L'euthanasie, chronique d'une mort annoncée - L'Infirmière Magazine n° 175 du 01/10/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 175 du 01/10/2002

 

Dossier

- Euthanasie active directe, indirecte, passive... Le débat sur cette pratique recouvre diverses réalités - Rare chez le patient, la demande d'euthanasie provient surtout de son entourage - L'essor des soins palliatifs s'est accompagné d'une baisse de ces demandes.

- L'euthanasie est probablement l'un des grands débats éthiques du xxie siècle. La question présente n'est pas de savoir si l'on est pour ou contre. L'enjeu est davantage de comprendre pourquoi la question de l'euthanasie, vieille comme la nuit des temps, refait surface précisément aujourd'hui en s'instituant comme un débat incontournable aussi bien à un niveau juridique, que politique, économique et social. Cette résurgence en force ne traduit-elle pas certaines tendances de fond sociétales, et les problèmes qu'elle pose ne sont-ils pas finalement rattachés à d'autres questions éthiques laissées en suspens ?

Le premier constat est lié au mot « euthanasie » lui-même, à ses connotations et à l'évolution de sa signification. À l'origine, « euthanasie » vient du grec « eu » (bien) et « thanatos » (mort) c'est à dire « bonne mort ». Certains mots ont la vie longue. Il faut attendre le xxe siècle pour que le mot prenne une connotation négative d'eugénisme.

UN TERME CONTROVERSÉ

Aujourd'hui, le mot « euthanasie » est encore un tabou pour beaucoup. Le poids des mots et leur utilisation ont une influence sur le mode de pensée et de raisonnement ambiant. Il paraît donc étrange d'un point de vue éthique d'avoir choisi un mot qui rappelle d'aussi mauvais souvenirs, et dont la définition varie au gré des utilisateurs. Denis Labayle(1) estime que ce mot est entaché d'une phraséologie idéologique qui nuit beaucoup à son utilisation. Emmanuel Hirsch, directeur de l'espace éthique de l'AP-HP, définit le mot « euthanasie » en ces termes : « Il peut s'agir de l'expression d'un droit revendiqué au nom d'une certaine conception de la vie. Dans le champ du soin, il ne me paraît pas opportun de banaliser le recours à la pratique du suicide médicalement assisté, fort éloigné en fait de cette idéalisation philosophique de la bonne mort. » La confusion atteint son paroxysme avec les distinctions entre euthanasie active, euthanasie active indirecte (moyens mis en oeuvre pour atténuer les souffrances et pouvant avoir pour effet d'écourter la vie restante du patient) ou euthanasie passive (renoncement à des mesures de survie). La polémique est lancée. Soulager une douleur et arrêter le traitement d'une personne en fin de vie à sa demande ne relèvent-ils pas plus du soin ? En appelant ces deux formes de soins « euthanasie » (active indirecte et passive), n'essaie-t-on pas indirectement d'influencer le débat en faveur d'une légalisation ? L'euthanasie n'est-elle pas définissable en fonction de l'intention finale du geste (de soigner, différente de celle de « tuer ») ? Pour Martine Nectoux, infirmière d'une équipe mobile de soins palliatifs, cette distinction entre les trois formes d'euthanasie n'est pas pertinente. « Ce "mélange de genres" va à l'encontre du malade qui peut douter de la finalité de nos soins, et nuit aussi au travail de l'équipe soignante qui pourrait se sentir coupable. En réanimation, par exemple, il faut arrêter de parler d'euthanasie lorsqu'il s'agit de l'arrêt de traitements déraisonnables. Cet amalgame est source de confusion et aboutit à des situations de confusion parfois graves. »

La contradiction provient peut-être aussi des contenus parfois contradictoires du Code pénal et du Code de la santé publique. Laurence Aveline, avocate, souligne que très peu de cas d'euthanasie finissent sur la place publique. « Il y a un compromis à trouver entre l'obligation de soins et le respect individuel de la volonté du malade. Cependant, l'obligation de soins passe avant la volonté du malade. » Pour Françoise Henry, infirmière, seule l'euthanasie active directe relève de l'euthanasie. « Nous n'entamons pas un traitement qui aura plus d'inconvénients que d'avantages, vu l'état du patient. » Le seul « acharnement » de l'équipe soignante vise le maintien d'un confort de vie jusqu'à la fin. D'ailleurs, le Dr Marie-Sylvie Richard (Maison médicale de soins palliatifs Jeanne-Garnier) est d'avis que la demande d'abstention thérapeutique, de limitation ou d'arrêt de traitement n'est pas encore bien gérée. En réanimation, il faut savoir s'arrêter et renoncer à une obstination parfois déraisonnable de réanimation à tout prix. « L'acharnement thérapeutique a creusé le lit de l'euthanasie. » Lorsque la décision est prise de manière collégiale et réfléchie entre le patient, la famille, et l'équipe soignante, il n'est pas question d'euthanasie.

