Les centres de santé s'organisent - L'Infirmière Magazine n° 174 du 01/09/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 174 du 01/09/2002

 

Guyane

Actualités

Nichée entre le Surinam et le Brésil, la Guyane française s'est dotée il y a quelques mois d'un département des centres de santé, censé fédérer tous les centres de Guyane. But affiché : améliorer l'accès aux soins pour tous les Guyanais.

Le 2 mai 2002, le conseil d'administration du centre hospitalier Andrée-Rosemon de Cayenne a voté la création d'un département des centres de santé. Cette structure originale devrait permettre d'améliorer l'accès aux soins pour toutes les populations et le fonctionnement des 21 centres et postes de santé, jusqu'à présent très mal dotés, répartis sur le territoire. Les dispensaires guyanais ont été créés en 1955 pour répondre aux besoins spécifiques du département : enclavement des populations et carences du réseau de communication.

La Guyane s'étend en effet sur 91 000 km2, ce qui en fait le plus grand département français, mais aussi l'un des moins peuplés. Avec quelque 160 000 habitants, il présente une densité de 1,75 habitants au km2. Recouvert à près de 90 % par le manteau de la forêt équatoriale, le territoire présente une géographie difficile, où certaines agglomérations ne peuvent être jointes que par avion ou par pirogue après plusieurs jours de navigation. Or, environ 20 % de la population vit dans ces communes isolées. Pour les habitants du littoral, la situation n'est guère meilleure, puisque la Guyane ne compte aucun transport public interurbain : avec un taux de chômage proche de 25 % et près de 10 % de la population assujettie au RMI, la situation économique et sociale des foyers ne leur permet pas toujours de rallier l'hôpital ou la pharmacie, lorsque c'est nécessaire. Les centres de santé représentent donc un maillon essentiel du système sanitaire en Guyane.

De nombreuses carences.

Dans les 21 structures qui émaillent le territoire, neuf centres de santé et douze postes de santé (structures gérées par un agent de santé, un aide-soignant, parfois une infirmière, où le médecin n'assure qu'une présence hebdomadaire, voire mensuelle), on réalise les consultations de médecine générale, d'urgence, de PMI, les vaccinations, les prescriptions, la remise de médicaments, les prélèvements, et parfois certaines analyses biologiques. Le tout gratuitement, quelle que soit la situation du patient.

Jusqu'en 2000, ces structures étaient intégralement gérées par le conseil général, mais devant les difficultés rencontrées, elles ont été rattachées à l'hôpital de Cayenne. Plusieurs rapports de mission (Igas, Ddass, Sénat) avaient en effet attiré l'attention sur les carences qualitatives et quantitatives du secteur sanitaire guyanais : les centres de santé y étaient décrits comme manquant cruellement de matériel, de personnel et d'entretien ; la logistique y était qualifiée d'erratique, de même que certaines consultations avancées, tandis que les conditions de travail et l'hygiène semblaient très insatisfaisantes. Depuis deux ans, leur responsabilité curative a donc été transférée à l'hôpital Andrée-Rosemon de Cayenne. Et la création d'un département des centres de santé, service original à l'intérieur de l'hôpital, s'est progressivement imposée. « On ne pouvait pas noyer cela dans les autres services et laisser chaque centre se débrouiller avec des correspondants différents en fonction de ses besoins », explique Félix Djossou, médecin chef du département. Un directeur administratif, le médecin-chef du département et le cadre infirmier supérieur de l'hôpital se partagent la responsabilité de la structure.

Pénurie criante

Deux médecins coordinateurs, un cadre supérieur de santé, un coordinateur logistique, deux assistants sociaux, entre autres, complètent l'unité de coordination à Cayenne. Les établissements sont répartis en neuf unités fonctionnelles qui regroupent les postes de santé autour de centres de santé. L'unité de coordination à Cayenne gère également les fonctions transversales comme la cellule d'odontologie, la pharmacie, le laboratoire, l'organisation des consultations avancées (gynécologie, échographie, etc.). La logistique semble capitale, qui permet d'acheminer des centres vers l'hôpital prélèvements, matériels en réparation et de retourner résultats d'analyse, équipements neufs, médicaments, etc. D'ailleurs, il suffit de voir le site du département, en permanence encombré de cartons et autres fournitures en partance pour les centres, pour le comprendre. C'était pourtant l'un des points les plus fréquemment critiqués par les personnels des centres ces dernières années. « Il est vrai que nous n'arrivions pas à tout suivre, reconnaît Félix Djossou. Dorénavant, nous aurons six logisticiens et une organisation centralisée dans l'unité de coordination. Cela devrait permettre de ne plus laisser dormir de commande. »

Télédiagnostic.

