L'hôpital public se débat - L'Infirmière Magazine n° 175 du 01/10/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 175 du 01/10/2002

 

Événement

Actualités

Pointée du doigt, l'organisation interne de l'hôpital serait à l'origine du mal-être hospitalier. C'est ce qui ressort d'une table ronde à l'Assemblée nationale, où une infirmière a fait valoir le point de vue des soignants.

« L'organisation interne de l'hôpital public est-elle au service du malade ? » La commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, a organisé le 17 septembre dernier une table ronde consacrée au sujet. Députés et sénateurs membres des commissions compétentes sur l'hôpital public, représentants des médecins hospitaliers et de l'administration hospitalière étaient réunis.

« L'hospitalisation publique traverse de grandes difficultés, rappelle en préambule Jean-Michel Dubernard, président de la commission, député UMP Rhône et PUPH des hôpitaux de Lyon. Il devient impossible de rencontrer un médecin, une infirmière ou un cadre administratif épanoui dans son travail... » Il énumère une série de causes déjà maintes fois énoncées par les professionnels, les observateurs et les médias : les ressources financières et le système de financement, les locaux inadaptés ou mal entretenus, les équipements insuffisants, les statuts des personnels, la gestion des carrières marquée par l'absence de formules d'intéressement, et la faiblesse de la prise en compte des qualités et efforts individuels, les niveaux de rémunération des personnels très inférieurs à ceux de leurs homologues européens, la réduction du temps de travail appliquée avec brutalité, la qualité des formations des médecins, des infirmières, des aides-soignantes, des cadres administratifs... « Toutes les raisons sont évoquées sauf une : l'organisation interne », annonce Jean-Michel Dubernard.

Quatre grands témoins étaient invités pour témoigner de leur expérience et de leur vision. Un patient, Rémi Reibel, un professeur de médecine et praticien, Henri Kreis, un directeur de centre hospitalier, Alain Gaillard, et un cadre infirmier ! Josiane Pheulpin, qui exerce à l'hôpital intercommunal de Haute-Saône.

Soins à la chaîne.

Henri Reibel, dialysé pendant plus de 20 ans, greffé, fait une synthèse de son expérience. « On gère dans l'urgence, au coup par coup, au détriment des patients qui ont peur... Le moral, c'est 80 % de la guérison ! Il faudrait plus d'humanisation. » Et il conseille aux parlementaires : « Si vous allez inspecter les hôpitaux, allez-y sans fanfare ni trompettes ! En tous les cas, il faut vous mobiliser pour l'hôpital public, car malgré les points négatifs, il m'a sauvé la vie. »

Josiane Pheulpin a tenté de résumer le mal-être et la souffrance de ses collègues. Elle évoque le couloir du service de médecine long de 110 mètres, les 36 patients et les deux infirmières de jour, les soins faits à la chaîne... Les problèmes de coordination et le peu d'entraide entre les services, le glissement des tâches, la surcharge du travail administratif au détriment du contact avec les malades et les familles, la difficulté de se faire entendre, le manque de consultation...

Josiane propose quelques pistes de réflexion : « Une modification du conseil d'administration qui donne plus de places aux soignants, la création de pôles d'activités où les soignants seraient plus mobiles, des conseils de service, une évaluation de la charge en soins infirmiers et libérer les soignants des tâches administratives ! Mon métier, je l'adore. Messieurs les députés, j'attends que vous me donniez les moyens de travailler. »

Le bateau coule.

Henri Kreis évoque l'hôpital public comme un bateau qui coule, et il pointe du doigt l'administration, « le projet médical accaparé par l'administration, la maîtrise comptable des dépenses, la balkanisation de l'empire hospitalier... » Il souhaite que la direction soit assurée par un médecin, assisté d'un directeur administratif adjoint. Alain Gaillard, en tant que directeur, tient à rappeler les lois qui traitent déjà de l'organisation interne : « La loi du 31 juillet 1991 et l'ordonnance de 1996 devaient accroître l'autonomie des établissements. Or, on est allé à l'inverse, paralysé par le nombre de textes réglementaires qui nous tombent sur la tête. Il faut peut-être revoir le statut actuel de l'hôpital public, mais en ce qui concerne le management, cela ne peut être réglé par la loi ! »

En maniant l'objectivité, le pragmatisme, la proximité, la rigueur, Alain Gaillard veut croire en « la communauté des acteurs » pour prendre soin du malade et que chacun tienne sa place en fonction de ses compétences.

