L'intergénération, fin des limites d'âge ? - L'Infirmière Magazine n° 176 du 01/11/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 176 du 01/11/2002

 

Enquête

Alternative à l'isolement des seniors, l'intergénération favorise le dialogue entre jeunes et anciens - À travers le partage de ses savoir-faire, le 3e âge retrouve sa dignité dans notre société - L'intergénération, malgré tout, ne suscite pas l'engouement de tous.

Un couloir blanc silencieux et soudain deux petites silhouettes qui courent bruyamment. Des éclats de rire illuminent le visage d'un aîné. À l'hôpital Bretonneau, un établissement gériatrique parisien, la crèche du personnel est installée au rez-de-chaussée. Les enfants sont habitués à prendre le goûter avec ceux qui pourraient être leurs arrière-grands-parents. Grâce à ces « bouts de chou », des aînés retrouvent parfois un peu d'indépendance.

À la maison de retraite de Pont-Aven, au sud du Finistère, des sorties nature sont organisées avec les résidents et les enfants de l'école maternelle voisine. Ces après-midi au grand air redonnent la joie de vivre à plus d'un résident. À Dax, dans les Landes, l'association La Passerelle (voir encadré p. 45) est située au coeur d'un quartier populaire près d'une zone HLM où vivent des gens de tous les âges. Elle recueille dans les maisons de retraite des récits de vie de personnes âgées. Ces ateliers « mémoire » permettent aux jeunes et aux plus vieux de se découvrir des affinités qu'ils ne s'imaginaient pas.

Passerelles

Créer un pont qui permettrait de mieux vivre tous ensemble, restaurer des liens brisés par une société devenue trop cloisonnée et individualiste, tel est le credo de l'intergénération. En 1999, lors de l'année de la personne âgée, voilà ce que l'on pouvait lire dans une citation des Nations unies : « La prise de conscience collective de l'état de personne âgée comme concept socialement unificateur peut ainsi devenir un fait positif. » Pour Serge Guérin, professeur associé en sciences de la communication à l'université de Lyon et spécialiste en communication intergénérationnelle, l'intergénération « est une forme particulière de l'interculturel. C'est avant tout une démarche volontariste qui favorise les passerelles et les échanges entre des mondes qui, à force de s'ignorer, pourraient s'opposer. »

Mais, avant de développer ce phénomène comme un fait nouveau, rappelons qu'avant tout, il est naturel dans une société dite « traditionnelle ». À la maison, la famille reste le premier cercle où les générations établissent entre elles des rapports très étroits. Mais, du fait de l'évolution de cette même société et l'apparition d'une population plus mobile (les enfants partent souvent du lieu de leur naissance, les parents vieillissent seuls, etc.), on se trouve confrontés à de nouveaux phénomènes comme l'isolement de personnes vieillissantes. Cela n'arrivait jamais dans les communautés d'autrefois où les anciens, du fait de la sagesse acquise par l'âge, devaient être accueillis par leurs enfants coûte que coûte.

Aujourd'hui, si les familles ne jouent plus ce rôle, c'est la collectivité elle-même qui tend à faciliter la communication entre les générations dans les villes, les quartiers et au sein des groupes d'intérêt particulier. Ainsi, on voit s'accroître les initiatives dans les établissements de soins au sein des services de long séjour, dans les maisons de retraites ou dans les associations de quartiers. Les habitants d'un quartier sont à longueur de journée ensemble. Ils peuvent réfléchir à des préoccupations communes comme la sécurité, la protection de l'environnement, l'épanouissement culturel, les activités génératrices de revenus.

Mais quels sont les avantages de ces rencontres ? Elles n'apportent que du « positif ». Le personnel soignant est le premier à l'affirmer. « Mes enfants sont à la crèche de l'établissement et ils sont ravis, affirme le docteur Mathieu Mion, gériatre à l'hôpital Bretonneau. Cela fait très plaisir aux résidents et ça se voit. Quand les petits montent aux étages pour le goûter, on peut voir la joie dans le regard des personnes âgées. Tout ce qui participe à leur bien-être leur redonne goût à la vie. »

Transmettre un savoir-faire

Pour Hubert Falco, secrétaire d'État aux Personnes âgées, le but du gouvernement « est de favoriser le lien entre les générations mais pas de les catégoriser. Ce lien entre elles est tout naturel. Et c'est dans le sport, les activités culturelles et l'éducation qu'il peut le mieux se développer » (voir encadré ci-dessus).