Le recrutement est aussi à l'ordre du jour. Certains postes sont vacants, d'autres sont en création, à Cayenne, comme dans les communes. Car au manque de personnel encore plus criant qu'en métropole (la Guyane souffre d'une carence chronique en personnel soignant et médical)(1) s'ajoute le passage aux 35 heures. « Résultat, la gestion des ressources humaines est l'un des gros problèmes des centres de santé », souligne Marie-Rose Gaubert, cadre de santé sur le Maroni. Les astreintes permettent tant bien que mal de pallier les déficits. Mais le personnel se fatigue vite, en raison de conditions de travail particulièrement éreintantes : aux astreintes s'ajoutent en effet les gardes et sollicitations pendant les périodes de repos par des patients arrivant en urgence à toute heure du jour et de la nuit... « On réfléchit à la possibilité de créer un pool de remplacement pour les médecins et les infirmières», suggère Félix Djossou. Par ailleurs, afin d'améliorer les conditions d'accueil des personnels, le département envisage la rédaction d'un livret et d'un protocole d'accueil, et surtout, la prise en charge de l'hébergement pour les trois premiers mois d'embauche. Ce qui n'est pas négligeable, compte tenu du coût de l'immobilier locatif en Guyane.

D'autres projets sont en chantier. L'un des plus avancés est probablement celui du télédiagnostic : une expérimentation sur six mois a déjà été réalisée dans quatre centres et postes de santé. Elle reposait sur l'envoi par satellite de photographies, de tracés et d'observations au microscope numérisés au laboratoire du CHAR à Cayenne. « Cela devrait être étendu et permettre d'éviter des déplacements inutiles et coûteux pour ce qui concerne la dermatologie, la cardiologie et la biologie », annonce Félix Djossou.

Les consultations avancées seront également développées. Un odontologiste est attaché au département qui visite les centres et postes une fois par mois. Des tournées de spécialistes sont également organisées : échographie, gynécologie, psychiatrie... Mais le chef du département espère pouvoir mettre en place d'autres consultations avancées en ce qui concerne le VIH, et certaines techniques d'investigation telles que l'endoscopie. Enfin, à plus long terme, deux autres principes du fonctionnement des centres de santé pourraient être remis en cause. D'une part, la séparation du curatif et du préventif, celui-ci échouant toujours actuellement aux services de la Direction santé et prévention du conseil général. Des dysfonctionnements persistent dans l'accomplissement de cette mission : couverture vaccinale très incomplète, consultations PMI assurées irrégulièrement, manque de personnels. En 2002, des campagnes de rattrapage vaccinal ont d'ailleurs été organisées conjointement par l'hôpital et la Direction santé et développement solidaire (ancienne Ddass État).

Gratuité en sursis.

D'autre part, la gratuité des soins et des médicaments dans les centres et postes de santé est en sursis. Ce budget représente un poste colossal dans les dépenses de l'hôpital. Or, il s'avère qu'une grande proportion des patients des centres de santé peuvent prétendre à une ouverture de droits, notamment depuis la mise en place de la couverture maladie universelle. « Ces patients nous consultent parce qu'ils n'ont pas les moyens de se rendre en ville, ou encore parce que les voies d'accès sont impraticables », expliquent à l'unisson les médecins des centres de santé.

Face à tous ces défis, l'équipe de coordination mise en place au centre hospitalier Andrée-Rosemon de Cayenne ne manque pas de détermination. Ce dynamisme devrait se confirmer lors de la première journée médicale des centres de santé qui se tiendra le 5 octobre prochain. « Je me suis donné six mois pour mettre les choses sur la bonne voie », conclut Félix Djossou.

1- 349 infirmiers pour 100 000 habitants (contre 627,4 sur l'ensemble de la France) et 146 médecins pour 100 000 habitants (contre 200 sur l'ensemble de la France).