CAUSES ET CONSÉQUENCES

Pour le Dr Édouard Ferrand, anesthésiste-réanimateur à l'hôpital Henri-Mondor (Créteil), « le problème est que l'on s'attache aux conséquences alors qu'il faut partir des causes. Le débat sur l'euthanasie est abordé par sa finalité, ce qui oriente les conclusions. Ainsi, arrêter un ventilateur qui prolonge une agonie ne peut être comparé au même geste fait sur une personne en bonne condition. » Denis Labayle considère que le discours autour des différentes distinctions d'euthanasie est hypocrite. « Les pratiques d'euthanasie existent dans la pratique quotidienne de nombreux médecins. Refuser de faire évoluer la loi, c'est nier hypocritement une réalité. » Il s'interroge également sur la différence entre euthanasie active directe et euthanasie active indirecte : « La finalité de l'attitude est la même. Seul diffère le faible temps de survie que ces deux pratiques engendrent. Les soignants estiment en être maîtres. Est-ce véritablement la volonté de l'intéressé ? »

Cette polémique évite d'aborder des problèmes intimement liés à l'euthanasie : que faire des personnes dont la fin de vie se prolonge ? L'hôpital, tel qu'il existe aujourd'hui, peut-il à la fois soigner et s'occuper des personnes en fin de vie ? Les soins palliatifs ont-ils un rapport avec l'euthanasie ? Que signifie « mourir dans la dignité » ? Les soignants sont-ils préparés à des situations d'euthanasie ? Dans quelle mesure une loi pourrait-elle apporter une solution au problème ? Peut-on parler d'euthanasie en étant en bonne santé ? N'est-ce pas la souffrance d'autrui qui est insupportable puisqu'elle nous renvoie à notre propre impuissance devant la douleur et la mort ? Que faire de la personne mourante ?

La demande d'euthanasie provient aujourd'hui, pour une majorité écrasante, de personnes en bonne santé et non pas de celles qui sont en fin de vie. Les soignants de services touchés quotidiennement par la mort n'ont entendu que de très rares demandes d'euthanasie (active directe) de personnes en fin de vie. Il convient donc de s'interroger sur la signification de cette tendance. Marie-Sylvie Richard confirme que les demandes les plus fréquentes proviennent de l'entourage du patient ou des soignants, qui connaissent un épuisement physique et psychologique. Il faut les entendre, sans y apporter une réponse positive, car elles sont l'expression d'une souffrance : « Au nom de quoi peut-on condamner la vie d'autrui ? »

LA MORT NIÉE

Pour le psychologue William Robert Higgins, il faut établir une distinction entre la demande du malade et cette « demande sociale ». Ce désir de mourir exprimé au travers de cette demande d'euthanasie est une réponse aux valeurs de notre société où la liberté de choix, l'initiative, l'autonomie, priment désormais sur l'obéissance, la discipline, l'interdit, valeurs qui régissaient nos sociétés dans les années quarante et cinquante.

Cette tendance est aussi liée à celle de la maîtrise de soi, de sa vie. Comme le dit Higgins, « la mort devient le dernier exploit, le dernier challenge, à gérer en bon manager de son moi ». Marie-Sylvie Richard ajoute que pour certains patients, devenir dépendant est insupportable. Dans leur philosophie personnelle basée sur le culte de l'autonomie, la vie n'est plus digne d'être vécue, car ils refusent un état de déchéance.