Premier grand bienfait de l'intergénération : la transmission d'une expérience de vie ou d'un savoir-faire. « L'âgisme n'existe plus quand on a les mêmes affinités, observe Dominique Jover, directrice de l'association La Passerelle. Notre société s'évertue à mettre des gens dans une case mais cela ne fonctionne pas comme cela. » Autre grand bénéfice de cette rencontre : la lutte contre l'isolement de nombreuses personnes âgées, mais aussi de jeunes en situation d'échec. Tous égaux devant la solitude. « On a des tas de récits de rencontres, de vraies histoires d'amitié entre enfants et personnes âgées. Ils s'enrichissent de leurs différences. Tout est basé sur un climat de confiance », remarque Fabienne Barber, ancienne infirmière et directrice de la ferme des Vigneaux, association à but non lucratif conçue pour « susciter la rencontre, développer le contact et entretenir la relation entre les jeunes enfants et les personnes âgées. »

Ici, toute l'année, cette ancienne infirmière accueille deux groupes (jeunes et personnes âgées) pour des séjours à la campagne. Des adolescents en situation d'échec reprennent confiance en eux, simplement en cuisinant un gâteau ou en se promenant avec un aîné.

À la maison de retraite de Saint-Maur, en région parisienne, les personnes âgées assurent le rôle de nounous pour les petits. Et cela fonctionne très bien ! Des personnes qui s'étaient renfermées sur elles-mêmes reprennent goût à la vie, des enfants « difficiles » se sont soudain adoucis...

Autre avantage des rencontres entre générations : se battre contre l'idée qu'après 60 ans, on est fini. Elles redorent le blason des aînés et permettent aux plus jeunes, pour certains, de réaliser qu'on n'est pas out avec des cheveux blancs. Car « rajeunir est devenu le maître mot de notre société, affirme Serge Guérin. Écrans de télévision faisant la part belle aux visages lisses et jeunes, décideurs politiques et économiques soucieux de rester dans le coup, entreprises cherchant à se débarrasser de leurs quinquagénaires... »

Combattre le jeunisme.

C'est pour combattre ce « jeunisme » à tout prix que l'intergénération émerge. Mais il faut reconnaître que le phénomène est à la mode. Les médias en parlent. Les collectivités locales multiplient les initiatives. Tout le monde se félicite de cette soudaine entente entre jeunes et seniors. Elle est jolie sur le papier glacé des magazines féminins, mais elle ne doit pas être imposée. « C'est une passerelle qui doit s'ouvrir et se refermer, explique Serge Guérin. L'intergénération est une réalité, il suffit de regarder les chiffres ! Les seniors sont de plus en plus nombreux et ils ont évolué. La demande générale de la société transcende les générations. La réalité économique est là. Aujourd'hui, la retraite est un job à plein temps ! 80 % des bénévoles sont des seniors. »

Ne rien imposer.

Si, pour que l'intergénération fonctionne, elle doit répondre à une demande de tous, il ne faut pas en faire une obligation. Pour mettre en place des actions visant à améliorer la vie des personnes âgées en milieu hospitalier, en maison de retraite ou à domicile, il faut tenir compte de l'extrême hétérogénéité de ce groupe de la population. Car qui dit qu'une vieille dame aura envie de passer quelques heures avec un enfant ?

Il serait erroné de penser que cela plaît forcément aux deux parties. Le contact ne passe pas toujours entre les petits et les plus âgés. Chacun peut tout aussi bien rester dans son coin. « Il faut comprendre, précise Serge Guérin, qu'il y a des instants pour se rencontrer mais que l'on a le droit au respect de la vieillesse. On vit vieux d'autant mieux en acceptant sa vieillesse. Et d'ailleurs, qui a dit que l'on était forcé d'aimer les enfants ? Si tout cela ne sert aux seniors qu'à apprendre à être plus jeunes, cela ne sert à rien ! Tout n'est qu'une histoire d'intérêts communs sans rapports de force. »

Les rencontres intergénérations doivent venir des jeunes comme des plus anciens. Il faut qu'elles soient valorisantes pour les deux parties, mais ni forcées, ni contraintes. Pour que la vieillesse soit acceptée comme naturelle et heureuse dans une société occidentale qui continue de prôner la jeunesse et la beauté.

