux de l'hôpital ». On le sait, beaucoup d'infirmières franchissent le pas, reléguant définitivement leurs blouses au placard. Voir les faibles résultats du fameux plan de retour à l'emploi lancé en 2001 par six ARH... Et si la durée moyenne de carrière d'une infirmière n'est pas connue précisément en France, entre huit et treize ans pour certains, tout le monde s'accorde à dire qu'elle est trop brève. D'autant que la demande de soins est croissante du fait de l'évolution démographique ! Et ce constat s'applique à d'autres pays européens. L'équipe de médecins du travail et d'épidémiologistes européens se penche donc sur le malaise des soignants à l'hôpital, non seulement pour déterminer les causes, mais aussi pour proposer aux employeurs et aux institutions des solutions. Et pour cela, le soignant est ausculté sous toutes les coutures. « Les horaires, la charge physique, la complexité du travail, les relations avec les collègues et la hiérarchie, l'exposition à la violence, au stress, la situation familiale, les distances de déplacements... Notre champ d'investigation est très ouvert, afin de mener cette étude sans a priori sur les résultats, explique le docteur Madeleine Estryn-Behar, médecin du travail et responsable avec le professeur Jean-François Caillard de l'étude Presst pour la France. Petite spécificité du questionnaire français, il comporte des questions sur les 35 heures. Mais, pour le reste, les questions sont les mêmes que celles des autres pays concernés. »

Après ce questionnaire, l'étude comprend une deuxième étape. En octobre 2003, un nouveau questionnaire sera envoyé aux soignants sélectionnés. Et si, parmi eux, certains ont quitté leur établissement, ils reçoivent un questionnaire spécifique au moment de leur départ, puis ils en auront un nouveau, un an après, pour analyser leur devenir. Précisons que pour tous les questionnaires, l'anonymat est garanti. Les soignants interrogés renvoient leur questionnaire, grâce à l'enveloppe déjà affranchie, au service de Madeleine Estryn-Behar. L'identification avec le ou les questionnaires suivants se fait par le biais d'un code que le soignant peut inventer librement à condition de s'en souvenir l'année suivante...

Améliorer les conditions de travail.

Le questionnaire est impressionnant. Composé de 25 pages, le temps estimé pour y répondre est d'environ 45 minutes... De plus, Catherine Fayet, infirmière, et représentante Sud, soulignait lors du premier comité de suivi du programme, le 18 juin dernier, qu'il existe un problème de confiance des soignants. « Ceux-ci ont été fort sollicités pour des études dont ils n'ont pas vu de résultats concrets »... Sans compter qu'au fond, chacun pense déjà connaître les raisons de la désaffection de la profession. Certaines ont été affichées en lettres rouges sur des banderoles !

Mais l'enjeu est de taille. Les résultats permettront d'étayer une argumentation solide pour lancer des actions d'amélioration des conditions de travail. D'autant plus solide que tous les acteurs du système hospitalier sont associés à l'entreprise via le comité de suivi. Ce comité regroupe les institutions (DHOS, Drass), les représentants d'employeurs (FHP, FHF, Fehap) et les représentants du personnel. « Et puis, tous les acteurs s'accordent sur le fait que la pénurie actuelle est une difficulté aiguë et qu'il y a urgence à travailler sur ce problème, témoigne Madeleine Estryn-Behar. Ainsi, dans l'intérêt des salariés tout autant que dans celui des employeurs, il est nécessaire de comprendre les raisons du turn-over et des difficultés du travail. » En 2001, la Drees déterminait le taux de renouvellement des soignants dans les établissements publics à 10 %...

En novembre 2003, les résultats du premier questionnaire seront transmis aux établissements sélectionnés. Cela leur permettra d'envisager les premières mesures dès cette année, et d'adresser des demandes auprès de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) pour obtenir une enveloppe financière provenant du fonds de prévention. La restitution finale de l'étude à la Commission européenne, aux régions et aux établissements, est envisagée pour octobre 2004. Mais d'ici là, il faut déjà répondre ! Car pour que l'étude Presst ait du poids, il est nécessaire que le taux de réponse soit élevé. Alors, « mesdames, mesdemoiselles et messieurs les soignants, à vos stylos ! »

3 questions à Gilles Gadier, délégué FO, ancien AS

Pour quelles raisons FO a tenu à participer à l'étude Presst ?

FO participe à l'étude afin de faire entendre la voix des personnels paramédicaux. Nous espérons que cette étude révélera au grand jour, de manière scientifique, les difficultés rencontrées par le personnel soignant. S'il se mobilise pour répondre à cette étude, elle peut être un formidable outil de négociation et d'amélioration des conditions de travail.

Cette étude vous semble-t-elle pertinente ?

Oui, car elle devrait donner une photographie d'ensemble des réalités quotidiennes vécues par le personnel soignant. Une fois que l'on aura mis le malaise du personnel sur la table, on pourra dégager des pistes pour améliorer la situation. Il y a urgence !

Quels sont le rôle et le message de FO ?

FO s'est engagé à bien expliquer au personnel soignant l'utilité de répondre au questionnaire, car ce n'est pas une étude de plus de l'administration, mais une étude nationale, ce qui est différent. Notre rôle est de veiller à ce que les résultats de l'étude soient communiqués au personnel soignant. Il ne s'agit pas de lui demander un effort et qu'il n'ait aucun retour. Notre rôle est de représenter la profession dans sa globalité. Notre message est simple : « Remplissez le questionnaire ! Nous sommes au comité de suivi et nous veillerons à avoir un retour et à se servir des chiffres. Donc jouez le jeu ! »

Propos recueillis par Carole Ivaldi

Témoignage « Cette étude palliera un manque... »

Florence Guillon représente la FHP au comité de suivi de l'étude Presst.

« La FHP fait partie du comité de suivi de l'étude Presst, car cette enquête interroge la population infirmière sur l'ensemble des établissements (publics, privés, privés à but lucratif et non lucratif, y compris les maisons de retraite) à un niveau national, ce qui est déjà une grande première. De plus, cette étude est lancée à une échelle européenne (étude Next), dans sept autres pays connaissant le même problème de départs prématurés des professionnels paramédicaux. Elle devrait nous permettre d'y voir plus clair au niveau des éléments de motivation, de démotivation, des conditions de travail et de vie en dehors du travail, qui font que les infirmières ne restent dans la profession, en moyenne, qu'une quinzaine d'années. On espère que le taux de réponse sera important. De gros moyens ont été déployés pour la mise en oeuvre de l'étude, notamment en termes de relance, d'investissements humain et financier. De plus, les responsables des établissements qui participent à l'étude ont conscience du problème et se sont mobilisés. Il y a une véritable adhésion au projet. En France, nous avons déjà tous les éléments statistiques quantitatifs sur ce phénomène de départs prématurés mais nous manquons d'informations qualitatives. Cette étude va donc pallier un manque. »

Propos recueillis par Carole Ivaldi