Ne faut-il pas aussi s'interroger sur les représentations de la mort aujourd'hui ? La mort n'est plus vécue en famille comme un lien unissant ses membres, mais plutôt imaginée au travers de différents médias (télévision, cinéma, livres). Déniée, ignorée dans la vie réelle, elle n'a plus sa place. En revanche, avec les progrès incessants de la médecine, on assiste à une certaine « mise en science » de la mort (dixit Higgins) correspondant à cette autorité symbolique qu'endosse aujourd'hui la médecine. Cette toute-puissance de la médecine a ainsi contribué à désymboliser, déritualiser la mort. Les soins palliatifs se sont développés pour répondre à ce manque de prise en charge de la mort. Selon Emmanuel Hirsch, bien des demandes d'euthanasie sont consécutives au sentiment d'une mort socialement anticipée, à l'expérience d'un abandon, d'une intense solitude qui accentuent le désir d'en finir à n'importe quelle condition. D'autres, comme le sociologue Alain Ehrenberg, expliquent cette « demande sociale d'euthanasie » par la tendance sociétale d'un état dépressif généralisé(2). L'individu, sans cesse confronté à une responsabilité individuelle illimitée, éprouve une douleur existentielle. « L'allégement de soi qu'annonçaient les mouvements d'émancipation des années 60 et 70 se retourne en une sorte d'écrasement de soi. » Cette « fatigue d'être soi » pousse l'individu, taraudé par l'idée de mort, à se projeter dans les mourants. L'euthanasie apparaît alors comme une solution envisageable, comme un suicide assisté. Cette idée amène la question épineuse du « statut » des mourants. Les mourants ne seraient ni malades, ni bien portants. Quelle place ont-ils dans la société ? Dès lors que la société leur enlève leur statut, leur existence est dépourvue de sens. Les structures hospitalières n'ont pas la possibilité de les accueillir, et ils sont trop malades pour rester chez eux. Le développement des soins palliatifs est donc plus que justifié. La France a un sérieux retard en la matière et les structures actuelles ne sont pas assez importantes pour recevoir tous les malades en fin de vie.

UN ENJEU ÉCONOMIQUE

Le sujet reste encore tabou, mais il faut mentionner que l'euthanasie permet d'apporter une solution au coût économique représenté par les personnes en fin de vie. Le Pr Lucien Israël évoque cette pesante certitude dans son dernier livre(3). Avec le vieillissement de la population, l'euthanasie va très vite apparaître comme une solution raisonnable. « Ce serait un très mauvais cadeau à faire à nos successeurs que de leur livrer des sociétés où l'on a le droit de tuer à partir d'un certain âge, ou à partir d'un certain degré de dépendance, ou même sous prétexte qu'un souhait a été formulé, en période dépressive. » Laurence Aveline donne pour exemple la légalisation de l'euthanasie dans l'état de l'Oregon, aux États-Unis, légiférée pour des raisons strictement économiques, à partir de statistiques. Aujourd'hui, les soins palliatifs restent très coûteux pour la société et les places sont rares. L'euthanasie, pour certains, est peut-être une solution détournée à ce problème.

L'euthanasie est aussi liée au courant actuel du « bien-être » et du « jeunisme ». Il faut être beau et il faut avoir l'air jeune, respirer la bonne santé. La dégénérescence qui accompagne la vieillesse et certaines de ses maladies devient une idée effrayante, ingérable. Marie-Sylvie Richard voit l'euthanasie comme une conséquence actuelle de l'effigie du corps. « Cette haute conception de l'être humain n'est pas réaliste. » Si la médecine ne peut plus rien, l'euthanasie apparaît alors comme « la solution ». La médecine, considérée comme infaillible, repousse chaque jour davantage les limites de la mort. Certains finissent par penser que, si la médecine ne peut plus sauver, elle doit alors aider à mourir.

QUELLE DIGNITÉ ?

L'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) prend clairement position pour la légalisation et la dépénalisation de l'euthanasie. Pour son président, Jean Cohen, « après les soins palliatifs, si la fin de vie est insupportable, une personne doit pouvoir dire "j'en ai marre, je veux partir". Encore beaucoup de gens n'ont pas accès aux soins palliatifs aujourd'hui, et même si 100 % des personnes y avaient accès, le droit à l'euthanasie est différent. »