Dans 15 ans, les plus de 60 ans représenteront le tiers de la population française. Le chemin pour faire la part belle à nos aînés est encore long mais la réalité démographique va vite le rattraper.

TÉMOIGNAGE

« Ne pas enfermer les seniors dans des ghettos »

Rencontre avec Hubert Falco, secrétaire d'État aux Personnes âgées.

« Il y a 13 millions de personnes qui ont plus de 60 ans en France. Un million d'entre elles sont dépendantes. Tout le reste est une population en pleine forme. C'est une chance pour la société. Aujourd'hui, on vieillit de mieux en mieux. Le rôle du gouvernement n'est pas d'accroître les clivages entre les classes d'âge. Notre but est de favoriser le lien entre les générations mais pas de les catégoriser. Ce lien entre elles est tout naturel. Et c'est dans le sport, les activités culturelles et l'éducation qu'il peut le mieux se développer. Luc Ferry, le ministre de l'Éducation, veut en finir avec l'illettrisme. L'intergénération doit permettre aux seniors qui ont le temps et les compétences d'encadrer des jeunes et d'assurer le rôle que les parents ne peuvent parfois plus tenir. Il faut donc leur ouvrir la porte pour qu'ils viennent en aide aux professeurs. Dans le domaine économique aussi, s'ils le désirent, ils doivent pouvoir encore transmettre leurs connaissances au sein des entreprises. L'essentiel, c'est l'expérience de la vie. On ne peut pas enfermer les seniors dans des ghettos. Peut-t-on dire qu'un peintre est fini à 60 ans ? Bien sûr que non ! Il n'y a qu'un critère contre lequel on ne peut lutter : c'est la maladie et le handicap. Le phénomène de l'intergénération se développe dans tous les pays mais il ne faut pas imposer à chacun une activité en fonction de son âge. Au contraire, il faut tout décloisonner. »

La Passerelle

Créée en 1996, l'association La Passerelle(1) est implantée dans un quartier populaire de Dax, dans les Landes, près d'une zone HLM où vivent des gens de tous les âges. « Dès que l'on gomme l'âge, observe sa directrice, Dominique Jover, tout ce qui est ludique rapproche les générations. Regardez ici, dans les Landes, les bandas se composent de gens de tous les âges. Et c'est normal. La musique, la danse, le chant ou le conte n'ont rien à voir avec l'âge. La passerelle travaille en long séjour, en gériatrie... Il y a une référence à la transmission et les jeunes sont en attente pour connaître des trucs. Pour un jeune passionné, c'est formidable. Nous allons en maison de retraite recueillir des récits de vie de personnes âgées et nous en construisons un spectacle. Ce sont des ateliers "mémoire". L'idée est de travailler la mémoire d'hier pour améliorer celle d'aujourd'hui. Les gens de milieux ruraux nous racontent des histoires extraordinaires sur des métiers qui n'existent plus. » La Passerelle organise tous les ans un grand spectacle à partir de ces témoignages : « Mémoire vivante de Gascogne ». L'association rassemble plus de 200 adhérents à l'année qui ont entre 20 et plus de 80 ans !

1- Contact : 05 58 74 62 10.

Les grands-parents s'unissent

Faire du papy-boom un triomphe plutôt qu'un naufrage. Voilà le créneau de l'association EGPE (École des grands-parents européens) créée en 1994. À travers ses activités, elle privilégie la force du lien entre les générations et offre écoute, rencontres, échanges, actions, réflexion et formations à tous les grands-parents d'aujourd'hui. Près de 1 300 familles adhèrent à l'association.

L'EGPE, 12, rue Chomel, 75007 Paris. Informations : 01 45 44 34 93 ou http://www.egpe.org.