Après les témoignages, c'est au tour de la salle de lancer dans la mare hospitalière ses pavés ou ses petits cailloux. Parlementaires, médecins et administratifs ne se privent pas ! Les clivages sont multiples, entre alarmistes et optimistes, entre soignants et cadres administratifs, entre Parisiens et provinciaux... Pourquoi les lois (1991, 1996) ne sont-elles pas appliquées ? Réorganiser l'hôpital public ? « Oui, mais ne faut-il pas prendre en compte l'ensemble du paysage hospitalier et de l'activité médicale ? », estime Yves Bur, député UMP du Bas-Rhin.

Le professeur Henri Guidicelli, praticien au CHU de Grenoble, souhaite lui aussi associer à la réflexion la médecine libérale et privée. Guy Collet, de la FHF, pose des limites à l'autonomie souhaitée par beaucoup : « Il s'agit de fonds publics accordés pour remplir une mission de service public, on ne peut pas avoir n'importe quelle autonomie. » Les médecins souhaitent être mieux associés à l'établissement de la stratégie de l'hôpital. Philippe Even souligne que les infirmières ont aussi un rôle à jouer sur ce plan. Les directeurs pointent du doigt le Code de marché et les règles d'ingénierie qui allongent considérablement les délais.

Une mission parlementaire.

René Couanau, député UMP d'Ille-et-Vilaine, s'inquiète de voir la responsabilité diluée. « Le conseil d'administration d'un hôpital, c'est de la fiction ! Il ne nomme pas le directeur, il n'a pas de moyens de sanctions, il décide d'un budget qui sera modifié par la tutelle, il n'a aucun moyen de suivi... » Le temps file, il est temps de conclure. La parole revient aux quatre témoins. Josiane Pheulpin déclare : « Je veux du matériel. Nous n'avons pas d'oxymètre de pouls dans notre service, toutes les heures, nous sommes obligées de piquer les malades... » Alors l'hôpital est-il toujours au service du malade ? Une mission d'information parlementaire sera créée très prochainement.

REPRÉSENTATION

Trois députées infirmières

À l'Assemblée nationale, parmi les 577 députés, trois ont eu une formation et une pratique infirmière. Paulette Guinchard-Kunstler, déjà bien connue pour son action au précédent secrétariat d'État aux Personnes âgées, a été réélue comme députée socialiste du Doubs. Parmi les nouveaux, Claude Greff, députée UMP d'Indre-et-Loire, est infirmière de formation. Elle a exercé en milieu hospitalier puis comme formatrice. Maryvonne Briot, députée UMP de Haute-Saône, était cadre infirmier au centre hospitalier de Lure. C'est à elle que Jean-Michel Dubernard a confié le soin de trouver un témoin infirmier pour la table ronde de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales. « Je souhaitais une personne qui ait de l'expérience et une certaine polyvalence, explique-t-elle. D'autre part, j'ai aussi voulu rendre hommage aux personnes qui avaient travaillé avec moi. C'est pourquoi j'ai choisi Josiane Pheulpin. » Maryvonne Briot pense participer à la mission d'information parlementaire. « Il ne s'agira pas de rajouter des lois et des textes, mais de comprendre pourquoi des dispositions existant dans les textes n'ont pas été appliquées. »

3 QUESTIONS À

Josiane Pheulpin, cadre infirmier.

L'hôpital est-il au service du malade ?

Aujourd'hui, je suis désolée de dire que non. Les patients ne sont pas soignés comme nous le voudrions. Le malaise est là. Nous sommes coincées entre le manque de matériel, d'effectifs et la demande des patients. C'est une frustration. L'hôpital aujourd'hui déshumanise la profession infirmière. Il ne s'agit pas comme en 92 d'un problème de salaires.

Comment avez-vous préparé votre intervention à la commission ?

Avec Maryvonne Briot et mes collègues, nous avons longuement discuté en aparté. Nous avons mis en forme les dysfonctionnements et les souffrances qui en résultaient, non seulement pour les malades mais aussi pour nous, en tant que professionnelles consciencieuses, motivées.

Pensez-vous avoir été entendue ?

Oui. Certaines réactions de médecins m'ont fait chaud au coeur. Je souhaitais faire passer le ras-le-bol des infirmières. De plus, mon témoignage recoupait ceux de Rémi Reibel et Henri Kreis, alors que nous ne nous sommes jamais rencontrés. Et puis, je tiens à ajouter que j'aimerais bien avoir un directeur comme Alain Gaillard...