Là encore, le vocabulaire employé, « mourir dans la dignité » peut aussi prêter à confusion. À partir de quel moment une personne n'est-elle plus « digne » de vivre ? Chacun aura son propre jugement, mais il n'existe aucune liste de critères de « dignité » concernant des personnes en fin de vie. Ce concept de « mort dans la dignité » peut même devenir dangereux : l'expérience de Christine Malèvre en est un exemple. D'après la première expertise des psychiatres, cette infirmière souffre d'une fascination morbide pour les malades, doublée d'un syndrome de toute-puissance et d'un « moi hypertrophié à la limite de la mégalomanie ».(4) Ce sentiment de toute-puissance sur la vie et la mort de l'autre est justement, pour le Pr Meininger (La Pitié-Salpêtrière, Paris), la raison pour laquelle il ne faut ni légaliser, ni dépénaliser l'euthanasie. Les soignants sont, pour lui, déjà confrontés à des pulsions de désir de mort ou de faire mourir. « Ce que je défends est ce repositionnement, qu'il faut avoir par rapport à sa propre surpuissance. On récupère ce positionnement en pensant qu'on va pouvoir déterminer la mort des gens. Je ne suis pas sûr que la loi règle ce désir de vie, car nous sommes dans une société réglée par l'efficacité et la rentabilité. » Pour Denis Labayle, le mot « dignité » est fondamental parce qu'il sous-entend le respect du désir du patient. Il s'insurge contre les personnes qui brandissent l'éthique comme principal frein à la légalisation de l'euthanasie : « Éthiquement, l'avortement posait aussi un problème. Et la vieillesse, et les SDF qui meurent dans la rue ? Ne nous posent-ils pas un problème éthique ? Et que dire des millions de personnes qui meurent du sida en Afrique dans l'indifférence quasi générale ? Pourquoi faire un drame des personnes qui veulent mourir en fin de vie ? L'éthique ne serait-elle qu'une question de distance ? Aujourd'hui, la société a une éthique à géométrie variable, selon le sujet, le lieu et ce qui l'arrange. »

DÉCISION COLLÉGIALE

De nombreux soignants ont constaté l'infléchissement des demandes d'euthanasie active depuis le développement des soins palliatifs. Comme le dit Martine Nectoux, « leur développement n'a pas supprimé les demandes d'euthanasie, mais il a permis de contribuer à une baisse significative de ces situations. Les soins palliatifs ne suppriment pas la souffrance humaine dans la proximité de la mort. Ils créent une dynamique positive d'accompagnement et de soulagement. »

Les demandes d'euthanasie, bien que rares, persistent encore aujourd'hui. Pour une grande majorité des équipes soignantes, ces demandes sont d'autant moins envisageables que les différents moyens de lutte contre la douleur et le développement des soins palliatifs ne sont pas totalement maîtrisés. Françoise Henry n'a ainsi jamais vu une équipe soignante passer à l'acte en pédiatrie. « Les parents qui ont demandé l'euthanasie pour leur enfant sont reconnaissants un an après de ne pas l'avoir fait. » Denis Labayle soutient que le problème majeur des soignants repose sur le fait que seul le médecin a une véritable liberté de décision. Le malade dépend donc des convictions de son médecin. La décision ne devrait en aucun cas venir d'une seule personne. Des conseils d'éthique d'urgence devraient exister et être consultés systématiquement. Pour Marie-Sylvie Richard, une formation éthique des soignants permettrait de leur donner des repères. Dans le contexte actuel de judiciarisation de la société et de la santé, savoir gérer le stress devient fondamental.

Quand un patient demande l'euthanasie passive (c'est-à-dire d'arrêter des traitements qu'il juge déraisonnables), il faut avant tout l'écouter et l'entendre. « Entendre, pour le Pr Meininger, signifie écouter et comprendre ce qu'il y a derrière les paroles du patient. Chaque décision est prise collectivement, au cas par cas. Chaque membre de l'équipe soignante donne son point de vue, comme dans un tribunal. J'ai très peur d'une légalisation. Beaucoup de cas, compliqués, seraient euthanasiés pour de mauvaises raisons. La légalisation supprimerait le questionnement de l'équipe soignante qui est pourtant incontournable. Il ne faut jamais perdre de vue que chaque patient est un cas unique, il a son histoire. Lorsque la décision a été prise collégialement (l'ensemble de l'équipe soignante, le patient et sa famille), le dossier médical est une pièce à conviction. Il démontre qu'il n'y a pas eu "meurtre". Seules les décisions prises secrètement, dans l'obscurité, posent problème. » Emmanuel Hirsch partage cet avis : « Je respecte la position adoptée lucidement par une personne qui peut estimer à un moment donné sa vie insupportable, voire la mort désormais préférable. Il conviendrait toutefois de chercher à comprendre s'il ne s'agit pas également d'une mise en cause de nos insuffisances à son égard. A-t-on su répondre à ses attentes ? » La demande d'un suicide médicalement assisté n'atteste-t-elle pas d'un échec de nos soins ? Et il ajoute : « Sur le terrain, les situations sont toujours particulières et procèdent d'une appréciation au cas par cas qui touche au sens même de certaines décisions [...]. Pour dire les choses clairement, les pratiques euthanasiques intervenant dans le champ du soin révèlent très souvent des dysfonctionnements et des incompétences contre lesquels nous devons nous élever. »

