« L'hôpital est un lieu de vie » - L'Infirmière Magazine n° 175 du 01/10/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 175 du 01/10/2002

 

Françoise Jungfer(1)

Questions à

Signe des temps, les Assises nationales des centres hospitaliers(2) ont eu pour thème cette année « L'hôpital autrement ». « Grand témoin » de ces conférences, Françoise Jungfer revient sur les thèmes abordés durant ces deux journées de septembre au Mans.

À quel titre avez-vous été grand témoin aux Assises nationales des centres hospitaliers ?

Antoine Perrin, président de la conférence des présidents de CME, m'a proposé d'être grand témoin parce que je viens de l'intérieur de l'hôpital (chef de service de réanimation), et parce que je suis présidente du Groupe d'étude et de recherche des hôpitaux non universitaires (Gerhnu) qui réfléchit aux thèmes abordés par ces assises. Le Gerhnu existe depuis 30 ans. Essentiellement composé de médecins hospitaliers, il permet des rencontres entre tous les acteurs de l'hospitalisation. C'est un lieu d'agitation d'idées, comme l'ont été les deux journées des assises.

Un débat de plus sur l'hôpital public ?

Non. C'était une étape importante pour deux raisons. Le principe d'organisation était nouveau : deux corps de métiers ont été réunis. Soignants et administratifs ont débattu ensemble, ce qui est très positif ! Ce principe est à pérenniser... Et deuxièmement, la langue de bois fut la grande absente des débats. Chacun est sorti, lors des onze ateliers de réflexion, de son rôle institutionnel pour donner ses idées. Évidemment, ces assises, qui ont recueilli énormément d'idées, ne sont qu'une étape. Il faut maintenant que les acteurs de l'hospitalisation les valident et travaillent à leur mise en oeuvre. Je l'ai dit en conclusion de mon intervention : l'hôpital, c'est à nous de le faire, en mettant en synergie notre confiance, nos convictions et nos énergies. On ne doit pas se réfugier dans l'attentisme, en essayant de se convaincre que la décision doit complètement venir d'ailleurs.

Quelles sont les idées que vous avez relevées après les comptes rendus des ateliers ?

La part des usagers (malades et représentants) a été dans tous les ateliers réaffirmée. C'était bien de voir l'unanimité autour de cette idée, qui n'était pas encore évidente et acceptée partout. En revanche, les débats ont bien montré que la réflexion technique sur la place de l'usager n'est pas encore finalisée. À savoir : qui on choisit, quel rôle précis, quels endroits, quels outils et quelles formations pour donner à l'usager la capacité d'agir ? Il faut clarifier tout cela. L'autre idée que j'ai relevée, c'est la notion de bassin de vie. Que les missions de l'hôpital soient définies par le bassin de vie. Qu'il existe des articulations, des rapprochements entre tous les acteurs de santé au sein d'un même bassin de vie, l'idée est intéressante. Mais là encore, la réflexion technique n'est pas aboutie. Quels sont les contours du bassin de vie ? Ce n'est pas évident. Dans cette définition de nouvelles frontières, la télémédecine, qui n'a pas été abordée, doit jouer un rôle structurant.

L'idée de décloisonnement a aussi été évoquée...

Oui. Mais je dois préciser que cela reste incantatoire. Le décloisonnement est prôné depuis la loi hospitalière de 1991. Même en 1981, beaucoup de mesures ont été prises. Mais l'hôpital reste extrêmement cloisonné, métier par métier, secteur par secteur... Dans l'ensemble, ces assises furent riches en propositions, sans toutefois que le futur cadre de l'organisation interne se dessine vraiment, ce qui me semble peu étonnant vu la complexité du problème à résoudre.

D'une manière générale, j'ai eu l'impression que les participants ont beaucoup plus parlé de ce qui n'est pas le coeur de métier de l'hôpital. Ils ont un peu moins développé ce pourquoi on était là. Preuve que les professionnels éprouvent un véritable désir d'ouverture.

La définition même de l'hôpital n'a d'ailleurs pas été tranchée...

Oui. Le deuxième atelier consacré au thème « dedans-dehors, une nouvelle définition de l'hôpital » a montré les difficultés de définir l'hôpital aujourd'hui. Ce constat illustre le malaise actuel. Nous sommes dans une période de transition. Nous n'avons pas encore défini tous les outils et l'éducation qui va avec pour répondre aux nouveaux besoins. Lors de mon intervention, j'ai défini l'hôpital comme un lieu de vie.

Le fameux mouton à trois pattes ?

« Dessine-moi un hôpital autrement », tel était l'objet de ces assises. J'ai défini l'hôpital comme un lieu de vie qui repose sur trois piliers, trois pattes : les patients, les professionnels, et les structures mêmes de l'hôpital. L'hôpital est un lieu de vie pour les patients, un lieu pour reconquérir ou préserver leur vie. Et à ce sujet, il me semble important de redéfinir l'accessibilité aux soins : concilier proximité et technicité. Donner un accès pour tous aux soins dans les meilleurs délais. Bien sûr, avec une réflexion permanente sur les coûts et les bénéfices... J'ai tenu à préciser que le passage à l'hôpital n'est qu'un épisode de la vie du patient dans un parcours de santé. Il est important d'articuler l'hospitalisation avec les autres acteurs du social et du médicosocial. L'hôpital n'est qu'un maillon dans la chaîne des soins.

Autre point que j'ai souhaité souligner, c'est la vie du patient à l'intérieur de l'hôpital. Je crois qu'une réflexion sur le confort hôtelier que propose l'hôpital est à faire. Et certaines pratiques sont inadmissibles. Le témoignage du professeur Bernard Glorion (ancien président du Conseil de l'ordre des médecins) sur la façon de se tenir auprès du malade était exemplaire. Il faut se tenir au niveau du malade et non pas le dominer, respecter ses rites, sa culture...

Et pour les professionnels ?

La mise en oeuvre de la réduction du temps de travail est l'opportunité de revoir l'organisation. Car je crois que ça peut être une source d'amélioration significative du mode de vie à l'hôpital. Il est nécessaire de redéfinir les rôles et les missions autour du malade, de revoir les métiers enseignés, de mettre au point des pratiques guidées, sans oublier que la médecine est un art. Surtout, l'hôpital doit valoriser les compétences et les savoirs des professionnels, avec des discussions pluridisciplinaires, tant pour les décisions stratégiques que pour la prise en charge des malades.

1- Présidente du Gerhnu (Groupe d'étude et de recherche des hôpitaux non universitaires : http://gerhnu.free.fr) et chef de service réanimation du centre hospitalier de Sens.

2- Organisées conjointement par les conférences de présidents de CME et de directeurs des centres hospitaliers.