Enquête sur un péril annoncé - L'Infirmière Magazine n° 175 du 01/10/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 175 du 01/10/2002

 

TABAGISME FÉMININ

Actualités

Alliés, une association de soignants, vient de publier une enquête sur le tabagisme chez la femme enceinte. Verdict : les fumeuses, toujours plus nombreuses, ignorent souvent les risques encourus par leur bébé. En outre, les professionnels de santé ne s'imposent pas comme des interlocuteurs incontournables...

« Le tabagisme chez la femme, enquête sur un péril annoncé », tel est le nom d'une étude statistique menée et publiée récemment par l'association Alliés. Créée en 2001, cette association est composée de médecins, d'infirmières, de sages-femmes et de pharmaciens. Ses objectifs : former les professionnels de santé à la prise en charge de l'arrêt du tabac et « inciter les fumeurs à s'adresser aux professionnels de santé pour arrêter de fumer ». L'association Alliés aide également les médecins dans la prise en charge du sevrage. Elle a entamé le 17 septembre dernier une large campagne de communication auprès de 25 000 médecins généralistes et pneumatologues. De nombreuses brochures ont ainsi été distribuées.

Toujours plus nombreuses

Pour cette enquête axée sur les risques du tabagisme chez la femme enceinte, mille femmes ont été interrogées parmi un échantillon représentatif de l'ensemble des femmes accouchant en France.

Première révélation de taille : elles sont de plus en plus nombreuses à fumer. En 1970, la différence en matière de tabac entre homme et femme était de 31 points. Aujourd'hui, elle est de 6,3 points. Avant 17 ans, les jeunes filles sont plus nombreuses que les garçons à fumer. Les femmes enceintes sont 40 % à démarrer une grossesse alors qu'elles fument au moins une cigarette par jour. Parmi les risques encourus, on sait que les fausses couches sont plus fréquentes (9 % seraient uniquement provoquées par le tabac) et le poids du bébé peut se révéler inférieur à la moyenne. Les bébés de mamans fumeuses sont de 250 g moins lourds à la naissance. Or, 25 % des femmes enceintes interrogées ignorent ce fait. Des troubles respiratoires, et notamment de l'asthme, peuvent également apparaître. Autre risque : celui d'avoir un enfant prématuré. Sans compter que 3 % des césariennes sont causées par le tabac. Cela représente une patiente sur trente.

Peur de grossir

Parmi ces femmes qui continuent de fumer pendant leur grossesse, 78 % sont entourées de fumeurs. Elles sont souvent jeunes et moins instruites (47 % d'entre elles n'ont pas le baccalauréat et 16 % sont au chômage). Les fumeuses ont deux fois plus souvent un conjoint fumeur que les non-fumeuses. 44 % des fumeuses contre 33 % des femmes non-fumeuses s'estiment soumises au stress. Élément important concernant un éventuel sevrage : les femmes enceintes craignent de grossir si elles arrêtent de fumer. Pourtant, contrairement aux idées reçues, ce n'est pas un élément favorisant la prise de poids.

Les motifs d'espoir ne manquent cependant pas. La volonté des femmes, certes vacillante dans sa concrétisation totale, est indéniable : 97 % des femmes enceintes qui fument ont tenté d'arrêter ou de diminuer leur consommation pendant leur grossesse. C'est d'ailleurs une période favorable pour arrêter de fumer. Un dégoût hormonal apparaît et entraîne des nausées. L'envie de cigarettes s'atténue alors. Les hormones féminines, les estrogènes, fonctionnent comme des antidépresseurs. La cigarette utilisée comme « élément de détente » (illusoire) n'a donc plus de raison d'être.

Soutien actif

Hélas, malgré l'annonce de la grossesse, 60 % des femmes échouent dans leur désir d'arrêter. Et c'est là que le professionnel de santé doit être plus « intrusif ». Car, fait étonnant, 84 % des fumeuses avouent ne pas avoir été interrogées par leur médecin sur la question. Seules 7 % d'entre elles sont orientées en fin de grossesse vers une consultation spécialisée. Pourtant, 53 % de celles qui ont arrêté ont déclaré que l'information médicale les avait aidées. Pour le docteur Anne Borgne, tabacologue(1), les 20 % de femmes qui continuent de fumer durant leur grossesse « doivent être rassurées et surtout déculpabilisées. Elle ne sont pas fautives mais tout simplement dépendantes au tabac. Comme de véritables droguées, elles ont besoin d'aide et du soutien actif d'un médecin. »

Car l'étude a aussi montré que beaucoup de femmes enceintes ou celles qui viennent d'accoucher ne connaissent pas les risques liés au tabac. Les médecins et le corps médical ne semblent pas être suffisamment sensibilisés à leur rôle dans le sevrage tabagique. Souvent, ils n'osent pas traiter les femmes enceintes fumeuses avec les substituts à la nicotine. Alors qu'il est prouvé que ces traitements offrent une meilleure solution pour la femme et son enfant. Pour l'association Alliés, les messages à retenir sont les suivants : « La diminution est illusoire chez tous les fumeurs dépendants, a fortiori pendant la grossesse », « le sevrage réussit quand on donne suffisamment de nicotine et que l'on diminue très progressivement les doses, dans un contexte d'accompagnement et de soutien » et « l'arrêt du tabac pendant la grossesse ne fait pas nécessairement grossir ». Parmi les propositions faites en conclusion de cette enquête, l'information délivrée au patient et au soignant est essentielle. Pour le reste, Alliés propose de développer les consultations en tabacologie au sein des maternités, d'assurer la prise en charge systématique en cas de rechute du tabagisme en post-partum immédiat, et de permettre le remboursement des traitements d'aide à l'arrêt du tabac pour les femmes enceintes.

1 - Unité de coordination de tabacologie des hôpitaux AP-HP de la Seine-Saint-Denis.

Des femmes mal informées

- 25 % des femmes interrogées ne savent pas que les fumeuses font des bébés plus petits et, quand elles le savent, elles pensent avoir au moins l'avantage de bénéficier d'un accouchement plus facile !

- La plupart des sondées sous-évaluent nettement les risques d'accouchement à problème (césarienne en urgence, infections, phlébite, etc.) et les ennuis supplémentaires pour les bébés à la naissance ou par la suite (prématurité, asthme, etc.).

- 84 % des femmes enceintes n'ont pas été questionnées par leur médecin sur une éventuelle tentative d'arrêt.

- Pourtant, il s'avère que l'information médicale pendant la grossesse est un réel facteur de réussite pour 53 % des femmes qui ont réussi à arrêter.