INFIRMIÈRE MÉDIATRICE

Le rôle de l'infirmière est incontournable dans ces situations, car elle est le membre de l'équipe soignante ayant le plus de contacts et d'échanges avec le patient et son entourage. Le Dr Édouard Ferrand en est convaincu. Les résultats d'une deuxième étude qu'il vient d'achever sur la prise de décision d'arrêt thérapeutique (DAT) sont révélateurs. 75 % des paramédicaux pensent que les DAT sont prises dans de mauvaises conditions, tandis que 75 % des médecins pensent qu'elles sont prises dans de bonnes conditions... « Il faut un changement de culture pour améliorer la situation. La qualité des procédures de prise de DAT est liée à la perception d'une réflexion éthique de service, en amont des décisions. » Il ajoute que les infirmières sont à l'origine des discussions, indispensables au bon déroulement des DAT. « C'est dans leur culture », note-t-il. Corinne Archambaud voit l'infirmière comme le trait d'union entre le médecin, le patient et la famille. Dans ce cercle (patient, soignant, famille), dont le centre est le patient, l'infirmière restitue au médecin toutes les informations qu'elle connaît du patient, afin de prendre la décision la plus juste possible. Pour Martine Nectoux, en cas de pression de la famille, l'infirmière devient un médiateur entre le patient et ses proches, dont l'élément clé est la confiance entre les différents acteurs.

L'impact psychologique de l'euthanasie sur les soignants est peu reconnu. Il est pourtant considérable. Denis Labayle en parle comme « d'un impact énorme, horriblement dur. Les gens ne se rendent pas compte de ce que l'on encaisse. Le soutien est totalement insuffisant. » Pour y remédier, il émet l'idée d'une unité de psychologues au sein de chaque département. L'intérêt du psychologue repose sur sa neutralité. Il n'a pas connu le patient et sa famille au jour le jour. Selon Denis Labayle, les malades en fin de vie sont trop souvent transférés dans des centres de soins palliatifs, par exemple. « Cette attitude est vécue comme un abandon du malade. C'est une façon hypocrite pour le médecin traitant de se décharger d'un problème et de le faire porter par d'autres. Les centres de soins palliatifs deviennent une solution de facilité. Quant à la spécialisation de la mort, je pense que c'est une erreur. La formation universitaire devrait enseigner qu'un médecin, quel qu'il soit, doit accompagner son patient jusqu'à la fin. » Il ne faut pas seulement une loi pour sortir de ce cercle vicieux. Il faudrait aussi que des structures d'accompagnement soient créées, comme des équipes mobiles de soins palliatifs, des structures de réflexion, suffisamment de lits de médecine, une unité de psychologie.

LIMITES ET DÉRIVES

Marie-Sylvie Richard estime paradoxal que la société actuelle, qui craint le pouvoir des médecins, veuille leur donner le pouvoir de donner la mort. « De plus, je trouve dramatique que la question de l'euthanasie soit posée, alors que tant de choses vont mal. Chaque jour, la liste des malades en fin de vie, en pleine détresse, s'allonge. Les hôpitaux ne peuvent plus les garder, car ils ne relèvent plus d'aucun service. Tous ces gens ne veulent pas mourir et ils n'ont pas de place. La santé est vraiment malade. » Pour Corinne Archambaud, les dérives d'une dépénalisation ou d'une légalisation peuvent être lourdes. La société risque alors d'aller vers une normalisation de la transgression de l'interdit. De plus, une légalisation pousse vers une déresponsabilisation. « On va se retrancher derrière la loi. Ce sont les gens les plus faibles, sans famille, qui seront les premiers visés par l'euthanasie. C'est catastrophique. » Elle ajoute que le danger vient aussi de notre société qui se veut normative. Les handicapés sont de moins en moins acceptés. On en vient à un certain eugénisme.

« Les patients en fin de vie sont très vulnérables, observe Martine Nectoux. La fluctuation de leur état, tant physique que psychologique, oblige à considérer leur demande avec prudence. » Ils peuvent faire une demande d'euthanasie un jour, et vous remercier le lendemain de leur avoir laissé la vie. Pour maître Aveline, une légalisation serait synonyme d'un contrôle judiciaire systématique, a priori avant le geste euthanasique, vérifiant que les conditions sont bien remplies. « Légaliser l'euthanasie reviendrait à avouer un échec de la prise en charge des personnes en fin de vie. L'euthanasie, c'est le dernier recours, c'est transformer un échec en succès, tout en banalisant le geste. »

La France reste étrangement silencieuse quant à l'ouverture d'un véritable débat politique sur l'euthanasie, que certains de nos voisins européens ont eu le courage d'engager. Patience et longueur de temps...

1- Chef du service d'hépatogastroentérologie à l'hôpital d'Évry, auteur de Tempête sur l'hôpital. Le Seuil. 2- La Fatigue d'être soi, dépression et société. Éditions Odile Jacob. 3- Les Dangers de l'euthanasie. Éditions des Syrtes. 4- Expertise medicopsychologique du 16 novembre 1998 par le Dr Jean-Philippe Guéguen et le Pr Marc Peyron.

L'euthanasie dans le monde

- Suisse : le suicide médicalement assisté est autorisé dans certains cantons. Le Code pénal autorise implicitement, par son article 115, l'aide, médicale ou non, au suicide.

- Pays-Bas : depuis novembre 1998, les interruptions de vie réalisées à la demande du malade sont réglementées et contrôlées par l'une des cinq commissions régionales. Celles-ci vérifient que toutes les conditions réglementaires sont bien remplies. Avril 2001 : légalisation partielle et strictement encadrée de l'euthanasie.

- Belgique : depuis le 16 mai 2002, légalisation partielle, strictement encadrée de l'euthanasie.

Le médecin doit s'assurer que le patient :

- est affligé d'une « souffrance physique et psychique constante et insupportable, conséquence d'une affection accidentelle ou pathologique incurable » ;

- est lucide et majeur ;

- formule sa demande de manière « volontaire, réfléchie et répétée », sans avoir été influencé par une pression extérieure.

- Danemark : légalisation de l'euthanasie passive et de l'euthanasie active indirecte pour les malades en phase terminale en 1992.

- Oregon (États-Unis) : légalisation du suicide médicalement assisté en novembre 1997 (loi votée en novembre 1994, entrée en application trois ans plus tard).

- Comité consultatif national d'éthique (CCNE) : en mars 2000, préconisation de l'exception d'euthanasie pour que les personnes incriminées ne soient pas condamnées.

Pour ou contre les lois sur l'euthanasie ?

Pour des dispositifs législatifs ? À ce sujet, Claude Évin part du principe que toute demande d'euthanasie de la part d'un malade est légitime. Il faut savoir décrypter la demande du patient et calmer sa douleur physique, morale, et ses angoisses face à la mort. Cependant, la société doit donner des principes fondamentaux comme de ne pas donner la mort. C'est dans cette démarche qu'en septembre 1981, la peine de mort fut abolie en France. « En tant que législateur, je pense que la loi doit fixer des règles, mais qui ne doivent pas empêcher de respecter le principe d'autonomie de la personne. »

Décision intime ou collégiale ?

Pour Emmanuel Hirsch, la mort d'une personne est affaire intime, mieux, affaire ultime. « Il me semble péjoratif de s'en remettre à des dispositifs législatifs qui contribuent à banaliser des transgressions incompatibles avec les principes du soin. » Pour Corinne Archambaud, « le droit à l'euthanasie » est une expression terrible. « Nous sommes dans une société où on revendique nos droits à tout-va. Or, on ne revendique pas le droit à l'euthanasie comme on revendiquerait une hausse de salaire. » De plus, l'euthanasie ne met pas seulement en cause la personne qui la demande, mais aussi celle qui la pratique.